Par Gérard Haas et Vickie Le Bert
Le fisc français montre depuis plusieurs années un intérêt grandissant pour les technologies numériques. En 2020, dans l’objectif de détecter des fraudes, l’administration fiscale s’était d’ailleurs arrogée la faculté de recourir à des outils automatisés pour collecter sur les réseaux sociaux des données librement accessibles et manifestement rendues publiques par les contribuables.
Toujours aux fins de lutter plus efficacement contre les fraudes, et plus précisément contre les fraudes aux impôts locaux, les autorités fiscales françaises se sont récemment lancées dans un projet d’envergure destiné à contrôler de manière automatique les déclarations des contribuables en matière de piscines et de bâtis divers, en se basant sur des technologies satellites et des prises de vues aériennes.
Dans le cadre de ce projet, intitulé « Foncier Innovant », le fisc français a fait le choix surprenant de s’associer au géant américain du numérique, Google.
Pour détecter automatiquement les éléments de bâtis non-déclarés, comme des piscines, courts de tennis ou encore abris de jardin, l’administration fiscale aura recours aux technologies de la plateforme américaine, et notamment à celles utilisées dans le cadre de son service Google Maps.
Il sera ainsi attendu de Google qu’il mette à disposition de l’administration fiscale un algorithme permettant, sur la base de données cadastrales et de photographies aériennes publiques préalablement collectées par l’'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), d’analyser les images satellites, d’identifier les constructions puis de procéder à la vérification automatique de leur déclaration. Ce système de croisement de données mis à disposition du fisc par la plateforme, toujours en phase d’apprentissage, est d’ores et déjà testé dans plusieurs départements français.
Et ce n’est pas la première fois que le fisc français a recours aux données satellitaires et à l’intelligence artificielle dans le cadre de ses missions. En 2017, une expérimentation basée sur l’utilisation de données aériennes avait été menée dans la région de Marmande. Véritable réussite, celle-ci avait permis de constater qu’un tiers des piscines de la région n’avaient pas été déclarées aux services fiscaux.
Mais le choix de Bercy de s’associer à Google ne fait pas l’unanimité. Si la collaboration instituée entre Google et l’administration fiscale dans le cadre du projet « Foncier Innovant » a pu surprendre, c’est d’une part que la plateforme n’est pas réellement un exemple de bonne conduite fiscale. En 2019, Google s’était vu contraint, après transaction avec le Trésor Public, au versement de 500 millions d’euros d’amende pour fraude fiscale, auxquels se sont ajoutés 297 millions d’euros de pénalités additionnelles[1].
D’autre part, le déploiement national de ce logiciel de détection automatique des éléments bâtis non déclarés devrait permettre au fisc d’améliorer considérablement son rendement et son efficacité. Ce logiciel permettra en effet à ses services de contourner l’obligation jusqu’alors faite aux géomètres en charge des contrôles de se déplacer sur les lieux, et plus encore, de contourner celle leur imposant de recueillir l’autorisation préalable des propriétaires de terrains et parcelles. Ainsi, le recours à l’intelligence artificielle et à l’exploitation de données satellitaires publiques permettra de dépasser la limite du consentement du contribuable concerné, jusqu’alors imposée par des contraintes physiques.
Outils automatisés et décision administrative individuelle : quelle règlementation ?
Une fois que le logiciel de détection automatique mis en œuvre dans le cadre du projet « Foncier Innovant » aura révélé des irrégularités au niveau des déclarations des contribuables, l’administration fiscale procédera à la régularisation de la situation des fraudeurs. Or, il existe toute une règlementation à laquelle l’administration fiscale devra se plier dans le cadre de sa collaboration avec le géant du numérique, règlementation permettant d’encadrer la prise de décision individuelle sur la base d’outils automatisés par les services publics et les administrations.
L’utilisation d’algorithmes dans le cadre de la prise de décision individuelle est en effet encadrée par la loi pour une République Numérique (LRN) du 7 octobre 2016, qui dispose notamment que l’utilisation d’un algorithme dans le cadre d’une décision administrative doit être explicitement mentionnée aux personnes concernées. Ces personnes, en vertu d’un principe de transparence, peuvent également en demander les règles afin d’en comprendre le fonctionnement.
Ces règles relatives à la transparence des algorithmes dans le cadre de la prise de décision individuelle sont contenues au sein de code des relations entre le public et l’administration (CRPA).
Sont ainsi concernés par cette obligation de transparence les administrations d’Etat, les collectivités et les organismes de droit public ou de droit privé intervenant dans le cadre d’une mission de service public :
Les personnes publiques répondant à cette définition devront donc, dans le cadre de leur obligation de transparence :
Ces obligations de transparence s’appliquent à l’ensemble des traitements fondant des décisions administratives individuelles, et ce quel que soit le degré d’intervention humaine.
L’article 47 de la loi Informatique et Libertés de 1978 impose également aux responsables de traitements automatisés sans intervention humaine de faire figurer la mention explicite de l’article L 311-3-1 du CRPA, et d’expliquer en détail et sous une forme intelligible à la personne concernée la manière dont le traitement a été mis en œuvre à son égard.
La collaboration instituée entre le Trésor Public et Google a également suscité des craintes concernant le sort des données traitées. A l’annonce de ce projet « Foncier Innovant », la CGT Finances publiques a déploré une « externalisation des missions du service public », reprochant à l’administration fiscale de mettre entre les mains d’opérateurs américains les données de ses concitoyens.
L’administration fiscale, en réponse à ces contestations, est cependant venue affirmer que l’intervention de Google se limitera à la fourniture de l’infrastructure cloud, à l’hébergement, et à la fourniture de ses services pour les prestations de développement des modèles d’intelligence artificielle.
Elle rajoute également qu’elle conservera en définitive la propriété intellectuelle et la maîtrise des modèles algorithmiques développés, et que seules les photographies aériennes publiques de l'IGN, disponibles en open source, feront l'objet d'un traitement sur le cloud, à l’exclusion donc de toutes autres données foncières et fiscales. La plateforme, qui reste pour le moment relativement en retrait, a confirmé que son rôle se limiterait à la simple mise à disposition de ses services.
Ce projet devrait prochainement être présenté à la CNIL, qui aura la charge d’en apprécier la conformité au RGPD et à la LIL, mais également d’avertir les acteurs de l’importance des risques qu’un tel traitement est susceptible de faire porter sur les contribuables, notamment au regard de la protection de la vie privée.
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[1] Les Echos, Google sort près de 1 milliard d’euros pour solder ses contentieux en France