Par Gérard HAAS et Axelle POUJOL
Le droit à l’oubli devrait être limité à l’Union Européenne et renforcé par la technique du geoblocking. L’exploitant d’un moteur de recherche tel que Google est-il tenu, en vertu du droit au déréférencement, d’opérer ce déréférencement à une échelle mondiale, européenne ou Etat par Etat ?
Le 10 janvier 2019, l’avocat général de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), Maciej Szpunar, a rendu ses conclusions dans une affaire opposant la Commission Nationale de l’Informatique et des libertés (CNIL) française et Google. Ces conclusions, qui constituent des recommandations pour la Cour, concernent la portée du droit à l’oubli et du droit au déréférencement pour les citoyens européens.
Depuis 2014 et l’arrêt « Google Spain », toute personne physique peut demander à Google de supprimer des informations la concernant. C’est le droit au déréférencement ou plus précisément le droit à l’oubli, consacré par ailleurs par le nouveau règlement en matière de protection des données personnelles (RGPD) entrée en vigueur en 2018.
Google procédait à la suppression des liens pour les personnes concernées sur les versions européennes de son moteur de recherche. La CNIL, considérant cette mesure comme insuffisante, a infligé une amende à Google. C’est dans ce contexte que l’affaire est parvenue à la CJUE, qui doit répondre à plusieurs questions posées par la justice française :
1ère question : l’exploitant d’un moteur de recherche tel que Google est-il tenu, en vertu du droit au déréférencement, d’opérer ce déréférencement à une échelle mondiale, européenne ou Etat par Etat ?
2nde question : en complément du déréférencement, l’exploitant d’un moteur de recherche est-il tenu de mettre en place un système de géo-blocage afin d’empêcher l’accès à des contenus litigieux déférencés par des personnes localisées dans l’Etat de la personne concernée ou plus globalement dans l’Union Européenne ?
Telles sont les questions posées à la CJUE par la justice française, sur lesquelles l’avocat général de la CJUE a rendu son avis le jeudi 10 janvier 2019.
Après avoir rappelé le contexte de l’affaire et le cadre juridique applicable, l’avocat général de la CJUE a donné ses recommandations à la Cour pour répondre aux deux questions qui lui sont posées.
L’avocat général a considéré que le droit au déréférencement ne devait pas être à échelle mondiale mais à échelle de l’Union Européenne, donnant ainsi raison à Google au détriment de la CNIL. Il a rappelé que si l’idée d’un déréférencement à échelle mondiale était séduisante, elle comportait des risques pour les droits fondamentaux.
En effet, si une personne peut demander la suppression de résultats la concernant, l’avocat général rappelle que Google doit procéder, pour apprécier cette demande, à une balance des droits fondamentaux, entre le droit à la protection des données et à la vie privée d’une part et l’intérêt légitime du public à accéder à l’information recherchée d’autre part.
Par ailleurs, si un déréférencement à échelle mondiale s’opérait, cela conduirait à un risque pour la liberté d’expression dans certains Etats, qui pourraient se servir de cette idée pour la limiter.
L’avocat général de la CJUE considère donc que Google n’a pas à procéder à un déréférencement à échelle mondiale mais bien à échelle européenne.
Après avoir répondu sur la portée du droit au déréférencement, l’avocat général a suggéré la mise en place d’un système de geoblocking afin d’assurer un déréférencement efficace et complet : par cette technique, Google pourrait empêcher l’accès de personnes réputées situées dans l’Union Européenne à des contenus litigieux supprimés. Cela permettrait donc d’assurer, selon l’avocat général, l’efficacité de la mesure.
L’avocat général précise donc la portée du droit à l’oubli pour les citoyens européens. Ses conclusions étant des recommandations, ce sera à la Cour de Justice de trancher définitivement l’affaire dans quelques mois. A suivre …