Par Haas Avocats
L’obligation prochaine de la facturation électronique marque une étape dans la transformation digitale des entreprises françaises. En facilitant la modernisation administrative, elle soulève aussi des interrogations techniques, juridiques et organisationnelles auxquels il est opportun de se préparer dès à présent.Comprendre la portée de la réforme de la facturation électronique
Un calendrier selon la taille de l’entreprise concernée
La France avance à marche forcée vers la généralisation progressive de la facture électronique.
La généralisation sera mise en œuvre en plusieurs étapes, selon la taille des entreprises. Cette transition donne à chaque acteur le temps de se préparer et d’intégrer la réforme comme une opportunité d’optimisation des processus internes, plutôt que d’y voir uniquement une contrainte.
Le calendrier officiel d’entrée en vigueur de la facturation électronique prévoit :
À partir du 1er septembre 2026 :
- Obligation pour toutes les entreprises assujetties à la TVA, quelle que soit leur taille, d’être en mesure de recevoir des factures électroniques.
- Obligation d’émettre des factures électroniques pour :
- Les grandes entreprises (effectif ≥ 5000 ou CA ≥ 1,5 milliard €)
- Les entreprises de taille intermédiaire (ETI : effectif entre 250 et 4999 ou CA entre 50 millions € et 1,5 milliard €)
À partir du 1er septembre 2027 :
- Obligation d’émettre des factures électroniques étendue à toutes les autres entreprises :
- PME (moins de 250 salariés, CA < 50 millions €)
- TPE, micro-entrepreneurs et professions libérales.
Un nouvel écosystème numérique autour de la facturation électronique
Longtemps perçue comme un simple dossier technique ou une obligation fiscale parmi d’autres, la réforme de la facturation électronique[1] et l’ensemble des textes d’application bouleversent le paysage administratif, comptable et numérique des entreprises françaises.
Loin de se réduire à la simple dématérialisation d’un document fiscal, cette mutation engage des enjeux majeurs de gouvernance des données, de conformité réglementaire ainsi que de choix technologiques stratégiques.
Pour accompagner cette transition, l’administration a récemment mis à disposition un annuaire national de la facturation électronique[2].
Ce service permet à chaque entreprise et/ou à ses partenaires de (i) vérifier son assujettissement à l’obligation de facturation électronique, (ii) identifier la plateforme de réception déclarée et (iii) retrouver l’adresse électronique de facturation à utiliser pour garantir une bonne transmission
L’annuaire répond à un enjeu de fiabilité : évitant retards, erreurs ou litiges sur les destinataires, il offre à chacun la cartographie en temps réel des canaux de communication électroniques.
Il deviendra rapidement le point d’entrée pour les vérifications réglementaires et la stabilité du système dématérialisé
Un accompagnement public pour réussir la transition vers la facture électronique
La Direction Générale des Finances Publiques mettra en place, dès février 2026, une « phase pilote » grandeur nature, sans effet sanctionnant.
Chaque entreprise pourra tester, corriger, former et fiabiliser ses circuits, des factures à l’e-reporting, en conditions réelles, afin de lever toute incertitude et d’aborder sereinement l’échéance officielle.
Ce test en conditions réelles est conçu pour détecter précocement toute erreur ou tout défaut technique ou organisationnel : format, codage, identification du partenaire ou de la plateforme.
Chaque dysfonctionnement repéré permettra d’anticiper les corrections, d’éviter les litiges futurs et de sécuriser la conformité dès la mise en œuvre définitive.
Les Plateformes Agréées (PA) : nouveaux acteurs clés
Une logique de flux pour moderniser la gestion des données
La facture électronique repose sur la structuration des données qui deviendront traçables, automatisables et interopérables.
Le choix de Plateformes de Dématérialisation Partenaires (PDP) devenues Plateformes Agréées (PA), le projet de Portail Public de Facturation ayant été abandonné par l’Etat français[3], déterminera toutes les interactions, de l’émission jusqu’à la restitution, tout en mettant fin parallèlement aux envois papiers dispersés et à la fragmentation documentaire.
Ce nouvel écosystème implique une mutation : passage d’une logique documentaire (pdf, papier) à une logique de flux automatisés.
Le contenu des factures devra être exploitable, interopérable, transmissible entre systèmes différents et directement lisible par les outils comptables. Cette modernisation promet un gain de productivité réel, mais conditionne la réussite du projet à la cohérence de toutes les briques techniques.
L’approche devra être systémique afin de garantir la cohérence depuis l’émission jusqu’à l’archivage et le contrôle, en brisant les silos entre fonctions supports (DSI, direction juridique, DAF, DPO) et métiers.
Il ne s’agit plus de répondre à une exigence administrative mais de piloter un projet transversal, entraînant des conséquences sur la gouvernance de la donnée. Un défaut dans une étape peut compromettre tout le dispositif, d’où l’importance d’un accompagnement global, articulant optimisation des processus et conformité réglementaire.
Choisir la bonne Plateforme Agréée : un enjeu contractuel et juridique majeur
Le partenariat avec une PA n’est pas qu’une externalisation technique : c’est un engagement contractuel et réglementaire important, appelé à structurer l’organisation pour plusieurs années.
En pratique, toute entreprise devra adapter ses systèmes, former ses équipes et, surtout, organiser la cohabitation, puis la conversion, entre factures existantes et factures dématérialisées. Des choix structurels engageront donc les entreprises concernées par la réforme sur de multiples années. Il ne s’agit pas seulement de performances techniques : le partenaire sélectionné doit offrir des garanties juridiques et contractuelles traçables et la capacité à accompagner l’entreprise dans l’adaptation de ses processus.
Le contrat de sous-traitance, impératif au sens du RGPD[4], devra être négocié avec rigueur : description fine des finalités, des traitements, des mesures de sécurité, organisation du support, modalités d’exercices des droits et gestion des incidents.
Les questions de localisation des données (notion de souveraineté cloud, hébergement UE), de portabilité et de capacité du prestataire à accompagner l’évolution réglementaire et technologique sont, pour les secteurs réglementés ou innovants, des critères de sélection majeurs.
En cas de défaillance, dysfonctionnement ou faille, la responsabilité de l’entreprise demeure pleine et entière. La relation contractuelle doit détailler les engagements (matrice de sécurité, documentation d’audit, politique de portabilité et de réversibilité, dispositifs d’alerte et d’intervention).
La Plateforme Agréée : un acteur certifié et contrôlé par l’administration
Si le choix d’une PA peut être cornélien, il est nécessaire de relever que toute plateforme exerce sous réserve d’une immatriculation officielle auprès de l’administration
L’immatriculation nécessite un dossier technique complet : numéro SIREN, politique de protection des données conforme au RGPD, certification ISO/IEC 27001, engagement à l’hébergement UE, décision SecNumCloud (si hébergement externalisé), descriptifs des processus et des sécurités, attestations d’interopérabilité, et rapport d’audit de conformité dans l’année suivant l’autorisation provisoire[5].
A l’heure actuelle plus de 100 PA sont en cours d’agrément par la DGFiP[6].
La Direction Générale des Finances Publiques procèdera à des tests de conformité techniques, prévues pour la fin de l’année 2025.
Pour ce faire, la PA doit répondre à des exigences de formats, sécurité, et d’interopérabilité, se soumettre aux tests de conformité technique ci-avant décrits et respecter des exigences de sécurité informatique.
Cette démarche sécurise l’ensemble du dispositif et la chaîne de confiance, vis-à-vis des clients comme de l’administration.
Des choix de gouvernance et de cybersécurité indispensables
Construire une chaîne de confiance et sécuriser les données
La sécurité et la gouvernance de la donnée doivent également être assurées. Centraliser des informations sensibles multiplie les attentes : non seulement il faut prévenir les risques cyber (phishing, intrusion, fausses factures), mais il faut documenter, tester, auditer et réguler, en continu, tous les accès et traitements.
Une stratégie cybersécurité dédiée à la facturation électronique doit être anticipée : contrôle des accès, segmentation du réseau, politiques de sécurité, tests d’intrusion, audit régulier, documentation précise des traitements des alertes et incidents. Pour les métiers à fortes exigences règlementaires (secteur bancaire, paiement, deeptech), l’adoption de standards reconnus et une cartographie détaillée des sous-traitants constituent des gages de robustesse démontrables en cas de contrôle ou de litige.
Les choix opérés par les acteurs soumis à l’obligation des factures électroniques devront s’accompagner de programmes de formation et d’acculturation, de l’actualisation régulière des mesures de sécurité (chiffrement, authentification multifacteur, journalisation des accès), la gestion dynamique des habilitations, mais aussi la simulation d’incidents, et l'organisation de revues périodiques de conformité.
Une analyse d’impact sur la protection des données (AIPD) devient, pour les entreprises les plus exposées, un outil opérationnel : loin d’être une contrainte bureaucratique, l’AIPD permet de cartographier précisément les risques, d’identifier les points critiques, et de définir des plans d’action réalistes, adaptés à la taille et à l’activité.
Questions à se poser :
- Mon SI est-il compatible avec le format Factur-X ou les autres formats structurés imposés ?
- Ai-je une cartographie claire de mes flux de facturation sortants et entrants ?
- Mon plan de continuité (PRA/PCA) est-il à jour, adapté à la criticité accrue des flux numériques ?
La réforme s’accompagne d’une intensification attendue des contrôles administratifs, tant de la part de la DGFiP que de la CNIL. Les dispositifs techniques mis en œuvre devront donc permettre une traçabilité fine, une documentation complète et un accès facilité à l’historique des flux pour répondre à toute demande d’audit ou de contrôle.
Une mobilisation collective pour réussir la transition numérique
La réussite de la transition vers la facturation électronique repose avant tout sur une méthode rigoureuse de conduite du changement. Il est essentiel de nommer un référent ou une équipe dédiée, impliquant la direction, la DSI, la DAF, le juridique et les métiers.
Un pilotage transversal assure la coordination des phases de diagnostic, de formation et d’adaptation des processus internes. La sensibilisation de tous les niveaux de l’organisation, la communication régulière sur les avancées, l’identification d’utilisateurs pilotes et la gestion proactive des retours d’expérience sont autant de clés pour garantir l’adhésion et limiter les risques d’échec. Il s’agit d’installer durablement une conformité, gage de performance collective.
De la conformité à la compétitivité : tirer parti de la facturation électronique
La facturation électronique n’est pas seulement une obligation, mais une véritable opportunité de valorisation durable.
Elle représente un levier stratégique pour renforcer la performance numérique, l’efficacité opérationnelle et la résilience de l’entreprise.
Enfin, cette réforme s’inscrit dans un mouvement de convergence réglementaire plus large : elle cohabite directement avec le développement du e-reporting (transmission des données de transactions internationales à l’administration fiscale pour les ventes ou prestations de services avec des particuliers notamment) et la digitalisation progressive des formalités douanières. Cette imbrication des obligations requiert une mutualisation des efforts afin d’éviter la multiplication des projets isolés, générateurs de coûts et de risques.
Automatisation des processus, accélération de la facturation, réduction des délais de paiement et sécurisation des transactions : tous ces aspects contribuent à instaurer un climat de confiance avec l’ensemble des parties prenantes (clients, partenaires et administration)
Pour réussir cette évolution, il est recommandé de :
- Mettre en œuvre un diagnostic approfondi de l’ensemble des flux et outils existants ;
- Organiser une revue rigoureuse des contrats, en intégrant les exigences du RGPD et de la sécurité des systèmes d’information ;
- Élaborer une cartographie des risques technologiques et organisationnels ;
- Proposer des ateliers de sensibilisation sectorielle et des formations adaptées.
Pour aller plus loin, n'hésitez pas à solliciter un accompagnement spécialisé et à anticiper l’ensemble des évolutions à venir. Un diagnostic sur mesure, une feuille de route personnalisée et une anticipation des évolutions réglementaires vous permettront de sécuriser vos flux, d’optimiser vos processus et d’aborder sereinement cette réforme.
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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.
[1] Ordonnance n° 2021-1190 du 15 septembre 2021 relative à la généralisation de la facturation électronique dans les transactions entre assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée et à la transmission des données de transaction
[2] https://facturation.chorus-pro.gouv.fr/annuaire/authentification/connexion
[3] Communiqué de presse n°010 du Ministère chargé du budget et des comptes publics du 15 octobre 2024
[4] Article 28
[5] Article 1er du Décret n° 2022-1299 du 7 octobre 2022 relatif à la généralisation de la facturation électronique dans les transactions entre assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée et à la transmission des données de
[6] https://www.impots.gouv.fr/liste-des-plateformes-agreees-immatriculees-sous-reserve