Par Eve Renaud-Chouraqui et Rebecca Käppner
Dans un arrêt en date du 10 novembre 2022 (C-163/21) la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée sur le point de savoir si la mention de « preuves pertinentes en la possession de la partie défenderesse ou d’un tiers » porte uniquement sur les documents préexistants en leur possession ou également sur ceux que la partie, à laquelle la demande de production de preuves est adressée, pouvait être amenée à créer ex novo[1], par l’agrégation ou la classification d’informations, de connaissances ou de données en sa possession.
Cette question de l’interprétation à faire de la mention de « preuves pertinentes », visée par la directive 2014/104 du 26 novembre 2014 s’inscrit ici dans un contexte bien particulier.
Dans les faits, quinze constructeurs internationaux de camions avaient participé à des infractions au droit de la concurrence en ayant conclu, pendant une période allant de 1997 à 2011, des accords sur des prix et des augmentations de prix en infraction à l’article 101 TFUE[2].
Ce dernier prévoit en effet en son 1 a) que « Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction. »
Les acquisiteurs des camions susceptibles de relever du champ d’application de l’infraction avaient alors saisi le tribunal de commerce n°7 de Barcelone d’une demande d’accès aux éléments de preuve détenus par les fabricants de camions afin de quantifier l’augmentation artificielle des prix. Il s’agissait alors d’établir une comparaison des prix recommandés avant, pendant et après la période de l’entente.
Incertaine de la conformité de cette démarche au regard de la directive 2014/104 du 26 novembre 2014 susvisée, la juridiction nationale s’est alors tournée vers la CJUE afin que cette dernière se prononce sur la dimension à donner à la notion de « preuves pertinentes ».
Cette dernière juge que la production de « preuves pertinentes », au sens du droit de l’Union, vise également les documents qu’une partie peut être amenée à créer, en agrégeant ou en classant des informations, des connaissances ou des données en sa possession.
Il ne s’agit alors pas de cantonner la notion visée dans la directive aux documents préexistants qui seraient en la possession d’un tiers ou de la partie défenderesse.
La CJUE émet cependant une réserve : celle du respect par les juridictions nationales du principe de proportionnalité. En effet ces dernières devront, en tout état de cause, limiter la production de preuves à ce qui est pertinent, proportionné et nécessaire, en tenant compte des intérêts légitimes et des droits fondamentaux de cette partie.
Il reviendra alors aux juridictions nationales saisies et en l’occurrence au tribunal de commerce n°7 de Barcelone d’apprécier le caractère disproportionné ou non de la demande de production de preuves émise par la partie défenderesse ou le tiers concerné.
La réponse de la CJUE à cette question préjudicielle tend à remédier à l’asymétrie d’information entre les parties, d’autant plus présente en droit de la concurrence, en ce que la victime de l’infraction, contrairement à son auteur, méconnait les preuves qui ont permis à l’infraction d’être caractérisée.
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[1] Latin : à zéro
[2] Pour en savoir plus à ce sujet, voir notre article : Des fabricants de lunettes sanctionnés pour prix de vente imposés