Par Julie Soussan et Laurent Goutorbe
Les journalistes et auteurs d’avis devront faire preuve de prudence lors de l’exercice de leur droit de libre critique, ces derniers pouvant très facilement être poursuivis pour dénigrement.
C’est en effet dans ce sens que s’est prononcée la Première chambre de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 décembre 2018.
Le dénigrement est une pratique déloyale sanctionnée par l’article 1240 du Code civil (anciennement 1382 du Code civil) relatif à la responsabilité délictuelle du fait personnel. Plus précisément, le dénigrement consiste à porter atteinte à l’image de marque d’une entreprise ou d’un produit identifiable.
Or la limite entre exercice d’un droit de critique et dénigrement peut s’avérer ténue dans la mesure où les propos tenus dans le cadre de la première hypothèse peuvent en réalité être le fondement d’une action en dénigrement.
La question est donc de savoir dans quelle mesure peut-on librement exercer son droit de critique sans risquer d’engager sa responsabilité. Le dénigrement est en effet une limite à la liberté d’expression.
Dans cette affaire, la revue « Terre de vins » avait publié un article reproduisant l’analyse de Monsieur Q, œnologue dégustateur qui, à la suite d’une dégustation de vin, tenait les propos suivants :
« Les performances très décevantes des […] (Saint-Julien) 2009, 2008, 2005, interrogent et inquiètent. Le nouveau style se cherche et manque de définition. Ces variations donnent une impression de cafouillage choquant dans une aussi belle marque. L’héritage est-il trop lourd à porter ? […] Pour l’instant je ne vois aucun intérêt pour les amateurs à posséder ce vin dans sa cave ».
Or le dégustateur rédacteur de la critique avait finalement avoué qu’une inversion de deux notes attribuées lors de la dégustation était intervenue, et que son article était par conséquent erroné.
La Cour de cassation pose alors les contours du dénigrement qui :
- Consiste en un propos de nature à jeter le discrédit sur un produit fabriqué ou commercialisé par l’autre ;
- Sans qu’il n’y ait besoin de constater un élément intentionnel ;
- Sans qu’il n’y ait besoin de constater une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées.
Toutefois, la Cour de cassation précise que « lorsque les appréciations portées sur un produit concernent un sujet d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, leur divulgation relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu’elles soient exprimées avec une certaine mesure ; qu'en revanche, l'éditeur de presse, tenu de fournir des informations fiables et précises, doit procéder à la vérification des faits qu'il porte lui-même à la connaissance du public ; qu'à défaut, la diffusion d'une information inexacte et dénigrante sur un produit est de nature à engager sa responsabilité ».
Ainsi, dès lors qu’une critique repose sur des éléments factuels suffisants, et des informations vérifiées, elle ne saurait être interprétée comme constituant des propos dénigrants.
De toute évidence, les propos relatés par l’éditeur de presse n’avaient pas fait l’objet de vérifications : « si les appréciations portées par Monsieur Q. […] ne faisaient qu’exprimer son opinion et relevaient, par suite, du droit de libre critique, il incombait à la société Terre de vins, en sa qualité d’éditeur de presse, de procéder à la vérification des éléments factuels qu’elle portait elle-même à la connaissance du public et qui avaient un caractère dénigrant ».
Les conditions permettant de qualifier une critique en dénigrement ne se cantonnent pas aux éditeurs de presse mais peuvent également être applicables à toutes critiques formulées sur internet notamment en commentaire sur un site ou sur les réseaux sociaux.
Il convient donc de faire preuve de prudence et de systématiquement vérifier les éléments factuels fondant une critique, au risque de se faire sanctionner sur le fondement du dénigrement.
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