Droit d’auteur : quelle protection pour le Street Art ?

Droit d’auteur : quelle protection pour le Street Art ?
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Par Haas Avocats

Les rues des villes du monde entier deviennent des galeries d'art à ciel ouvert, où les façades des bâtiments deviennent les terrains de jeu de créateurs audacieux.

Le Street Art, mouvement artistique contemporain, soulève d’importantes interrogations liées à la propriété intellectuelle : comment les œuvres de Street Art, éphémères par nature, sont-elles appréhendées et protégées en France ?

Conformément à l’article L112-1 du Code de la propriété intellectuelle, les créations de Street Art peuvent être protégées au titre du droit d’auteur, à la condition, comme toutes les œuvres de l’esprit, d’être originales.

Comme l’avaient rappelé les juges dans la célèbre affaire Christo portant sur une installation artistique réalisée par Christo sur le Pont-Neuf, le caractère éphémère d’une œuvre ne constitue pas un obstacle à sa protection par le droit d’auteur.

Cependant, les spécificités liées aux œuvres de Street Art soulèvent de nombreuses problématiques, résidant parfois davantage dans le support de l'œuvre que dans l'œuvre elle-même.

Cette distinction est notamment primordiale pour déterminer qui détient les droits sur l'œuvre, en particulier dans le cas où l'œuvre a été réalisée illégalement.

L’indépendance de la propriété incorporelle et du support matériel

Le Code de la propriété intellectuelle distingue en son article L111-3 du code de la propriété incorporelle et l’objet matériel.

Le fait pour un artiste d’apposer son œuvre de Street Art sur un support dont il n’est pas propriétaire ne l’empêche pas, a priori, de bénéficier des droits d’auteur sur cette œuvre.

Ce principe, qui s’applique lorsque l’œuvre a été réalisée légalement, à savoir avec l’autorisation du propriétaire du support, doit être nuancé lorsque l’œuvre a été réalisée illégalement.

Le sort des œuvres illicites

Il s’agit par exemple de l’œuvre réalisée sur un bâtiment appartenant au domaine public ou sur un support privé sans l’accord du propriétaire.

La Cour de cassation[1] a eu l'occasion de rappeler que la protection du droit d’auteur disparaît lorsque l'illicéité de l'œuvre est prouvée.

S’agissant des œuvres de Street Art, le caractère illicite peut être démontré sur le fondement de l’article 322-1 alinéa 2 du Code Pénal qui réprime « le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain ». 

Dans cette hypothèse, l’auteur de l’œuvre de Street Art sera privé de ses droits d’auteur et le sort de l’œuvre dépendra de la volonté du propriétaire du support qui pourra ainsi la conserver ou la détruire.

L’exploitation des œuvres de Street Art

Lorsque l’œuvre de Street Art a été réalisée légalement, avec l’autorisation du propriétaire du support, l’auteur bénéficie des prérogatives offertes par le Code de la propriété intellectuelle et détient à ce titre des droits moraux (articles L121-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle) et patrimoniaux (articles L122-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle) sur l’œuvre.

Ce dernier peut ainsi s’opposer à la reproduction et à la représentation non autorisée de son œuvre.

Toutefois, l'article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle prévoit des exceptions à ce principe, notamment pour les reproductions non commerciales d'œuvres permanentes sur la voie publique.

Il n’est cependant pas certain que cette exception puisse s’appliquer aux œuvres de Street Art, comme l’ont souligné les juges dans l’affaire de « la Marianne asiatique »[2].

En l’espèce, les juges avaient refusé d’appliquer cette exception à une œuvre de Street Art en ce qu’elle (i) ne s’apparentait pas à une œuvre architecturale ou sculpturale et (ii) n’était pas placée en permanence sur la voie publique, ces deux conditions étant exigées par le texte.

En effet, nombre d’œuvres de Street Art sont soumises aux aléas extérieurs (météorologiques…) et peuvent être amenées à disparaitre, ce qui empêche en principe d’invoquer cette exception.

L’identification de l’auteur de l’œuvre de street art

En outre il sera parfois difficile d’identifier l’auteur d’une œuvre de Street Art, puisqu’il arrive que ces dernières ne soient pas signées.

L’absence de signature ne prive pas l’auteur de la protection par le droit d’auteur, ce dernier pouvant toutefois être contraint de démontrer la titularité de ses droits sur l’œuvre dans le cadre d’une éventuelle action en justice.

La question se complexifie concernant l’exploitation par des tiers des œuvres non signées.

La personne qui exploite une œuvre, bien que non signée, sans réaliser des recherches aux fins d’identifier et de contacter l’auteur, s’expose à une action en contrefaçon.

Ce risque est accru si la personne exploite une œuvre non signée dont le style de l’auteur est reconnaissable car il lui sera difficile d’invoquer l’absence d’identification de ce dernier.

Ce dernier point a été rappelé dans le cadre de l’affaire de « la Marianne asiatique » dans laquelle les juges ont considéré que les personnes exploitant l’œuvre aurait dû contacter l’auteur en ce qu’il était aisé de l’identifier, notamment car ce dernier était connu dans le milieu du Street Art.

Dans certains cas, il se peut que, malgré les recherches, l’auteur demeure non identifiable. Il pourrait alors être possible d’appliquer le régime des œuvres orphelines, à savoir les œuvres protégées dont le titulaire des droits ne peut pas être identifié ou retrouvé malgré des recherches diligentes (article L113-10 du Code de la propriété intellectuelle).

Toutefois, ce régime, encadré par la directive 2012/28/UE du 25 octobre 2012, ne concerne que les œuvres publiées sous forme de livres, revues, journaux, magazines, œuvres cinématographiques ou audiovisuelles et phonogrammes, exploitées par des bibliothèques, musées et établissements d’enseignement.

Un flou juridique demeure concernant les œuvres orphelines n’entrant pas dans cette catégorie, et notamment les œuvres de Street Art, rendant l’exploitation de telles œuvres dont l’auteur n’est pas identifiable risquée.

Il convient ainsi de considérer que l’exploitation d’une œuvre de Street Art réalisée licitement sans l’accord de l’auteur est toujours susceptible de générer un risque, bien que ce dernier n’ait pas pu être identifié. Il est alors conseillé à quiconque souhaitant exploiter une œuvre de Street Art de mettre en œuvre des moyens sérieux pour identifier et contacter l’auteur.

Il apparait donc que, compte tenu de leurs spécificités, les œuvres de Street Art soulèvent des questions complexes liées à la titularité, à la protection des droits, et à l'identification de l'auteur. Il est donc crucial pour les acteurs du secteur de prendre en compte ces particularités afin de respecter les droits des créateurs et d’éviter tout litige.

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Le Cabinet HAAS Avocats, fort de son expertise depuis plus de 25 ans en matière de droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies, accompagne ses clients dans différents domaines du droit, notamment en matière de droit d’auteur. Si vous souhaitez avoir plus d’informations au regard de la réglementation en vigueur, n’hésitez pas à faire appel à nos experts pour vous conseiller. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter. Contactez-nous ici.

[1] Cour de cassation, 28 septembre 1999, n°98-83.675

 

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Auteur Haas Avocats

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