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Discrimination salariale : jusqu’où vont les pouvoirs du juge ?

Rédigé par Haas Avocats | Mar 10, 2025 10:49:27 AM

Par Haas Avocats

Jusqu’où vont les pouvoirs du juge en matière de recherche de la preuve au titre de la discrimination salariale ? Si l’appréciation de ladite discrimination est appréciée par les juges sur la base des faits dans leur ensemble, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle dans son arrêt du 5 février 2025 que le juge n’a pas d’obligation d’ordonner d’office des mesures d’instructions visant à obtenir des preuves supplémentaires. En outre, il appartiendra à l’employeur de démontrer l’absence de discrimination dont il est accusé.

41 ans de carrière et une bataille judiciaire : Jusqu’où aller pour prouver une discrimination salariale ?

Il y a 41 ans, le demandeur débutait sa carrière au cours de laquelle il signera successivement plusieurs contrats de travail. Son dernier poste a été occupé à la Caisse des Dépôts et des Consignations. En 2016, il fait valoir ses droits à la retraite. 

En 2018, il saisit la juridiction prud’homale au motif de discriminations du fait de ses origines et de ses activités syndicales

En 2022, le magistrat chargé de la mise en état l’a débouté de sa demande de communication de pièces relatives à la situation de salariés auxquels il se comparait. Après avoir été également débouté par la Cour d’appel de Paris en février 2023, le demandeur se pourvoit en cassation.

 

 

Mesures d’instruction et discrimination : Le juge a-t-il l’obligation d’agir d’office ?

Le demandeur reproche à l’arrêt de le débouter de ses demandes de rappel de salaire, intéressement et dommages intérêts au titre de la discrimination qu’il a subie. Il soutenait qu’en matière de discrimination dès lors qu’il l’estime nécessaire, le juge ordonne, et au besoin d’office, toutes les mesures d’instruction estimées utiles. 

Selon le demandeur, la Cour d’Appel de Paris avait constaté qu’il n’avait pas pu communiquer les informations pertinentes relatives aux emplois et la rémunération des collègues cités par ses soins alors qu’il les avait demandées dans un premier temps à son employeur, puis dans un second temps, au magistrat chargé de la mise en état en première instance. 

Malgré cela, la Cour d’Appel de Paris n’avait pas ordonné, « au besoin d’office », les mesures d’instruction nécessaires à la démonstration des arguments du demandeur.

C’est à ce titre que le demandeur revendiquait une violation des dispositions du code du travail, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et du code de procédure civile. 

Sur ce point, la Cour de Cassation rappelle textuellement les dispositions de l’article L 1134-1 du code du travail « Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ».

La Cour souligne dans un premier temps que la mesure d’instruction ne lui avait pas été demandée. Puis, elle précise dans un second temps qu’elle n’a pas violé les dispositions mises en avant par le demandeur en n’ordonnant pas d’office la production forcée de pièces. 

En effet, la Cour souligne la nuance apportée par la disposition du code du travail. En effet, il s’agit d’une possibilité, « en cas de besoin », et non une obligation. De plus, elle précise que l’article 144 du code de procédure civile indique, en substance la même idée, à savoir que des « mesures d’instruction peuvent être ordonnées si le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer » : en l’occurrence la Cour de cassation a constaté que la Cour d’appel avait pu apprécier l’ensemble des éléments de preuves et de faits qui lui étaient soumis pour rendre sa décision (i.e. ancienneté des salariés et du demandeur, comparatif des échelons etc.).

Dans ces conditions, la Cour de cassation a considéré que le droit à un procès équitable n’avait pas été violé. 

 

Le juge est-il tenu d’ordonner des mesures d’instruction en cas de discrimination au travail ?

Le demandeur affirmait enfin que la charge de la preuve exigée par les dispositions du code du travail, i.e., à la charge de l’employeur, n’avait pas été respectée. En effet, il a été reproché au demandeur de ne communiquer aucune information sur les emplois et les rémunérations des collègues. Or, il avait sommé l’employeur, et ce plusieurs fois, de lui communiquer ces informations. 

Il convient de noter que la jurisprudence soutenait jusqu’ici la position du demandeur. Depuis 2016, la jurisprudence est unanime à reconnaître que « le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments pouvant porter atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi ». Cette mise en balance a été réaffirmée en 2020 et encore en 2023.

Dans le cas présent, il faut également souligner que, à la suite de l’absence de communication des informations par l’employeur, le demandeur avait renouvelé ces demandes devant le conseiller de la mise en état. 

Pour autant, la Cour rappelle qu’en vertu de la disposition du Code du travail précitée, les éléments de fait sont à apporter par le salarié. Elle rappelle également que c’est à la partie défenderesse, ici l’employeur, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs et dénués de toute discrimination. La Cour précise que des salariés se trouvaient classés au même échelon conventionnel, que rien n’établissait que ce dernier avait été positionné à un grade ne correspondant pas à ses missions, ou qu’il ait subi des refus concernant des formations, de passer des concours etc. Elle conclut en constatant à l’absence d’obstacles aux perspectives de carrière du demandeur. Dès lors, la Cour souligne que dans ce litige l’employeur avait apporté la preuve que ses décisions étaient justifiées par des éléments dépourvus de toute discrimination. 

A la lecture de cet arrêt, faut-il comprendre que les mesures d’instruction ordonnées par le juge ne seraient que facultatives ? Pas nécessairement. La Cour de cassation fait preuve de pédagogie en soulignant que le juge se forme sa propre conviction en fonction des faits qui lui sont soumis. Ce n’est qu’en cas de besoin que le juge dispose de la faculté de recourir aux mesures d’instruction. 

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