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Diffamation ou injure ? La Cour de cassation trace la frontière

Rédigé par Haas Avocats | Apr 7, 2025 2:27:16 PM

Par Haas Avocats

La différence entre diffamation et injure peut être ténue, ce qui amène régulièrement les juridictions à s’interroger sur l’appréciation des propos susceptibles de caractériser l’une ou l’autre de ces infractions.

Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 février 2025[1], la question de l’interprétation des propos s’est à nouveau posée et a amené la Cour d’une part à repréciser le cadre juridique de la diffamation publique par rapport au contexte dans lequel s’inscrit le propos litigieux mais également à traiter de la question de la preuve des faits allégués.

Les faits de l’affaire : Diffamation dans une œuvre littéraire : les limites de la liberté d’expression rappelées

Dans cette affaire, M. [Y] [R], une partie civile, a formé un pourvoi en cassation après que la Cour d'appel de Paris l'a débouté de ses demandes. L'affaire trouve son origine dans la publication d’un livre intitulé « La nuit de [D] [P] », dans lequel plusieurs passages ont été jugés susceptibles de porter atteinte à l’honneur de M. [Y] [R]. En effet, le livre contient des expressions comme « professionnel du crime », « client du [Adresse 4] », ou encore « délinquant reconnu », qui, selon M. [R], sont des imputations diffamatoires à son égard.

Le tribunal correctionnel puis la cour d’appel avaient rejeté les demandes de M. [R], estimant que ces termes n’étaient pas constitutifs de diffamation mais plutôt de « jugements de valeur potentiellement injurieux ». La Cour de cassation, dans son arrêt du 25 février 2025, a annulé cette décision, jugeant que les propos incriminés impliquaient l’allégation d’un fait précis et déterminé, susceptible de porter atteinte à l'honneur de M. [R].

Articulation entre diffamation et injure concernant l’imputation d’un fait précis

La diffamation est définie comme toute expression qui « contient l'imputation d'un fait précis et déterminé, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée »[2].

En d’autres termes, pour qu’une diffamation soit constituée, il convient de démontrer :

  • une imputation factuelle,
  • suffisamment précise pour que la personne visée puisse en être identifiée ou identifiable,
  • que la réalité de l’imputation puisse être vérifiée par une preuve,
  • qu’il puisse y avoir un débat contradictoire sur l’imputation en question.

En effet, il est de jurisprudence constante que l’allégation diffamatoire « doit se présenter sous la forme d’une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire. »[3]

À l’inverse, l’injure ne requiert pas que soit fait le lien avec l’imputation d’un fait quelconque[4].

Dans le cas d’espèce, M. [R] contestait que les termes utilisés dans l’ouvrage fassent référence à des faits précis et identifiables. La Cour d’appel avait jugé que ces expressions étaient des jugements de valeur, des appréciations générales, susceptibles d’être considérées comme des injures, mais pas comme des imputations factuelles (et donc pas comme de la diffamation).

Ce raisonnement a été jugé erroné par la Cour de cassation, qui a estimé que les termes utilisés (« professionnel du crime », « client du [Adresse 4] », « délinquant reconnu ») impliquaient de manière implicite que M. [R] avait un passé criminel, ce qui constitue une allégation d’un fait précis... et donc l’infraction de diffamation.

Il s’en infère que la différence majeure entre diffamation et injure repose bien sur la possibilité de rattacher le propos litigieux à l’imputation d’un fait précis.

Articulation entre moyen de défense du prévenu et arguments de la partie civile

Les auteurs de propos susceptibles de caractériser l’infraction de diffamation peuvent toujours tenter d’opposer la vérité des faits prétendument diffamatoires comme moyen de défense, en apportant la preuve des faits imputés[5]. En effet, l’imputation de faits précis mais avérés relève de la liberté d’expression garantie par l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et peut donc exonérer la responsabilité de l’auteur des propos sous certaines conditions.

Rappelant sa propre jurisprudence visant à garantir un procès équitable, la Cour de cassation rejette la thèse de la partie civile aux termes de laquelle la Cour d’appel aurait dû déduire des éléments de preuve fournis par les prévenus l’existence de faits précis imputés dans les propos litigieux.

En effet, depuis une décision de la chambre criminelle du 26 mai 2021,[6] la Cour de cassation considère que « le prévenu qui a offert de prouver la vérité des faits diffamatoires conformément aux articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse reste recevable à soutenir, lors des débats au fond, que les propos poursuivis ne renferment pas l’imputation ou l’allégation d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat sur la preuve de sa vérité. »

En d’autres termes et en défense, il est possible d’abord d’apporter la preuve de la vérité des imputations pour tenter de s’appuyer sur l’exceptio veritatis, puis, en cas d’échec de ce moyen de défense, de contester la précision des faits imputés ou allégués pour tenter d’obtenir le rejet de la qualification de diffamation concernant les propos litigieux.

En revanche, la Cour de cassation rappelle que la partie civile ne peut pas, pour sa part, s’appuyer sur les preuves du prévenu visant à démontrer la réalité des propos litigieux pour tenter de caractériser la diffamation. Cette jurisprudence permet d’éviter, dans le cas où le prévenu ne parviendrait pas à prouver les faits allégués ou imputés, que la partie civile se fonde sur les éléments de preuve produits par le prévenu lui-même pour justifier du caractère diffamatoire des propos.

Par conséquent, la partie civile devra disposer d’autres éléments de preuves qui lui sont propres pour justifier que les propos litigieux lui imputent un fait précis susceptible de caractériser l’infraction de diffamation.

En définitive, cet arrêt permet de rappeler deux choses en matière d’infraction de presse :

  • d’une part le caractère diffamatoire de propos litigieux s’apprécie par rapport à l’ensemble dans lequel ils s’inscrivent ;
  • d’autre part, la preuve apportée par le prévenu pour démontrer la réalité des faits imputés ne saurait être retournée contre lui par la partie civile pour justifier du caractère diffamatoire des propos.

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[1] Crim. 25 févr. 2025, F-B, n° 23-84.606

[2] article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

[3] Crim. 17 févr. 1981, no 79-92.748

[4] article 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

[5] article 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

[6] Crim., 26 mai 2021, pourvoi n°20-80.884