Dark patterns : la FTC inflige 2,5 milliards à Amazon

Dark patterns : la FTC inflige 2,5 milliards à Amazon
⏱ Lecture 4 min

Par Haas Avocats

La plateforme Amazon se retrouve dans la tourmente juridique aux Etats-Unis. La Federal Trade Commission (FTC) l’accuse d’avoir trompé des millions de consommateurs en les inscrivant à leur insu à l’abonnement payant Amazon Prime, via des interfaces trompeuses et des procédés manipulateurs.

La FTC a sévi : Amazon devra verser une amende civile d’un milliard de dollars, rembourser 1,5 milliard de dollars aux consommateurs lésés par ses pratiques trompeuses d’inscription à Prime et mettre fin à ses pratiques illégales d’inscription et de résiliation.

Amazon face à la FTC : souscription « cachée » et désabonnement infernal

En juin 2023, la FTC a déposé plainte contre Amazon, l’accusant d’avoir « sciemment dupé » les consommateurs pour qu’ils s’inscrivent à Amazon Prime sans consentement explicite. Concrètement, le régulateur reproche à la plateforme d’avoir utilisé des dark patterns incitant insidieusement les clients à souscrire l’abonnement Prime lors de leurs achats, puis d’avoir délibérément compliqué la procédure de résiliation.

Selon la FTC, pendant des années, Amazon a conçu le parcours d’adhésion de sorte que le bouton permettant de finaliser un achat mettait en avant l’inscription à Prime (par exemple via un libellé du type « Obtenir la livraison gratuite »), alors que l’option pour refuser l’abonnement était reléguée de manière peu visible.

Amazon est également accusé d’avoir mis en place un véritable parcours du combattant pour annuler un abonnement Prime.

Avant 2022, un client souhaitant se désabonner devait naviguer à travers un processus en quatre pages, nécessitant six clics et quinze options à choisir pour parvenir à confirmer la résiliation. Ce flux de désabonnement interne était si long et déroutant que les employés d’Amazon l’avaient surnommé en « code iliade » en référence à l’épopée homérique réputée interminable[1]. La FTC affirme que la finalité première de cette procédure était de dissuader les membres Prime d’aller au bout de leur désinscription. Cette pratique aurait largement profité à Amazon : facturé 139 $ par an et offrant la livraison gratuite et des contenus vidéos, Prime constitue un pilier du modèle économique d’Amazon, car les abonnés dépensent en moyenne beaucoup plus sur le site que les non-abonnés. Un responsable d’Amazon avait même déclaré « La course aux abonnements est un univers un peu louche »[2].

Saisie de l’affaire, la Cour Fédérale de Seattle a ouvert le procès fin septembre 2025 et a fait de ce dossier un test important sur la répression des dark patterns aux Etats-Unis. Amazon a contesté les accusations, un porte-parole déclarant que ni la société ni ses dirigeants n’avaient « agi de manière répréhensible » et affirmant qu’Amazon place toujours l’intérêt de ses clients avant toute autre considération.

Néanmoins, après quelques jours de procès, un accord historique est intervenu : Amazon a accepté le 25 septembre 2025 de verser 2,5 milliards de dollars pour clore l’action de la FTC. Cet accord comprend 1 milliard de dollars de pénalité civile et 1,5 milliard de dollars destinés à rembourser les consommateurs lésés, tout en lui imposant de corriger ses procédures d’inscription et de désabonnement.

La FTC s’est félicitée de cette victoire « monumentale », y voyant un signal fort contre les abonnements trompeurs « impossibles à annuler » et un avertissement à l’ensemble du secteur[3].

Dark patterns et pratiques trompeuses : le cadre juridique américain

Aux Etats-Unis, la FTC est chargée de faire respecter le Federal Trade Commission Act, dont la section 5 interdit les pratiques déloyales ou trompeuses en matière commerciale. Pour Amazon, la FTC a estimé que la plateforme violait le ce règlement ainsi que la loi ROSCA encadrant les offres à renouvellement automatique et impose un consentement clair du consommateur ainsi qu’une facilité de résiliation, conditions que la FTC reprochait à Amazon d’avoir bafouées.

Le concept de dark patterns est le fait d’établir des stratagèmes de design d‘interface qui manipulent subtilement l’utilisateur pour influencer ses choix à l’encontre de son intention initiale.

Dans le cas d’Amazon, ces tactiques visaient à favoriser l’adhésion à Prime à l’insu de l’acheteur, par exemple via des formulations trompeuses ou la pré-sélection d’options payantes, et à entraver la liberté de choix lors de la résiliation. La FTC a accusé Amazon d’avoir conçu intentionnellement ce labyrinthe administratif parce que tout assouplissement du processus d’annulation aurait eu un impact négatif sur son chiffre d’affaires.

En 2022 déjà, l’opérateur de téléphonie Vonage avait dû payer 100 millions de dollars pour avoir rendu la résiliation de ses services excessivement difficile : la société obligeait les clients à appeler un service client caché pour annuler et se servait de dark patterns pour bloquer les tentatives de désabonnement[4].

L’accord a contraint l’entreprise à mettre en place un procédé d’annulation simple à utiliser et accessible par le même moyen que l’inscription, et à cesser tout recours aux dark patterns afin de retenir indûment ses abonnés[5].

De même, la FTC a récemment sanctionné d’autres entreprises pour des renouvellements automatiques trompeurs, par exemple Chegg, un service éducatif en ligne, condamné en 2025 à 7,5$ pour avoir dissimulé la marche à suivre pour se désabonner[6].

Malgré la recomposition politique de l’agence en 2025, la FTC a prouvé qu’elle était déterminée à combattre ces pratiques.

Le règlement de 2,5 milliards de dollars de la part d’Amazon est complété par des obligations telles que l’ajout d’un bouton clairement visible pour refuser l’abonnement Prime, afficher sans ambiguïté le prix et la reconduction automatique de l’abonnement, et permettre une désinscription en ligne facile, rapide et gratuite, via le même canal que l’inscription.

Ces exigences visent à assurer que le consentement du consommateur redevienne éclairé et que renoncer à un service ne soit plus un parcours dissuasif.

A l’échelle européenne, les pratiques reprochées à Amazon relèveraient de la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales, qui interdit les comportements trompeurs, y compris les omissions d’informations, altérant la liberté de choix des consommateurs. D’ailleurs, en 2022, l’enquête de la Commission, alimentée par des plaintes d’associations de consommateurs, a contraint Amazon à instaurer un bouton visible permettant une annulation et une résiliation en deux clics.

Dès lors, le cadre législatif européen a été renforcé : le DSA en son article 25 interdit explicitement aux plateformes de concevoir des interfaces qui trompent ou manipulent les utilisateurs.

Pour conclure, l’affaire Amazon Prime montre que les régulateurs américains et européens s’unissent pour lutter contre les dark patterns et garantir un consentement vraiment libre. La sanction record obtenue par la FTC prouve qu’aucun acteur, même très puissant, n’échappe aux exigences de loyauté et de transparence.

***

Le cabinet HAAS Avocats, spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle, est à votre disposition pour vous accompagner dans vos démarches de conformité et pour répondre à toutes vos interrogations sur la régulation des plateformes numériques. Pour nous contacter, cliquez ici.

[1] Amazon referred to its Prime entrapment scheme internally as ‘Iliad,’ a reference to the Trojan Horse from Homer’s epic, FTC claims

[2] 3 FTC Secures Historic $2.5 Billion Settlement Against Amazon

[4] Vonage

[5] Vonage to Pay FTC $100 Million to Settle Dark Patterns Suit

[6] Ed Tech Provider Chegg to Pay $7.5 Million to Settle FTC Allegations Concerning Unlawful Cancellation Practices

 

Haas Avocats

Auteur Haas Avocats

Suivez-nous sur Linkedin