Par Eve Renaud-Chouraqui
La crise économique et sanitaire découlant du COVID-19 agit comme un révélateur de problématiques anciennes dans la concurrence s’exerçant entre les commerçants indépendants, la grande distribution et le commerce en ligne.
La fronde des commerçants indépendants (au sein de commerces physiques), contraints de fermer leurs commerces en application du second confinement national, fait la une de toutes les chaines d’information. Avec l’appui de certains maires, certains ont obtenu l’autorisation de rester ouverts, d’autres cherchent à s’adapter en montant de toutes pièces un site en ligne ou en organisant une activité via le click & collect.
Concurrence déloyale, distorsion de concurrence sont sur toutes les lèvres. La pression exercée est telle que le gouvernement vient d’ordonner à la grande distribution de retirer de la vente les produits non essentiels (fleurs, vêtements, livres, divertissement, décoration, etc..).
Néanmoins, l’ombre redoutée de tous est celle du commerce en ligne qui, depuis le début de la crise sanitaire, a réalisé des résultats en forte croissance et particulièrement une des Big Tech : Amazon, désormais symbole d’une concurrence déloyale des géants du web.
C’est justement dans ce contexte que le Ministre de l’Economie a annoncé une aide à la numérisation des commerces avec des mesures de soutien à la transformation numérique des TPE-PME.
D’une réadaptation temporaire des habitudes des consommateurs au regard des mesures de confinement, la crainte est désormais que celles-ci s’installent durablement et modifient l’écosystème économique de bon nombre de TPE/PME.
Certaines font le choix de muter, se réinventer et solliciter l’intérêt des consommateurs, désormais habitués à instantanéité de leurs habitudes de consommation.
Mais cette voie prend du temps et nécessite un investissement financier... certains commerçants indépendants ne tiendront pas jusqu’à avoir réalisé cette transformation économique, sur la base d’une trésorerie ayant déjà fondu lors des premières mesures de confinement.
1. Le droit est-il un allié dans cette bataille ?
Juridiquement, le droit est-il de leur côté ?
S’il y a bien une distorsion de concurrence, à qui l’imputer ?
A. Les géants du web et les GAFA sont-ils responsables ?
Si le commerce en ligne et les GAFA sortent grandis de cette période de confinement et de la mutation des habitudes de consommation, il est délicat de les considérer responsable de la distorsion de concurrence constatée.
En effet, le positionnement stratégique d’une entreprise (se révélant gagnant dans une situation de crise) ne peut, en tant que tel et à lui-seul, être sanctionné.
De plus, ceux-ci ne sont pas responsables des mesures de confinement prises par le gouvernement.
B. Le gouvernement pourrait-il être considéré comme responsable ?
Il convient de différencier la responsabilité pénale individuelle de chacun des ministres, de celle de l’Etat en général.
Concernant l’Etat, une action à son encontre devrait être portée devant le juge administratif par toute personne physique ou morale estimant que le dommage qu’elle subit est imputable à l’Etat en raison des décisions prises pour la gestion de l’épidémie.
Mais quelle faute pourrait être reprochée à l’Etat ?
Le fait d’avoir instauré des règles de confinement (et des autorisations ou non d’ouverture des magasins en fonction du secteur d’activité et des produits commerciales), qui aboutissent à une concurrence déloyale ou qui instaureraient par leur nature même une distorsion de concurrence entre les différents acteurs du marché, serait-il fautif ?
Les différents contentieux sanitaires analysés dans le cadre de contentieux administratifs introduits contre l’Etat attestent de la nécessité de démontrer une faute d’une particulière gravité, c’est-à-dire apprécier si, au regard des connaissances du danger, l’Etat a agi comme il devait le faire.
Le caractère nouveau du virus, sa méconnaissance, la découverte quotidienne de nouvelles informations le concernant (avec les adaptations qui en découlent), l’urgence et le parallélisme au niveau mondial des mesures de reconfinement face à la deuxième vague sont autant d’éléments qui pourraient compliquer la caractérisation d’une faute d’une particulière gravité de l’Etat.
Une telle situation montre une nouvelle fois que le droit peut être parfois inadapté à la gestion et au traitement des problématiques économiques des entreprises en situation de crise.
2. La réalité, un débat de fond plus important
En effet, le débat actuel semble être l’arbre qui cache la forêt.
Le problème révélé semble plus global et s’étendre au strict cadre des problématiques posées dans le contexte de la crise sanitaire.
Le réel problème ne tient-il pas dans la compétitivité exacerbée des plateformes et des GAFA qui, susceptibles de s’affranchir des règles nationales en raison de leur appartenance étrangère ou d’une infrastructure logistique européenne, instaurent une compétition disruptive pour les commerces tels que nous les connaissions jusqu’alors.
Ce constat a été révélé par l’impossibilité de taxer efficacement les GAFA sur le fruit des activités réalisées en France.
Il a, une nouvelle fois, été révélé lorsqu’Amazon, pourtant contrainte de fermer ses entrepôts et de ne pas procéder à la livraison de produits dits non essentiels lors du premier confinement, a réussi à contourner les interdictions en faisant appel à ses entrepôts européens pour réaliser les livraisons demandées.
Le droit actuel, par les conditions qu’il pose, cumulé à l’extraordinaire agilité des géants du web leur permet de s’affranchir ou, à tout le moins, de limiter l’impact des règles juridiques sur leurs activités.
La situation de détresse dans laquelle se trouvent de nombreux petits commerçants rend cette situation pourtant connue aujourd’hui difficilement supportable, y compris pour une partie de l’opinion.
Les appels à la solidarité (pour les libraires, fleuristes, magasins de jouets) et au « consommer local et français » se multiplient, attestant d’une réaction de repli des consommateurs et des Etats dans ces temps de crise et d’incertitude.
Juridiquement, cela pourrait se traduire par un principe général d’équité concurrentielle, sorte de principe d’ordre public qui voudrait que tous (entreprises privées, publiques nationales ou étrangères) soient placés dans une situation de concurrence juste et équitable et ce, quelles que soient les conditions réelles de son activité économique.
Le débat reste ouvert. Si le principe est, en soi, juste, il doit néanmoins s’articuler avec d’autres grands principes du droit de la concurrence, telles que la concurrence par les mérites.
***
Fort d’une expérience dans le domaine du droit de la concurrence et de la régulation économique, le cabinet Haas Avocats dispose d’un département entièrement dédié à l’accompagnement de ses clients.
Le Cabinet est naturellement à votre entière écoute pour toutes problématiques que vous pourriez rencontrez.
Pour plus d’informations ou des demandes de rendez-vous, contactez nous ici.