Par Hass Avocats
Le tribunal de commerce de Paris a eu l’occasion de statuer sur cette question de l’acceptation des risques d’une hausse des prix de production lors de la conclusion d’un contrat de fourniture d’un périodique1.
Il s’agissait de contrats initialement conclus entre le FIGARO et des groupes de la presse quotidienne régionale en 2019, puis résiliés en décembre 2022.
Depuis la réforme des contrats de 2016, le code civil offre un cadre juridique aux contractants qui souhaiteraient renégocier les conditions de leur engagement. C’est le mécanisme de l’imprévision2 qui prévoit qu’en cas de changement de circonstances imprévisible, rendant l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’a pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant.
En tout état de cause, l’imprévision constitue également une porte de sortie du contrat, dans le cas où les parties ne parviendraient pas à se mettre d’accord et à adapter celui-ci à la nouvelle conjoncture. Le code civil laisse en effet la possibilité aux parties, en cas d’échec ou de refus de la négociation, de convenir de la résolution du contrat.
Si pendant le covid, l’imprévision a régulièrement été sollicitée par les cocontractants, les juges n’y ont pas systématiquement fait droit, faute de preuve3.
En effet, il appartient au juge de vérifier que les conditions de l’imprévision sont remplies :
Force est de constater que les évènements conjoncturels de ces dernières années ont, in fine, entrainé une hausse du coût du papier de 80% entre 2021 et 2022. Difficile d’argumenter dans le sens d’un changement de circonstance qui aurait pu être anticipé lorsque le contrat a été conclu avant janvier 2020.
De même, dans ce cas d’espèce, l’onérosité excessive ne pouvait pas réellement être contestée, le coût d’exécution du contrat ayant presque été multiplié par dix.
Reste au contractant la charge de démontrer qu’il n’avait pas accepté le risque imprévu au moment de la conclusion du contrat.
C’est l’une des conditions essentielles pour déclencher le mécanisme de l’imprévision : il faut pouvoir démontrer que la victime du changement de circonstance imprévisible n’avait pas accepté celui-ci lors de la conclusion du contrat.
Or dans le cas de l’affaire portée devant le Tribunal de commerce de Paris, Le Figaro avait accepté une clause d’indexation consistant à répercuter automatiquement l’évolution du coût de différentes factures dans le prix de revient. En pratique, il existait ainsi un indice papier et un indice énergie, répartis à hauteur de 50% chacun.
C’est à partir de cette clause d’indexation que les juges ont déduit de l’attitude du Figaro son acceptation des risques liés à un éventuel changement de circonstances, même s’il ne s’agissait pas en particulier d’une pandémie mondiale, ou du retour d’un conflit armé sur le territoire européen.
En réalité, la clause d’indexation aurait dû permettre au Figaro de minimiser la hausse des coûts de production, si ce n’est qu’en l’absence de clause permettant un rattrapage, le magazine n’a pu répercuter la hausse des coûts sur son co-contractant. En effet, le décalage de l’indexation du prix de vente sur ces coûts a permis au contractant de résilier les contrats avant toute régularisation.
La question mérite attention puisque c’est sûrement la première fois qu’elle est posée ainsi en ces termes. L’imprévision peut-elle être mise en œuvre pour un contrat déjà résolu ? Autrement dit, un cocontractant qui a subi un changement de circonstances entrainant une hausse des prix peut-il demander une révision rétroactive du prix, alors même que son contrat n’existe plus ?
Le tribunal, dans cette affaire, a accepté par principe qu’une révision rétroactive du prix puisse être invoquée. La demande de révision pour imprévision était recevable alors même que les contrats sur lesquelles elle portait étaient déjà résolus.
Cette solution pourrait ouvrir la porte à de nombreux contentieux. En effet, bon nombre de cocontractants ont dû renoncer à agir en estimant que cela ne valait pas la peine, pour un contrat qu’ils ne souhaitaient plus voir prospérer à l’avenir.
Cela signifie, pour les contractants victimes des changements de circonstances imprévisibles, qu’il est possible d’agir en imprévision pour un contrat résolu, dans la limite des délais de prescription en vigueur4. A l’inverse, il faut prendre garde à ne pas crier victoire trop vite en cas de résiliation d’un contrat puisque, même résolu depuis quelques mois, il peut encore couter cher si la demande de révision rétroactive du prix est acceptée par le juge.
Cette solution est cependant à nuancer, puisque la demande d’imprévision du Figaro provenait surtout du décalage de la facturation : la demande portait sur la facturation 2022, alors que la répartition de la hausse des coûts résultant de la clause d’indexation n’était prise en compte que pour l’année suivante, date à laquelle le contrat avait déjà été résolu.
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1 Tribunal de commerce de Paris, sté du Figaro c/ SA de presse et d’édition du sud-ouest du 15 novembre 2023 n°2022026332
2 Article 1195 du code civil
3 Cour d’appel de Paris – Pôle 5 – Chambre 11, 25 novembre 2022, n°22/00326
4 Délai de prescription de cinq ans (article 2224 du code civil)