Comment protéger juridiquement les données transformées par l’entreprise ?

Comment protéger juridiquement les données transformées par l’entreprise ?
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Par Haas Avocats

L’analyse, le traitement ou la corrélation des données brutes au moyen d’algorithmes sophistiqués, d’outils d’intelligence artificielle et de systèmes de gestion de données permettent d’obtenir des informations précieuses qui soutiennent la prise de décision stratégique et la personnalisation des services.

Or, si les données brutes ne bénéficient pas d’un droit de propriété en tant que tel, qu’en est-il des données qui ont fait l’objet d’un enrichissement par l’entreprise ? Peuvent-elles, au titre de cet enrichissement faire l’objet d’un contrôle renforcé, voire d’une forme d’appropriation ?

L’enrichissement des données : un levier de valorisation juridique sans propriété réelle

Une donnée enrichie est une donnée qui a subi un traitement ou une transformation significative par un acteur économique : mise en relation avec d’autres jeux de données, analyse algorithmique, traitement sémantique, géolocalisation croisée…

Cette donnée « transformée » acquiert alors une valeur ajoutée souvent stratégique.

Contrairement à la simple collecte, cet enrichissement repose sur le savoir-faire de l’entreprise, son expertise métier ou ses technologies propres. Mais cette transformation donne-t-elle lieu à une appropriation juridique nouvelle ?

Le droit français reste prudent sur cette question. Que les données soient brutes ou enrichies, le droit de propriété au sens juridique du terme ne peut trouver à s’appliquer.

Toutefois, par analogie, l’accession par spécification pourrait permettre d’établir des règles quant au partage de la valeur des données enrichies.

En effet, l’article 570 du Code civil prévoit que celui qui utilise une matière première pour créer un nouvel objet (« par spécification) devient propriétaire de l’objet final… sauf si la valeur de la main d’œuvre est inférieure à celle de la matière première (article 571 du Code civil). Transposé au domaine des données, cela soulève une problématique centrale : comment évaluer la valeur de l’enrichissement ?

En pratique, la matière première (les données brutes) a souvent un coût marginal quasi nul, tandis que le travail de valorisation nécessite des moyens humains, techniques et financiers considérables. Cela plaide en faveur d’une reconnaissance du rôle du transformateur, notamment en tant que titulaire d’un savoir-faire protégé.

Protéger les données transformées : le savoir-faire, un actif stratégique à sécuriser

En l’absence de propriété sur la donnée enrichie elle-même, l’entreprise peut protéger son savoir-faire sous plusieurs angles :

  • Secret des affaires: à condition d’avoir mis en place des mesures de confidentialité raisonnables, l’entreprise peut protéger ses méthodes, processus et résultats d’enrichissement contre toute utilisation ou divulgation illicite.
  • Clauses contractuelles: les contrats de prestation, de sous-traitance ou de licence peuvent organiser la répartition des droits sur les données enrichies.
  • Technologies de restriction d’accès: l’entreprise peut techniquement limiter l’usage ou l’extraction des données enrichies par des tiers, via des API fermées ou des formats non interopérables.

Dividende de la donnée : un nouveau modèle contractuel pour partager la valeur ?

Une partie de la doctrine propose d’envisager un partage de la valeur en reconnaissance d’un « dividende de la donnée ». L’utilisateur ou le co-contractant qui a généré les données d’origine, bénéficierait d’un droit proportionné, lorsque celles-ci sont ensuite valorisées par un tiers.

Par analogie, avec l’apport en société, l’entreprise apporterait ses données à un « fonds informationnel » et obtiendrait un droit de retrait ou de participation à la valeur créée, notamment via des mécanismes de portabilité.

Toutefois cette hypothèse soulève de nombreuses difficultés, notamment en ce qui concerne la traçabilité technique de l’enrichissement et la mesure du partage de la valeur. Ainsi, il serait nécessaire de mettre en place des critères de mesure clairs et transparents pour garantir que seul l'enrichissement substantiel donne droit à une rémunération ou à une part de la valeur créée.

La donnée enrichie : entre vide juridique et protection pragmatique

En conclusion, la donnée enrichie cristallise une zone grise en droit : sans être un « bien » au sens juridique du terme, elle porte une valeur stratégique indéniable, issue du savoir-faire de l’entreprise qui la transforme. Dans l’attente d’une reconnaissance juridique de l’enrichissement de la donnée, les outils contractuels et techniques, ainsi que le secret des affaires restent les leviers les plus efficaces pour sécuriser la maîtrise et la valorisation de ces données.

Pour les entreprises, il est donc nécessaire :

  • d’identifier les données enrichies,
  • de formaliser les droits de chaque acteur et
  • de s’assurer que les contrats et systèmes d’informations garantissent une juste répartition des usages et de la valeur.

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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne les acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.

 

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