Par Gérard Haas
Face à l’explosion des cybermenaces, découvrez comment le Zero Trust réconcilie sécurité et liberté numérique, tissant une toile de confiance lucide et humaniste pour protéger entreprises, citoyens et souveraineté européenne. Décryptage.
Comme souvent dans les révolutions silencieuses, celles qui transforment en profondeur nos sociétés sans tambour ni trompette, la cybersécurité n’a pas attendu qu’on la salue : elle s’est insinuée dans nos vies comme l’électricité hier ou l’air que nous respirons depuis toujours. Mais voici qu’en 2025, l’expression « Zero Trust » cristallise autant d’espoirs que de craintes.
À première vue, l’idée paraît presque provocatrice : refuser a priori toute confiance, ériger la suspicion en principe cardinal ? Comment ne pas y voir un symptôme de cette époque que certains jugent paranoïaque, saturée de contrôles et de mots de passe ? Et pourtant, lorsqu’on y regarde de plus près, le Zero Trust pourrait bien être la face technologique d’une sagesse politique plus ancienne : celle qu’Épicure, Machiavel ou Kant résumaient en un leitmotiv si simple qu’il en devient radical : « Compter avant tout sur des institutions plutôt que sur la bonne volonté des individus. »
Lorsque la CNIL, en France, déclare avoir reçu près de six mille notifications de fuite de données en 2024, soit près d’un tiers de plus qu’en 2023, comment s’étonner que le modèle traditionnel « castle & moat », la citadelle ceinte de douves, paraisse voué au crépuscule ? Nous vivons désormais dans un réseau aux frontières liquides : le télétravail d’un côté, l’Internet des objets de l’autre, et entre les deux, le cloud, ce panthéon numérique où s’entreposent nos secrets les plus intimes. Le périmètre a explosé ; la confiance, elle, s’est évaporée.
« Nous renonçons à une confiance naïve pour conquérir une autonomie plus haute. »
C’est ici que survient la métaphore philosophique : on croyait, depuis Locke, que la société pouvait se bâtir sur un contrat tacite de confiance réciproque ; voici qu’il faut, à l’inverse, inscrire la défiance au cœur même du système pour mieux protéger la liberté individuelle. Pas de contradiction, en vérité : nous renonçons à une confiance naïve pour conquérir une autonomie plus haute. De la même manière qu’une constitution limite le pouvoir tout en le rendant plus légitime, le Zero Trust limite l’accès aux ressources tout en rendant l’usage du cyberespace plus sûr.
Le grand mérite du concept, salué par le NIST aux États-Unis puis, en Europe, encensé dans les lignes encore fraîches de la directive NIS2, est d’offrir un « chemin de crête » : celui qui évite aussi bien la laxité que la tyrannie numérique. Point de verrouillage brutal ; point, non plus, de laisser-faire. L’architecture Zero Trust, rappelons-le, repose sur cinq piliers : l’inventaire continu des actifs, le contrôle strict des identités, la micro-segmentation du réseau, le chiffrement systématique et la surveillance en temps réel. Rien, dans cette liste, qui relève de la magie ou de la science-fiction ; tout, au contraire, s’inscrit dans un humanisme technique : connaître pour protéger, diviser pour mieux relier, chiffrer pour mieux partager, surveiller pour mieux comprendre.
« Nous ne bâtissons pas un labyrinthe ; nous tressons une toile dont chaque nœud s’identifie avant de se lier. »
J’entends déjà l’objection : « Nous ajouterions donc de la complexité à un monde déjà saturé ? » C’est méconnaître la dynamique des systèmes. Au fond, le Zero Trust procède d’un principe mathématique élémentaire : réduire la surface d’attaque, c’est augmenter exponentiellement la résilience. Quand Gartner prédit que, d’ici fin 2025, 70 % des accès distants se feront via des solutions ZTNA et non plus via des VPN, il ne s’agit pas d’une prophétie de consultants fascinés par la nouveauté ; c’est la simple conséquence d’une équation : plus le nombre de portes est grand, plus il faut les verrouiller individuellement. Nous ne bâtissons pas un labyrinthe ; nous tressons une toile dont chaque nœud s’identifie avant de se lier.
Permettez-moi ici une digression sur le terme même de « confiance ». Dans l’étymologie latine, "fiducia" renvoie à la foi et au crédit accordé à autrui. Or, comme l’a montré Georg Simmel, la confiance n’est pas l’ennemie de la rationalité ; elle naît lorsque l’on sait que, malgré le risque, l’autre se conformera à certaines attentes. En transposant ce raisonnement au numérique, on comprend que la confiance ne peut plus être une donnée implicite ; elle devient une variable contrôlée. Reconnaître un device, valider une identité, tracer un flux, ce n’est pas soupçonner l’utilisateur ; c’est recréer les conditions d’une confiance que la virtualité a rendue intangible.
Mais quel en sera le coût ? La question est moins financière que culturelle. Les chiffres, d’abord : oui, mettre en place un système d’authentification multifacteur, segmenter des réseaux historiques, unifier des journaux en XDR, tout cela se chiffre en millions d’euros pour une grande organisation. Mais la facture des rançongiciels se compte déjà en milliards ; la sanction pour non-conformité à NIS2 pourra atteindre, demain, 2 % du chiffre d’affaires. On voit où penche la balance.
« La technologie n’éteint jamais la dimension morale ; elle la déplace. »
Le vrai prix, pourtant, est ailleurs : c’est la remise en cause de nos habitudes. Depuis l’invention de l’informatique personnelle, l’utilisateur a été élevé dans l’illusion d’une continuité transparente : on allume l’ordinateur, on se connecte, on clique. Le Zero Trust, c’est l’irruption d’un rite, d’un contrôle, d’un passage obligé ; bref, d’une réalité rappelant que le cyberespace n’est pas un empire sans lois. Luc Ferry, dans "La Révolution transhumaniste", observait que la technologie n’éteint jamais la dimension morale ; elle la déplace. De la même façon, le Zero Trust déplace la frontière entre liberté et responsabilité : à l’employé, il n’interdit pas d’accéder ; il lui rappelle qu’il porte, par son identifiant, la clef du royaume.
Tout l’art consiste alors à éviter que la sécurité ne devienne une liturgie kafkaïenne. Les plus avancés des fournisseurs l’ont compris : l’expérience utilisateur est le talon d’Achille du Zero Trust. D’où ces mécanismes d’authentification adaptative qui pondèrent le risque : si vous vous connectez depuis votre poste habituel, à l’heure habituelle, pour accéder à un fichier non sensible, l’effort de preuve sera minimal ; s’il s’agit, en revanche, d’entrer dans le coffre-fort des secrets, la barrière se relève. En cela, la cybersécurité rejoint l’éthique : l’exigence croît avec la valeur de l’objet protégé.
Au-delà des entreprises, c’est la cité démocratique qui se trouve impliquée. Le numérique est désormais le système sanguin de nos hôpitaux, de nos administrations, de nos élections. Transposer un modèle Zero Trust à l’échelle de la nation, c’est accepter que la souveraineté se joue autant dans les algorithmes que dans les urnes. L’Europe, avec son cloud de confiance et ses réglementations, tente de concilier ouverture et maîtrise ; elle sait, par expérience historique, que la dépendance technique peut devenir une dépendance politique.
« À l’ère des réseaux, l’homme demeure la mesure de toutes choses. »
Reste la question des talents : la France manque, dit-on, de quinze mille spécialistes cyber. « L’âme est vide quand elle n’a pas trouvé son œuvre », écrivait Hannah Arendt. Notre défi sera donc anthropologique : former des ingénieurs, certes, mais aussi des philosophes du numérique capables de penser la sécurité comme une œuvre de liberté. Car le Zero Trust, loin d’être un simple protocole, est une manière de dire qu’à l’ère des réseaux, l’homme demeure la mesure de toutes choses : c’est lui qui définit la politique des accès, lui qui arbitre entre facilité et sûreté, lui qui, au terme, décide qu’un système est digne de confiance.
« Le progrès n’abolit jamais le risque ; il le déplace. »
En guise de conclusion rappelons-nous que le progrès n’abolit jamais le risque ; il le déplace. Le Zero Trust n’est pas une citadelle imprenable, mais un art de bâtir des ponts dont chaque planche serait testée, numérotée, suivie. Telle est la sagesse secrète de ce modèle : il fait de la vigilance un humanisme, de la défiance un gage de respect. Et parce qu’il place, au cœur de la technique, la lucidité plutôt que la peur, il incarne, pour nos sociétés connectées, une promesse d’émancipation aussi inédite que nécessaire.
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Source :
https://www.hexatrust.com/hexatrust-publie-son-livre-blanc-zero-trust-au-fic/
https://www.epsight.fr/nos-expertises/zero-trust-pourquoi-adopter-cette-strategie-en-2025/