Par Haas Avocats
L'intégration de ChatGPT dans les plateformes e-commerce transforme les pratiques des consommateurs. Walmart, Target, Shopify et Etsy permettent désormais à leurs clients d'effectuer des achats directement via le chatbot d'OpenAI, sans quitter l'interface conversationnelle. Amazon teste également cette technologie en développant sa propre solution.Cette évolution soulève des questions juridiques inédites en matière de responsabilité, de concurrence et de propriété intellectuelle. Environ 2% des internautes américains utilisent déjà l'IA générative pour leurs achats en ligne, un chiffre appelé à croître rapidement, notamment chez les plus jeunes dont le pouvoir d’achat ne va pas tarder à augmenter significativement.
L'intégration de ChatGPT dans le secteur du e-commerce repose sur une architecture technique spécifique et mobilise désormais les principaux acteurs du retail mondial. Pour comprendre les enjeux juridiques de cette transformation, il convient d'abord d'appréhender le fonctionnement du commerce conversationnel (A) avant d'identifier les entreprises qui adoptent cette technologie et les implications stratégiques de ces choix (B).
Le commerce conversationnel via ChatGPT transforme radicalement l'expérience d'achat en ligne. Les utilisateurs dialoguent naturellement avec le chatbot qui recommande des produits, compare les options et finalise la transaction sans redirection vers un site marchand.
Techniquement, OpenAI s'appuie sur Stripe pour gérer les paiements, avec 135 méthodes disponibles. Le modèle économique repose sur des commissions entre 5 % et 30 % prélevées sur chaque vente, positionnant OpenAI comme nouvel intermédiaire entre retailers et consommateurs.
L'objectif stratégique d'OpenAI est de transformer ChatGPT en « portail de vie quotidienne », une super-app centralisant l'ensemble des besoins numériques des utilisateurs. Cette ambition se concrétise également par le lancement d'Atlas, un navigateur web concurrent de Google Chrome intégrant nativement ChatGPT.
Les géants américains du retail sont les premiers à adopter cette technologie. Walmart et Target, deux poids lourds de la distribution, ont intégré ChatGPT dans leur parcours client. Shopify, qui équipe des millions de commerçants en ligne, déploie également cette fonctionnalité pour l'ensemble de son écosystème.
Etsy, la marketplace spécialisée dans les produits artisanaux, mise sur l'IA conversationnelle pour améliorer la découverte de produits dans son catalogue de plusieurs millions d'articles. Amazon, bien que plus discret, conduit actuellement des tests sur cette technologie.
Cette adoption massive par les leaders du marché crée un effet d'entraînement. Les retailers de taille moyenne devront rapidement évaluer l'opportunité d'intégrer ces technologies pour rester compétitifs, tout en mesurant les risques juridiques associés.
À défaut, c’est tout l’écosystème, dont profite aujourd’hui largement les grands distributeurs, qui pourrait être remis en cause au profit de relations plus directes entre consommateurs et fournisseurs. À la manière des révolutions Amazon, Alibaba et Shein, le nouvel intermédiaire qui vous rapproche toujours plus de vos créateurs, marques et fournisseurs de produits préférés pourrait être votre assistant chatbot.
L'émergence du commerce conversationnel soulève deux catégories de risques juridiques pour les entreprises. D'une part, la question de la responsabilité civile en cas de dysfonctionnement ou de préjudice causé au consommateur appelle une analyse des cadres juridiques existants et de leur adaptation aux intermédiaires algorithmiques (A). D'autre part, les risques en matière de concurrence déloyale et de propriété intellectuelle nécessitent une vigilance, notamment au regard des évolutions réglementaires européennes et américaines (B).
La question de la responsabilité constitue le premier défi juridique majeur. Lorsque ChatGPT recommande un produit inadapté, défectueux ou dangereux, qui en répond ? Le retailer vendeur, OpenAI en tant qu'intermédiaire technologique, ou les deux solidairement ?
Les cadres juridiques actuels de responsabilité du fait des produits défectueux et de protection du consommateur n'ont pas été conçus pour ces nouveaux intermédiaires algorithmiques. La directive européenne sur la responsabilité du fait des produits défectueux, comme le droit français de la responsabilité civile, peinent à qualifier juridiquement le rôle de ChatGPT dans la chaîne de distribution.
OpenAI pourrait-il être qualifié de distributeur au sens juridique ? D'intermédiaire technique bénéficiant d'une exonération de responsabilité ? Ou d'agent commercial du retailer ? Ces qualifications emportent des conséquences radicalement différentes en termes de responsabilité.
Les entreprises qui intègrent ChatGPT doivent impérativement anticiper ces questions dans leurs contrats avec OpenAI et adapter leurs conditions générales de vente pour clarifier les responsabilités respectives vis-à-vis des consommateurs. Une clause de responsabilité mal rédigée pourrait exposer le retailer à des contentieux coûteux.
Le deuxième risque majeur concerne la concurrence déloyale. ChatGPT devient simultanément juge et partie : il choisit discrétionnairement quels produits recommander parmi les retailers partenaires, sans transparence sur les critères de sélection.
Cette opacité algorithmique pose une double question. D'une part, les retailers non-partenaires subissent potentiellement un désavantage concurrentiel, leurs produits n'étant jamais recommandés par ChatGPT. D'autre part, même entre partenaires, les critères de priorité demeurent inconnus : la recommandation repose-t-elle sur la pertinence produit, le montant de la commission, ou d'autres facteurs commerciaux ?
Les autorités de concurrence, notamment la Commission européenne avec le Digital Markets Act et la FTC américaine, devront se positionner rapidement sur ces pratiques qui s'apparentent à du favoritisme commercial déguisé en conseil neutre.
Sur le plan de la propriété intellectuelle, ChatGPT a été entraîné sur des contenus dont la licéité d'utilisation reste largement contestée en justice. Les retailers qui s'associent à OpenAI pourraient être exposés à des actions en contrefaçon par ricochet si des ayants droit établissent que leurs œuvres protégées ont été utilisées illégalement pour entraîner le modèle.
Enfin, la récente jurisprudence européenne et française sur l'IA générative démontre une vigilance accrue des juridictions sur ces questions. Les entreprises doivent donc conduire une analyse juridique avant toute intégration de ChatGPT dans leur parcours commercial, en évaluant précisément leur exposition aux risques de responsabilité, de concurrence déloyale et de contrefaçon.
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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne les acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.