Par Gérard Haas
Avez-vous récemment reçu un e‑mail vous menaçant de dénonciation auprès de la CNIL ? Vous n’êtes pas seul. À l’ère des rançongiciels 2.0, un nouveau chantage réglementaire s’installe.Il ressort de plusieurs dossiers récemment traités par le cabinet HAAS Avocats que des groupes criminels instrumentalisent désormais le RGPD comme levier d’extorsion. Conçu comme un bouclier de la protection des données, le texte se mue en outil de pression, brandi sous la menace d’une plainte et de sanctions. Les malfaiteurs jouent de la peur du gendarme numérique pour monnayer leur silence. Bienvenue dans les coulisses d’un marché noir, aussi discret que lucratif : le chantage à la plainte RGPD.
Depuis 2025, les attaques par rançongiciels ont basculé dans une ère de prédation méthodique. Les cybercriminels ne se contentent plus de chiffrer des données : ils détournent le droit à leur profit. Le RGPD — ses délais, ses procédures, ses amendes — devient l’ossature d’un chantage normatif. L’objectif est assumé : instiller une panique réglementaire au cœur de l’entreprise, du COMEX à l’IT.
La mécanique est implacable. Les attaquants se parent des habits du régulateur, exhibent leur maîtrise de la procédure, citent les articles 33 et 34 (notification sous 72 heures et information des personnes concernées) et brandissent l’épée de Damoclès de l’article 83 (sanctions jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial).
À la clé : un compte à rebours qui écrase les décideurs, une pression réputationnelle chirurgicale, et la menace explicite d’alerter clients, partenaires et autorités. En un instant, le RGPD se mue en levier d’extorsion, et la boîte mail de la direction en théâtre d’intimidation.
Le modus operandi suit un canevas précis, à mi-chemin entre intrusion technique et dramaturgie juridique. Il se décline en cinq temps, réglés comme une mécanique d’extorsion.
Les cinq phases
1️⃣Intrusion et inventaire
Pénétration silencieuse, exfiltration ciblée, cartographie des systèmes d’information.
Les attaquants identifient la chaîne de sous-traitance (RGPD, article 28) et débusquent les angles morts de la gouvernance sécurité (article 32).
Objectif : constituer un dossier accusatoire et un levier de pression.
2️⃣Mise en demeure officieuse
Un courriel, soigneusement rédigé, adopte le lexique du régulateur : obligations RGPD, références à la CNIL (ou une autre autorité), articles cités, délais, barèmes.
Le ton est faussement administratif ; l’intention, résolument coercitive.
3️⃣Compte à rebours
L’exigence de rançon s’accompagne d’une horloge interne : les 72 heures deviennent une « minuterie » d’angoisse organisationnelle.
Menaces explicites : dépôt de plainte, publicité de la faille, fuite de données si l’entreprise ne cède pas.
4️⃣Pressions parallèles
Les criminels superposent les leviers : divulgation séquencée d’archives, messages ciblés à des dirigeants ou à leurs proches, jusqu’à des menaces physiques (40 % des cas).
La pression réputationnelle monte à mesure que l’horloge tourne.
5️⃣ Récidive
Les structures demeurées vulnérables sont revisitées : même faille, acteurs différents, revendication nouvelle — et un tempo accéléré.
La leçon est limpide : l’impunité apparente appelle la répétition.
Résultat, pensée comme un rempart, la réglementation se mue, sous contrainte, en levier d’extorsion. Le droit, retourné contre l’entreprise, enferme la direction dans un étau temporel et médiatique, où chaque minute coûte en réputation comme en trésorerie.
Le chantage prospère parce que l’entreprise se bat sur deux fronts. Technique, d’abord (continuité d’activité, sauvegardes, SI). Juridique, ensuite (délais, preuves, notifications). Ce couplage crée un étau .Nous constatons qu’à ce stade, les pirates exploitent quatre points faibles.
Zoom sur les articles du RGPD les plus instrumentalisés
Article | Objet | Exploitation par les attaquants |
Art. 28 | Sous-traitance | Menace d’exposer le manque de contrôle sur les accès tiers |
Art. 32 | Sécurité des données | Mise en avant de la compromission, pressions sur l’intégrité/confidentialité |
Art. 33 | Notification sous 72 h | Utilisation comme « minuterie » de chantage, panique organisationnelle |
Art. 34 | Notification des personnes | Pression via l’obligation d’informer les victimes, crainte d’atteinte à la réputation |
Art. 83 | Sanctions | Arme principale : crainte d’amende pouvant atteindre 4 % du CA mondial |
La crise ne se limite plus aux systèmes d’information. Elle s’étend au juridique et au médiatique. Pendant que l’IT rétablit, l’horloge réglementaire tourne. La communication agit sous contrainte, face à la menace d’une plainte publique ou d’une fuite orchestrée.
Double coût. Technique: remédiation, analyses forensiques, pertes d’exploitation. Juridique: sanctions, contentieux, actions collectives. Chaque décision pèse à la fois sur la trésorerie et sur l’image.
La récidive est fréquente. Une organisation qui paie ou communique mal devient une cible récurrente. D’autres groupes reviennent, plus vite.
Les assureurs durcissent le cadre: clauses sur le paiement de rançon, preuves de mesures de sécurité (article 32), exclusions en cas de manquement grave.
Au centre, la direction juridique fait pivot.
Qualifier l’incident, décider de notifier ou non, coordonner avec l’ANSSI et les autorités.
Finalité : réduire l’exposition, maîtriser le calendrier, restaurer la crédibilité.
5 Réflexes à adopter
Réflexe | Actions clés |
1. Procédures internes de gestion des violations | Registre éclair (faits, impacts, décisions)- Chaine d'alerte à froid - Fiches réflexes par équipe (IT, juridique, com, RGPD) |
2. Notification et relations autorités | Collecter les éléments probants et qualifier l'incident - Gérer l'article 33 sans panique (72heures) - Points de contact prêts : ANSSI, cybermalveillance.gouv.fr, forces de l'ordre |
3. Formations et exercices de crise | Tabletop incluant volets juridique et médiatiques (pas seulement technique) - Entrainement des porte-parole - Retours d'expérience formalisés |
4. Gouvernance de crise resserrée | Comité pluridisciplinaire (juridique, DPO, RSSI, communication, RH) - Rôles et décisions documentés (qui/quoi/quand/pourquoi) - Circuit de validation rapide |
5. Politique éthique de rançon | Cadre aligné avec l'assurance - Doctrine interne écrite (critères, garde-fous) - Processus de décision tracé (GD/juridique) |
Pour réduire le pouvoir de nuisance des extorqueurs qui instrumentalisent le droit, trois chantiers s’imposent, concrets et vérifiables.
1) Cartographier et contractualiser la sous-traitance (article 28)
2) Prouver l’« état de l’art » sécurité (article 32)
3) Industrialiser la réponse (articles 33 et 34)
Répétons-le: le RGPD n’est pas le problème; son instrumentalisation l’est. Dans l’écosystème criminel, l’effet de levier juridique est évident: extorquer plus en investissant moins dans la technique.
La réponse consiste à retransformer le droit en bouclier:
Sous la pression d’un compte à rebours, documenter vaut de l’or.
Un DPO outillé, un RSSI qui produit vite des faits (pas des hypothèses), une direction juridique qui cadre la qualification de l’incident: autant d’éléments qui neutralisent l’argumentaire adverse.
Au-delà des systèmes, deux variables font la différence.
Les groupes criminels reconnaissent une organisation préparée: elle gagne du temps, fracture la narration adverse et requalifie l’attaque en dossier gérable, non en apocalypse.
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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.