Par Kate Jarrard et Marie Torelli
Dans son arrêt du 1er octobre 2019, rendu après cassation, la cour d’appel de Paris conclut une affaire de longue haleine opposant une maison de vente aux enchères, un photographe et une société exploitant une base de données en ligne sur la question de l’originalité de catalogues d’objets d’Art déco.
S’il aura fallu presque dix ans pour trancher cette question, c’est parce que derrière cette décennie de débats juridiques se cachait, en réalité, une bataille pour un modèle économique, celui des bases de données.
1. Le cas d’espèce
En 2009, la maison de vente aux enchères Camard et son photographe ont constaté la numérisation et la mise à disposition du public de l’intégralité de leurs catalogues sur la base de données en ligne éditée par la société Artprice et ce, sans leur autorisation.
Alors qu’ils auraient pu se contenter d’assigner Artprice en concurrence déloyale et en parasitisme, la société Camard et son photographe ont également saisi le tribunal d’une action en contrefaçon de droits d’auteur.
Or, compte tenu de leur caractère éminemment descriptif, il était loin d’être établi que de tels catalogues étaient originaux, critère pourtant déterminant pour bénéficier de la protection du droit d’auteur.
Ainsi, par jugement en date du 22 septembre 2010, le tribunal de grande instance de Paris avait déclaré la société Camard et son photographe irrecevables à agir sur le fondement du droit d’auteur, faute d’originalité des catalogues litigieux.
2. La première décision de la cour d’appel de Paris
Saisie une première fois de l’affaire en 2013, la cour d’appel de Paris n’avait pas souscrit à une telle analyse.
Pour constater l’originalité des catalogues litigieux, la cour d’appel s’en remet à leur composition, la rédaction des descriptions et des notices biographiques, le choix des citations et des photographies qui vont, selon elle, « au-delà d’une simple information purement descriptive ».
En revanche, aux yeux de la cour, parmi les catalogues qui lui avaient été soumis, certains sont dénués d’originalité, eu égard notamment à la banalité de leur mise en page et à l’absence de recherche esthétique manifeste.
Enfin, en ce qui concerne les photographies, la cour d’appel estime que l’angle de la prise de vue, les jeux d’ombre et de lumière ainsi que le cadrage réalisé sont autant d’indices permettant de conclure à leur originalité.
Ainsi, la reproduction de ces catalogues, sans l’autorisation de leurs auteurs, constitue bien un acte de contrefaçon.
Contestant l’ensemble des arguments de la cour d’appel, la société Artprice s’était pourvue en cassation.
3. L’analyse de la Cour de cassation
Pour la haute Cour, les choix relevés, tant en ce qui concerne les catalogues que les photographies, loin d’être fonctionnels, témoignaient bel et bien d’un parti pris esthétique de leur auteur, propre à caractériser leur originalité.
Par cet arrêt du 5 avril 2018, si le débat sur la nature originale des catalogues était tranché, l’affaire n’était pas conclue pour autant.
La Cour renvoyait en effet à la cour d’appel de Paris le soin d’apprécier les atteintes à la paternité et à l’intégrité des photographies.
4. La seconde décision de la cour d’appel de Paris
Dans son arrêt du 1er octobre 2019, la cour d’appel de Paris précise le contour des atteintes à la paternité et à l’intégrité des photographies figurant sur les catalogues.
En effet, en plus d’avoir été reproduites sans l’accord de leur auteur, les photographies litigieuses avaient été recadrées et créditées à des tiers.
La cour d’appel, faisant une application classique des règles du droit d’auteur, estima alors, d’une part, que le photographe était en droit d’exiger que seul son nom figure au titre de crédits des images reproduites et, d’autre part, que leur recadrage constituait une atteinte à l’intégrité de l’œuvre susceptible d’être indemnisée en vertu du droit moral que détient l’auteur sur son œuvre.
5. L’affaiblissement du business model des bases de données
Le modèle économique des bases de données a ceci de paradoxal qu’il repose sur l’agrégation de contenus qui ne leur appartiennent pas.
Lorsque ce contenu est susceptible d’être protégé au titre du droit d’auteur, il est nécessaire, d’une part, de rémunérer son ou ses auteurs et, d’autre part, d’obtenir leur consentement à cette agrégation.
Or, en numérisant des catalogues qui sont traditionnellement non protégeables du fait de leur caractère descriptif, Artprice n’était pas tenue par de telles obligations, ce qui lui permettait de délivrer une information exhaustive sur l’état du marché de l’art à faible coût.
Cette affaire est de nature à remettre en cause le modèle économique de ces immenses bases de données qui sont désormais tenues de mettre en place des systèmes efficaces leur permettant de détecter le caractère contrefaisant de certains des contenus agrégés.
Même si, en réalité, peu de catalogues pourront revendiquer le titre d’œuvre, le producteur de base de données n’est jamais à l’abri de l’appréciation au cas par cas de l’originalité par les juges.
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