Par Gérard Haas, Eve Renaud-Chouraqui et Sara Bakli
Dans une récente décision du Tribunal de Commerce de Paris du 28 mars 2022, Google s’est vu condamnée au paiement d’une amende de 2 millions d’euros, outre l’obligation de modifier, dans un délai de trois mois, ses conditions contractuelles considérées comme déséquilibrées.
Au cours des années 2015 et 2016, les services de la DGCCRF ont mené une enquête relative aux conditions commerciales liant les sociétés Google aux développeurs d’applications proposant sur le marché français leurs produits à la vente sur la plateforme Play Store[1].
Les résultats de l’enquête ont conduit le Ministère de l’économie à introduire une action contre Google sur le fondement de l’article L.442-6 du Code de commerce, socle des « pratiques restrictives de concurrence ».
Rappelons que les pratiques restrictives de concurrence, spécificité du droit français, visent à sanctionner les abus dans les relations commerciales entre entreprises. Dérogeant au principe de la liberté contractuelle, elles doivent permettre de s’assurer de relations commerciales équilibrées entre acteurs économiques.
Elles se distinguent des pratiques anti-concurrentielles qui visent, quant à elles à sanctionner des abus sur un marché considéré.
En l’espèce, Google est condamnée pour avoir imposé des conditions contractuelles soumettant ses développeurs à des obligations créant un déséquilibre significatif.
L’appréciation d’une « soumission ou tentative de soumission » d’un partenaire commercial, créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, procède d’une analyse du contexte de la relation économique (1) et des effets créés par cette relation (2).
Le Tribunal de commerce a relevé que Google Play occupait une position majeure sur le marché français. Android représente plus de 78% des parts de marché des systèmes d’exploitation mobiles dans le monde et 65% des parts de marché en France.
Ainsi, Google aurait la capacité de placer sous « dépendance » un certain nombre de cocontractants, au point que, selon le juge :
« Les développeurs ne peuvent se permettre de ne pas proposer leurs produits sur Google Play sauf à perdre une clientèle considérable »[2].
Cette situation de dépendance économique peut être caractérisée au travers d’un faisceau d’indices, au rang desquels figurent :
L’existence d’un déséquilibre significatif dans l’analyse des clauses imposées dans le contrat de distribution découle du fait que, favorisée par cette position de leader sur le marché concerné, ces clauses sont imposées, sans possibilité de négociation pour les développeurs d’application.
Le déséquilibre significatif procède donc d’une analyse globale de l’économie du contrat, ainsi que du contexte.
L’existence d’un « déséquilibre significatif » est communément appréciée au travers de conditions :
Le fait de soumettre son partenaire commercial implique que celui-ci se soit vu contraint d’accepter des conditions contractuelles sans pouvoir les négocier de manière effective.
Il y aura tentative de soumission lorsque le résultat a été recherché par l’auteur, sans nécessairement avoir été obtenu.
Les clauses dénoncées permettaient, à l’avantage de Google :
Selon le juge, en ce qui concerne les tarifs et la rémunération des développeurs, aucune justification n’était donnée par Google concernant la fourchette de prix imposée, alors que par ailleurs, aucun risque financier n’était supporté. Ces paramètres causaient un déséquilibre significatif, résultant de la seule inadéquation du prix au service.
De même, la faculté de résiliation immédiate conduisait tout développeur à accepter des conditions contractuelles, ou une modification unilatérale et discrétionnaire de ces dernières par Google en cours de contrat, même si elles lui étaient défavorables.
Ces pratiques commerciales portent ainsi atteinte à la loyauté des relations commerciales, ce qui justifie la sanction prononcée à l’égard de Google.
La société Google avait déjà été sanctionnée par l’Autorité garante de la concurrence et du marché italienne (AGCM), pour avoir refusé pendant près de deux ans l’entrée sur sa plateforme Google Play d’une application de localisation de bornes de recharges pour véhicules électriques (l’application « Juice Pass »), au paiement d’une amende de 102 millions d’euros sur le fondement des pratiques anti-concurrentielles- abus de position dominante.
Un soin particulier doit être porté à la rédaction des conditions commerciales liant les entreprises dans le cadre de leurs partenariats. Toute condition contractuelle déséquilibrée est susceptible d’engendrer un risque sérieux dans le cadre de la relation, qu’il soit ou non en situation monopolistique sur un marché.
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[1] Le dispositif Google Play ou Google Play Store est une plateforme de Google, offrant la distribution d’applications tierces, s’appuyant sur des fonctionnalités spécifiques d’Android, et sur laquelle il est offert aux utilisateurs de tablette ou de smartphones de se connecter pour accéder à ces applications.
[2] Le système App Store d’Apple étant un marché différent, non substituable à celui de Google Play.