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Affaire Winamax : un tournant pour les joueurs de paris en ligne ?

Rédigé par Haas Avocats | Sep 1, 2025 1:55:17 PM

Par Haas Avocats

Depuis une dizaine d’années, et plus encore depuis la crise sanitaire liée à la Covid-19, le marché des paris en ligne connaît une croissance exponentielle. En 2024, ce secteur représentait en France un chiffre d’affaires de près de 14 milliards d’euros[1].

Toutefois, cet essor s’accompagne d’une multiplication des contentieux opposant les opérateurs de jeux en ligne à leurs utilisateurs, lesquels invoquent des pratiques abusives.

En effet, les jeux d’argent et de hasard étant qualifiés de services marchands, les joueurs bénéficient, en tant que consommateurs, des mêmes droits et protections que pour tout autre bien ou service. À ce titre, ils peuvent légitimement saisir le juge afin de faire respecter leurs droits.

Les pratiques des opérateurs de paris en ligne dénoncées par les joueurs

De nombreux griefs sont aujourd’hui formulés contre les opérateurs de paris en ligne. Les joueurs leur reprochent notamment des pratiques commerciales déloyales, la reprise abusive de bonus de bienvenue initialement versés, des limitations arbitraires dans les possibilités de paris, des blocages de mises ou la suspension unilatérale de comptes, ou encore le refus pur et simple de verser les gains réalisés. Les joueurs dénoncent en particulier un traitement discriminatoire à l’égard des profils considérés comme « gagnants », lesquels sont suivis de près par des services internes spécialisés. Ne constituant pas une clientèle rentable pour l’opérateur, ces joueurs se voient imposer diverses restrictions : limitation des mises, accès restreint à certaines cotes, voire clôture de leurs comptes[2].

À cet égard, des témoignages d’anciens salariés du secteur confirment l’existence de telles pratiques. Ainsi, un ancien trader, Sébastien Jung, a admis avoir dû limiter l’activité de joueurs trop performants, tandis que les clients perdants, désignés dans le milieu comme des « pigeons », étaient laissés libres de jouer sans contrainte.

Jeux d’argent en ligne : des arguments contestés face aux accusations d’addiction et de fraude

Face à ces accusations, les opérateurs invoquent plusieurs arguments tels que la nécessité de prévenir le jeu excessif et l’addiction, la lutte contre la fraude, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ou encore la protection de leur propre exposition financière. Ils ajoutent que certains joueurs adopteraient des comportements déloyaux parmi lesquels des paris pris en direct depuis le lieu des matchs afin de profiter du décalage entre la retransmission télévisée et l’événement réel, l’usage d’informations confidentielles obtenues en interne, ou encore la mise en œuvre de stratégies de contournement par l’intermédiaire de comptes tiers.

Toutefois, ces justifications apparaissent fragiles lorsqu’elles sont utilisées de manière généralisée. Par exemple, invoquer un risque d’addiction sans analyser le comportement de jeu de l’intéressé méconnaît les obligations légales de détection du jeu pathologique.

L’exemple de l’affaire Winamax

Un exemple emblématique de ces dérives est fourni par l’affaire opposant un joueur à la société Winamax, l’un des principaux opérateurs français de jeux en ligne. En mars 2021, le joueur avait remporté la somme de 400 000 euros à l’issue de paris effectués sur cinq disciplines sportives différentes, dans divers pays et à des moments distincts, mais toujours en direct. Après avoir validé le gain, crédité la somme sur le compte du joueur et confirmé par courriel le versement à venir, Winamax est finalement revenu sur sa décision, a clôturé le compte et refusé le paiement. Ce changement de position de WINAMAX était justifié selon elle par « le caractère frauduleux et déloyal des paris effectués ».

Saisi d’abord de l’affaire, l’Autorité nationale des jeux (ANJ) n’a pas permis de résoudre le litige, contraignant le joueur à saisir la juridiction compétente. Devant le Tribunal judiciaire de Paris, Winamax a soutenu que l’intéressé avait triché en plaçant des paris dépourvus d’aléas, profitant du différé entre la retransmission télévisée et le déroulement réel des matchs pour obtenir un avantage décisif. Le Tribunal judiciaire de Paris, dans un jugement rendu le 1er juillet 2025, a toutefois rejeté cette argumentation, considérant que la preuve de la fraude n’était pas rapportée.

Plusieurs éléments ont été retenus à l’appui de la défense du joueur. D’une part, les paris concernaient des matchs organisés simultanément dans plusieurs pays, rendant matériellement impossible une présence physique du joueur sur chacun des sites. D’autre part, le recours à l’option de « cash out », permettant d’encaisser immédiatement la somme de 400 000 euros plutôt que de risquer de la perdre pour un gain potentiel de 625 000 euros, démontrait l’absence de certitude quant à l’issue des rencontres. Comme l’a relevé la juridiction, un joueur en possession d’informations privilégiées aurait logiquement attendu la fin des matchs afin de maximiser ses gains.

En conséquence, la juridiction parisienne a jugé que Winamax ne rapportait pas la preuve de la tricherie alléguée, et a condamné l’opérateur à verser la somme de 400 000 euros au joueur. Winamax a néanmoins interjeté appel de cette décision.

Affaire Winamax : une décision de justice qui pourrait changer la donne pour les joueurs

Cette décision marque une étape importante pour les joueurs contestant les pratiques abusives des opérateurs. Contrairement à l’ANJ – dont le rôle de médiation et de régulation apparaît parfois limité – les juridictions judiciaires semblent davantage sensibles aux arguments des joueurs. En 2021, l’ANJ avait été saisie de 1 734 demandes, dont 92 % relatives aux paris sportifs. Seules 55 % d’entre elles avaient été déclarées recevables, la moitié restant favorable aux opérateurs. Cette sévérité résulte en partie du non-respect des procédures par les joueurs, lesquels omettent souvent la phase préalable obligatoire de réclamation directe auprès de l’opérateur. Néanmoins, l’impact de la jurisprudence reste relatif. La majorité des joueurs, faute de moyens financiers ou d’accès à un avocat, renoncent à saisir les tribunaux et se contentent de la médiation devant l’ANJ. Conscients de cette asymétrie, les opérateurs poursuivent des pratiques contestées en pariant sur l’inertie procédurale de la majorité de leurs clients. [3]

Néanmoins, il convient de relativiser la portée de ce jugement : il ne s’agit encore que d’une décision de première instance, susceptible d’être réformée en appel. Si elle venait à être confirmée, elle pourrait toutefois constituer un précédent majeur, susceptible d’encourager davantage de joueurs à poursuivre les pratiques contestables des opérateurs de paris en ligne devant les juridictions.

En définitive, l’essor des opérateurs de paris en ligne s’accompagne de pratiques dont la légalité et la loyauté peuvent être discutées. Bien que souvent justifiées par la protection des joueurs, la prévention de la fraude ou encore la lutte contre le blanchiment, certaines mesures adoptées par ces opérateurs peuvent apparaître en réalité irrégulières, voire abusives. Face à ces dérives, un nombre croissant de joueurs choisit désormais de saisir la voie judiciaire afin de faire valoir leurs droits. L’affaire Winamax marque un signal fort en faveur de la protection des joueurs, en rappelant que la charge de la preuve de la tricherie incombe à l’opérateur et que celui-ci ne peut, sans élément probant, refuser de verser les gains validés. Toutefois, la portée de cette décision reste à relativiser… affaire à suivre

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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne les acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.

 

 

[1] https://www.lefigaro.fr/societes/winamax-condamne-a-payer-plus-de-400-000-euros-a-un-parieur-accuse-de-tricherie-20250820 ; https://www.20minutes.fr/justice/4168420-20250818-paris-ligne-winamax-perd-proces-va-devoir-verser-400-000-euros-joueur

[2][2] - https://www.capital.fr/economie-politique/winamax-condamne-accuse-a-tort-de-triche-un-joueur-empoche-une-grosse-somme-1517260

[3] https://www.ouest-france.fr/societe/justice/la-plateforme-winamax-condamnee-a-verser-400-000-euros-a-un-parieur-quelle-accusait-de-tricherie-73231a04-7c41-11f0-86ed-565860524f67

  • https://www.ladepeche.fr/2025/08/18/ce-nest-tout-de-meme-pas-james-bond-winamax-condamne-a-verser-400-000-euros-a-un-joueur-dont-le-pari-avait-ete-injustement-annule-12882375.php