Affaire #Balancetonporc : la liberté d’expression l’emporte !

Affaire #Balancetonporc : la liberté d’expression l’emporte !
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Par Gérard Haas, Charlotte Paillet et Miléna Letinaud

Dans deux décisions rendues le 11 mai 2022, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur la poursuite en diffamation consécutive aux mouvements sociaux #MeToo et #Balancetonporc, en reconnaissant la bonne foi des autrices.

L'initiative du mouvement #Balancetonporc accusé de diffamation

Les mouvements #MeToo et #Balancetonporc ont permis de libérer la parole des victimes en les encourageant à témoigner publiquement des faits de viol, d’agression, d’atteinte, et de harcèlement sexuel qu’elles ont subi. Or, de par l’ampleur de ces mouvements, s’est naturellement posée la question de l’équilibre entre le droit des victimes à exposer ces violences et le droit de toute personne de ne pas être diffamée.

En ce sens, l’ancien ministre visé par des accusations d’agression sexuelle dans les propos parus dans deux articles en ligne courant 2017 et l’ancien PDG d’Equidia également visé par des accusations de harcèlement sexuel sur Twitter, ont respectivement assigné les autrices de ces témoignages en diffamation.

Articulation entre liberté d’expression et diffamation

En effet, si la liberté d’expression est consacrée à l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, elle connaît néanmoins certaines limites. Parmi celles-ci, la diffamation, définie par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse comme « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » dont la publication est punissable de 12 000 euros d’amende dès lors qu’elle vise un particulier identifié ou identifiable.

Pour mémoire, la diffamation pour être reconnue suppose au titre d’élément matériel la réunion de quatre éléments : une allégation ou une imputation d’un fait déterminé, une atteinte à l'honneur ou à la considération, d’une personne ou un corps identifié, et enfin la publicité de celle-ci. Et exige comme élément moral l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps diffamé.

Il existe naturellement des moyens de défense à la diffamation tels que l’exception de vérité ou encore la bonne foi.

Lorsque la Cour de cassation s’est trouvée saisie par ces deux affaires, cette dernière privilégiait la liberté d’expression des autrices, considérant que les propos de ces dernières (i) reposaient sur une base factuelle suffisante et (ii) étaient de bonne foi.

L’appréciation de la base factuelle suffisante au nom du débat d’intérêt général 

En première instance, dans les deux décisions, les juges du fond ont fait droit à la demande des requérants en condamnant les autrices pour diffamation.

Ces dernières ont interjeté appel des jugements rendus.

Dans l’affaire #MeToo, l’ancien premier ministre soutenait que le récit de l’autrice contenait des erreurs de fait de nature à discréditer ses propos. Pourtant, la cour d’appel a considéré que ces erreurs de fait n’étaient pas de nature à remettre en cause l'ensemble de ses propos dès lors qu'elle les exprimait plus de sept ans et demi après les faits et que cette durée faisait également obstacle à la recherche de témoins directs. Les juges d’appel ont également considéré que si les propos des articles en ligne portaient atteinte à l’honneur ou à la considération de l’individu visé, ils s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général consécutif à la libération de la parole des femmes à la suite de l’affaire médiatique #MeToo.

Dans l’affaire #Balance ton porc la cour d’appel a retenu que les propos litigieux contribuaient à un débat d’intérêt général concernant la dénonciation de comportements à connotation sexuelle non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes et de nature à porter atteinte à leur dignité. Dès lors, les juges d’appel ont précisé qu’en l’espèce l’ancien directeur avait lui-même reconnu les propos qui lui étaient imputés, que ces propos visaient uniquement à dénoncer un tel comportement sans contenir l’imputation d’un délit et que les termes « balance » et « porc » ne conduisaient pas à lui attribuer d’autres faits. Pour la cour d’appel, ces termes sont suffisamment prudents dès lors qu’ils étaient précédés d’un « # », ce qui permettait aux internautes de se faire leur idée personnelle.

Dans ces deux décisions les juges d’appel ont déduit de ces constatations que les propos incriminés reposaient sur une base factuelle suffisante et ont ainsi infirmé les jugements de première instance, en estimant que les dénonciations relevaient de la liberté d'expression.

À la suite de ces décisions, l’ancien ministre et l’ancien directeur ont respectivement formé un pourvoi en cassation.

La consécration du fait justificatif de bonne foi 

L’ancien ministre dans l’affaire #MeToo reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir recherché la preuve que les faits allégués étaient vraisemblables, de ne pas avoir considéré que des erreurs de faits étaient de nature à discréditer l’ensemble des propos.

Dans l’affaire #Balance ton porc l’ancien directeur reprochait à la cour d’appel quant à lui de ne pas avoir apprécié l’existence d’une base factuelle suffisante au regard de l’intégralité des propos et des pièces, d’avoir retenu l’existence d’une prudence dans l’expression de la pensée et, d’avoir consacré l'exactitude partielle du fait dénoncé par le propos diffamatoire.

Or, en matière de diffamation, si l’auteur des propos incriminés soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges de rechercher si ces propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante.

La Cour de cassation reconnait la bonne foi de l'initiatrice du mouvement #balancetonporc 

La Cour de cassation devait donc évaluer si les quatre critères cumulatifs permettant de justifier la bonne foi des autrices, à savoir (i) l’expression de propos tenue dans un but légitime, (ii) l’absence d’animosité personnelle, (ii) la prudence dans l’expression et (iv) l’existence d’une enquête préalable sérieuse, étaient réunis.

C’est ce qu’elle a conclu dans ces deux affaires en retenant que c’est à bon droit que la cour d’appel a jugé que les propos incriminés reposaient sur une base factuelle suffisante et que le bénéfice de la bonne foi devait être reconnu à leurs autrices. Les deux pourvois ont donc été rejetés.

Ces décisions françaises peuvent aisément être mises en parallèle avec le récent jugement rendu par la justice américaine dans l’affaire opposant Amber Heard et Johnny Depp.

En l’espèce chacun avait mutuellement accusé l’autre publiquement de violences conjugales, et avait répondu en agissant en diffamation. Le jury a tranché et a rendu son verdict : les deux parties ont été condamnées pour diffamation. Les montants des indemnités ont été adaptés, selon le jury, à la gravité du préjudice de chacun. Un verdict qui inquiète une partie des instigatrices du mouvement #MeToo.

Par ailleurs, au-delà des limites à la liberté d’expression, ce procès met en évidence l’enjeu de l’enregistrement des audiences en temps réel avec le fort retentissement médiatique que cette affaire a suscité, dont des répercussions en France pourraient voir le jour sans tarder avec l’entrée en vigueur de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire.

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Gérard HAAS

Auteur Gérard HAAS

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