TikTok redéfinit la publicité : le droit s’adapte

TikTok redéfinit la publicité : le droit s’adapte
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Par Haas Avocats

C’est la question qui agite les professionnels du marketing. Le réseau social aux vidéos courtes et virales a bouleversé les codes publicitaires traditionnels par ses formats rapides. Pour toucher la nouvelle génération, les marques doivent désormais maîtriser ces nouveaux formats et algorithmes. Cependant, le cadre juridique, lui aussi, évolue pour encadrer ces pratiques.

Sur TikTok, les marques ne sont plus maîtresses du jeu. La plateforme, forte de son algorithme ultrapuissant, peut propulser n’importe quel contenu prioritairement, indépendamment du nombre d’abonnés. La visibilité dépend avant tout de l’intérêt que suscite la vidéo. La communauté décide ce qui mérite d’être vu, et non plus la marque elle-même. Conséquence : pour espérer devenir virale, une campagne doit respecter la culture Tiktok, au lieu d’imposer un message trop classique ou traditionnel.

Sur la plateforme, ce qui fonctionne, ce sont les formats courts et tendances. Les utilisateurs privilégient l’authenticité, la spontanéité et l’humour. Les marques l’ont compris, elles surfent sur les tendances du moment et collaborent avec des créateurs pour ajouter une touche humaine à leurs contenus. Le marketing devient plus horizontal via les campagnes cocréées par le public et la marque.

Cette transformation oblige les annonceurs à une agilité nouvelle. Quand une tendance peut naître et mourir en quelques jours, il est difficile de planifier des campagnes des mois à l’avance. Les marques adoptent donc un mode « test & learn », publient beaucoup et ajustent en temps réel pour coller à l’algorithme et aux sujets tendances. Ainsi, Tiktok redéfinit la communication, or dans un cadre où tout va très vite, le juridique doit s’adapter.

Transparence et loyauté : que dit le droit français ?

Face à ces nouvelles pratiques publicitaires, le droit français impose une exigence fondamentale : la transparence envers le public. Depuis la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004, toute publicité diffusée en ligne doit pouvoir être clairement identifiée comme telle[1]. Le Code de la consommation renforce cette exigence en interdisant les « pratiques commerciales trompeuses », c’est-à-dire les publicités dissimulées ou mensongères[2]. Ne pas signaler le caractère publicitaire d’un contenu constitue un délit passible de 2 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Autrement dit, un influenceur ou une marque qui ferait passer une réclame pour un simple conseil encourt de lourdes sanctions.

Un cas emblématique l’a rappelé : en 2018, l’influenceuse Nabilla a promu sur l’application Snapchat une formation au trading sans indiquer qu’il s’agissait d’une publicité sponsorisée. Ses abonnés pouvaient croire à tort à un avis désintéressé, ce qui a conduit la DGCCRF à la sanctionner par 20 000 euros d’amende pour pratique trompeuse[3]. Désormais, toute publication rémunérée d’un influenceur doit comporter une mention claire telle que « publicité » ou « collaboration commerciale », visible pendant toute la vidéo. Il faut aussi identifier la marque à l’origine du partenariat. Faute de quoi, il s’agit de « publicité déguisée », un manquement grave à la loyauté envers les consommateurs.

Loi « influenceurs » : un cadre renforcé depuis 2023

Devant l’essor du marketing d’influence, la France a voté une loi spécifique le 9 juin 2023 pour encadrer les pratiques sur les réseaux sociaux. Cette loi, adoptée à l’unanimité, définit juridiquement « l’influence commerciale » : toute personne qui, contre rémunération, utilise sa notoriété pour promouvoir des biens, services ou causes auprès du public en ligne. Sont donc visés les influenceurs mais aussi leurs agents ou les marques qui les emploient.

Plusieurs nouvelles obligations pèsent sur ces acteurs :

  • Contrat obligatoire: au-delà d’un certain seuil, un contrat écrit doit lier l’influenceur, l’agence éventuelle et l’annonceur, détaillant la mission, la rémunération et soumettant explicitement la collaboration au droit français. De plus, même un influenceur basé à l’étranger visant le public français doit respecter les lois. Il devra d’ailleurs désigner un représentant légal dans l’UE et souscrire une assurance civile européenne, sous peine de voir ses contenus bloqués en France.
  • Interdiction de certaines publicités : la loi liste des produits/services désormais bannis des placements d’influence, pour protéger les consommateurs. Par exemple, il est impossible de promouvoir la chirurgie esthétique, les produits financiers risqués (cryptomonnaie etc), l’abstention de soins médicaux, les sachets de nicotine ou certains paris sportifs.
  • Mention des retouches d’image: dans un souci de protection du jeune public, si un contenu visuel promotionnel utilise un filtre ou est généré par IA et modifie l’apparence de la personne, l’influenceur doit l’indiquer par la mention « image retouchée ou virtuelle » ; l’objectif étant d’éviter de vendre un idéal trompeur sur les réseaux.

Influenceurs : la DGCCRF renforce la répression des infractions en ligne

Les autorités françaises ne se contentent pas d’édicter des règles : elles les font appliquer de plus en plus strictement. En 2022-2023, la DGCCRF a contrôlé plus de 300 influenceurs sur diverses plateformes et près de la moitié étaient en infraction[4]. Le manquement le plus fréquent était le suivant : ne pas indiquer le caractère commercial de la publication ou ne pas nommer l’annonceur clairement. D’autres cas plus graves ont été relevés comme la promotion de produits illicites, arnaques au CPF, contrefaçons, etc. Résultat, 35 avertissements ont été émis, 81 injonctions de se conformer sous peine de sanctions, et 35 procédures pénales engagées. Dans une démarche de name and shame, certaines injonctions ont même été publiées sur les réseaux des influenceurs fautifs. La loi de 2023 a doté la DGCCRF de nouveaux pouvoirs : elle peut désormais prononcer des astreintes financières quotidiennes tant qu’un contenu illicite n’est pas retiré, et réquisitionner les plateformes pour déréférencer ou bloquer les contenus en cas d’infraction grave menaçant les consommateurs.

Données personnelles : mineurs, ciblage et algorithmes

En tant que réseau social prisé les jeunes, Tiktok doit porter une vigilance particulière sur les données personnelles. Comme toute plateforme, elle collecte de nombreuses informations sur ses utilisateurs pour alimenter son algorithme et permettre aussi de la publicité ciblée. Mais en Europe, le RGPD et le DSA imposent des limites surtout quand il s’agit de mineurs.

Officiellement, la plateforme est réservée aux plus de 13 ans (15 ans en France pour que le consentement soit valable). En pratique, des enfants plus jeunes y accèdent facilement. Les autorités de protection ont sévi : au Royaume-Uni, TikTok a écopé d’une amende de 12,7 millions de £ pour avoir laissé 1,4 million d’enfants de moins de 13 ans utiliser l’application en 2020 sans consentement parental. De même, en Irlande, le régulateur a infligé en 2023 une sanction record de 345 millions d’euros à Tiktok pour divers manquements concernant les adolescents[5]. Profils des 13-17 ans rendus publics par défaut, utilisation des dark patterns… autant de violations du RGPD et du DSA qui exigent dès la conception de privilégier les options les plus protectrices des mineurs.

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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.

[1] Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, article 20

[2] Code de la consommation, article L121-1

[3] Paiement d’une amende de 20 000€ par l’influenceuse Nabilla BENATTIA-VERGARA, pour pratiques commerciales trompeuses sur les réseaux sociaux

[4] Influenceurs : bilan des contrôles 2022 et 2023 de la DGCCRF

[5]https://www.edpb.europa.eu/news/news/2023/following-edpb-decision-tiktok-ordered-eliminate-unfair-design-practices-concerning_fr

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