Score de productivité de Microsoft : une surveillance permanente du salarié ?

Score de productivité de Microsoft : une surveillance permanente du salarié ?
⏱ Lecture 3 min

Par Amanda Dubarry et Lucie Brecheteau

En octobre dernier, le géant Microsoft a présenté un nouvel outil destiné aux entreprises : le « score de productivité », dont l’objectif affiché est d’évaluer la production de chaque salarié.

Noté sur 800, ce score est obtenu à la suite de l’agrégation d’une quantité exponentielle de données issues de la suite bureautique Microsoft 365.

Au cœur de ces informations figurent notamment le nombre de mails envoyés par le salarié ainsi que la fréquence d’envoi, ou encore le temps passé sur des applications telles que Teams ou Skype. Ces données permettent d’analyser finement le comportement de l’employé, à l’heure du déploiement massif du télétravail.

Ce nouvel outil semble répondre à un objectif majeur : démultiplier l’efficacité et la productivité de l’entreprise, grâce à une meilleure compréhension de son fonctionnement et de ses difficultés.

Si cette nouvelle technologie semble profiter aux entreprises, est-elle pour autant respectueuse des droits et des libertés individuels des salariés ?

1. Le « score de productivité » Microsoft : un dispositif de surveillance des salariés ?

L’arrivée sur le marché du « score de productivité » de Microsoft permet à l’employeur d’avoir une idée précise du quotidien de ses salariés, tout en lui donnant un aperçu complet des habitudes et du rythme de travail de chacun d’eux.

Si le géant Microsoft semble nier toute volonté de surveillance, en promouvant les mérites de ce nouvel outil à travers les gains qu’il permettra de générer en termes d’efficacité et de performance tant pour le salarié que pour l’entreprise, il est néanmoins essentiel de souligner qu’un tel dispositif sera de nature à placer le salarié au centre d’une surveillance permanente.  

Or, comme le rappelle tant la jurisprudence que le droit, l’employeur ne peut en aucun cas placer ses salariés sous surveillance permanente, à moins de faire état de circonstances exceptionnelles dûment justifiées au regard de la nature de la tâche à accomplir.

En effet, l’article L.1121-1 du code du travail précise que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

La jurisprudence est également univoque au sujet des dispositifs de contrôle de l’activité des salariés.

A titre d’illustration, s’agissant des dispositifs de géolocalisation, la jurisprudence estime de manière constante que le déploiement d’un tel dispositif pour contrôler la durée du travail des salariés n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut être mis en œuvre par un autre moyen. Dans le cas contraire, « la collecte et le traitement de telles données à des fins de contrôle du temps de travail doivent être regardés comme excessifs ».[1].

De même, s’agissant du déploiement d’un système de vidéosurveillance des salariés, la Chambre sociale a posé un principe fondamental selon lequel « un employeur ne peut mettre en place un système de vidéosurveillance que si ce dispositif est justifié par la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché. » [2]

Enfin, la mise en place d’un tel outil de contrôle semble incompatible avec la règlementation en matière de protection des données à caractère personnel.

L’article 5.c) du RGPD et l’article 4 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 dite loi « Informatique et Libertés » [3] prévoient en effet que les données à caractère personnel doivent être « adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées ».

Si la mise en place d’une évaluation de la productivité des salariés est une finalité en soi légitime, il convient néanmoins de mettre en place des moyens proportionnels, ce qui n’est vraisemblablement pas le cas en l’espèce.

En outre, le déploiement d’un tel outil pourrait s’avérer contre-productif du fait du sentiment d’espionnage que pourront ressentir les salariés au quotidien, alors même que la raison d’être de cet outil repose sur l’efficacité, la performance, et la productivité du salarié et de l’entreprise.

2. Le « score de productivité » Microsoft : un dispositif intrusif et disproportionné ?

Le « score de productivité » de Microsoft ne semble pas être une idée novatrice : ce dispositif fait partie d’un ensemble de logiciels qui voient progressivement le jour, et dont le but est de surveiller l’activité des salariés.

La CNIL s’était d’ailleurs prononcée sur les logiciels « keyloggers », permettant l’enregistrement de l’ensemble des frappes au clavier accomplies par une personne sur un ordinateur.

Ces logiciels sont désormais considérés comme trop intrusifs, injustifiés au regard de la nature de la tâche à accomplir et disproportionnés au regard du but recherché par les entreprises. Ce mode de surveillance est donc illicite, à moins de justifier de circonstances exceptionnelles, de nature sécuritaire notamment.

Le « score de productivité » pourrait donc connaître le même sort que ces logiciels, et ainsi être frappé d’illicéité.

Le 1er décembre 2020, Microsoft a fait part de sa volonté de modifier substantiellement son nouvel outil, dans le but de le rendre moins intrusif pour la vie privée des salariés.

A cet égard, le géant américain précise que « personne au sein de l’organisation ne pourra utiliser le score de productivité pour accéder aux données sur la façon dont un utilisateur individuel utilise les applications et les services de Microsoft 365 ».

Il sera donc essentiel d’apprécier l’évolution de ce dispositif, pour ainsi déterminer dans quelle mesure il pourrait être respectueux des droits et libertés fondamentaux des salariés.

***

Le Cabinet HAAS Avocats, fort de son expertise depuis plus de 20 ans en matière de nouvelles technologies, accompagne ses clients dans différents domaines du droit, notamment en matière de contentieux en commerce électronique. N’hésitez pas à faire appel à nos experts pour vous conseiller. Contactez-nous ici

 

[1] En ce sens, notamment : CE, 15 décembre 2017, n°403776

[2] Soc. 20 novembre 1991, n° 88-43.120

[3] Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés

Amanda DUBARRY

Auteur Amanda DUBARRY

Suivez-nous sur Linkedin