Par Haas Avocats
Contenus violents, exploitation des femmes, consommation massive, banalisée et toxique chez les adultes, adolescents et enfants, nombreuses sont les problématiques soulevées par l’industrie pornographique à l’ère du numérique.
Ces dernières ont donné lieu à la publication, en septembre 2022, du rapport sénatorial intitulé « Porno : l’enfer du décor », au sein duquel la Délégation aux droits des femmes du Sénat dénonçait une industrie génératrice de violences systémiques envers les femmes et appelait à faire de la lutte contre ce phénomène et ses conséquences une priorité de politique publique et pénale.Elle dressait à cet effet une liste de recommandations, dont la dixième « imposer aux plateformes de satisfaire gratuitement aux demandes de retrait de vidéos formulées par les personnes filmées, et non plus par les seuls propriétaires de vidéos », semble avoir retenu l’attention du législateur.
En effet, le 5 juillet dernier, le Sénat adoptait le Projet de loi visant à sécuriser l’espace numérique.
Désormais soumis au vote de l’Assemblée nationale, ce texte contient certaines dispositions ayant vocation à renforcer la réglementation applicable à la diffusion de contenus pornographiques sur internet et consacre, en son article 4 B, un droit à l’oubli pour les acteur·rice·s.
L’insuffisance de la réglementation actuelle applicable à la diffusion de contenus pornographiques
Le rapport « Porno : l’enfer du décor » avait en effet mis l’accent sur la précarité des actrices dans l’industrie pornographique et les difficultés que ces dernières peuvent rencontrer pour obtenir le retrait de vidéos publiées en ligne dans lesquelles elles apparaissent.
Depuis la Loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, il existe bien un « droit à l’oubli » concernant les contenus à caractère pornographique. Toutefois, ce dernier s’applique uniquement aux contenus diffusés à l’insu des personnes exposées.
En effet, cette loi a introduit dans le Code pénal le nouvel article 226-2-1 visant à réprimer les faits dits de « revenge porn » à savoir la diffusion, sans l’autorisation d’une personne, d’images ou de paroles présentant un caractère sexuel.
Si les victimes de « revenge porn » peuvent invoquer ce texte pour obtenir le retrait de contenus à caractère pornographique dans lesquels elles apparaissent, cela ne s’applique pas lorsque la production pornographique a fait l’objet d’un contrat et que l’acteur·rice a consenti à la diffusion du contenu, notamment en signant un contrat de cession de droit à l’image.
Les acteur·rice·s pourraient naturellement demander le retrait du contenu auprès de la production une fois la cession arrivée à terme. Toutefois, il n’est pas impossible que les contenus circulent fortement et que la production ne soit plus en mesure d’obtenir aisément leur retrait. Dans ces conditions, les acteur·rice·s, en invoquant auprès des hébergeurs de contenus que la diffusion de leur image sans leur consentement revêt désormais un caractère manifestement illicite, ne pourront pas toujours obtenir gain de cause puisqu’il(s)/elle(s) peut-vent se voir confronter à un refus de l’hébergeur. En l’absence d’un cadre légal spécifique, la démarche s’avère parfois complexe.
En outre, les acteur·rice·s de l’industrie pornographique peuvent être contraints par certains producteurs de consentir des cessions de droit à l’image illimitées (bien que les engagements perpétuels soient prohibés), dans des conditions de recueil du consentement parfois discutables, de sorte que le retrait d’un contenu particulièrement difficile.
Les acteur·rice·s devraient alors engager une action judiciaire pour obtenir d’abord la nullité de la cession, puis la suppression du contenu litigieux et enfin des dommages et intérêts.
Vers la consécration d’un nouveau droit à l’oubli
L’article 4 B du projet de loi visant à sécuriser l’espace numérique prévoit l’intégration d’un nouvel article 6-1-1 A dans la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (dite « LCEN ») selon lequel :
« Les fournisseurs de services d’hébergement définis au 2 du I de l’article 6 de la présente loi agissent promptement pour retirer tout contenu pornographique signalé par une personne représentée dans ce contenu comme étant diffusé en violation de l’accord de cession de droits, ou pour rendre l’accès à celui-ci impossible, dès lors que ce signalement est notifié conformément à l’article 16 du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE. »
Ce nouveau dispositif permettrait aux personnes ayant contractuellement consenti à tourner dans un film pornographique d’obtenir sans délai le retrait d’un contenu dès lors qu’il continue à être diffusé sur internet au-delà de la période contractuelle, ou que la diffusion ne respecte pas les modalités contractuellement prévues.
Il s’agirait donc d’une première étape dans l’élaboration d’un cadre légal spécifique tendant à protéger les acteur·rice·s pornographiques.
Durant les débats, les sénateurs ont toutefois souligné que, pour être pleinement efficace, ce dispositif devra être complété par un travail législatif ayant vocation à encadrer les relations contractuelles entre les acteur·rice·s pornographiques et les producteurs afin d’imposer éventuellement une durée limitée de cession de droit à l’image.
Vers un encadrement des cessions de droit à l’image
Actuellement, seul l’article 9 du Code civil, qui consacre le droit à la vie privée, encadre le droit à l’image, de sorte qu’aucune disposition ne vient spécifiquement s’appliquer aux contrats de cession de droit à l’image.
Les contours et le contenu de la réglementation inédite envisagée par le Sénat visant à encadrer de tels contrats sont pour l’instant inconnus.
Appliquée uniquement à l’industrie pornographique, cette réglementation permettrait de protéger les acteur·rice·s et renforcerait le dispositif du droit à l’oubli.
Toutefois, la mise en place de restrictions aux cessions de droit à l’image à portée générale bouleverserait la manière d’appréhender la contractualisation du droit à l’image, et certaines industries, telles que les industries audiovisuelle et cinématographique, seraient particulièrement impactées.
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Le Cabinet HAAS Avocats, fort de son expertise depuis plus de 25 ans en matière de droit du numérique et des nouvelles technologies, accompagne ses clients en matière d’infractions commises par le biais d’internet. Si vous souhaitez avoir plus d’informations au regard de la réglementation en vigueur ou si vous souhaitez obtenir la suppression de contenus litigieux, n’hésitez pas à faire appel à nos experts pour vous conseiller. Contactez-nous ici.