Par Gérard Haas et Aurélie Puig
Décision Constitutionnelle du 6 décembre 2019
Les décisions de justice sont publiques, elles sont rendues « au nom du peuple français ». Ce principe de publicité des débats devant les juridictions implique le droit d’en rendre compte dans la presse, les médias, internet.
Madame L. est directrice de publication d’un journal hebdomadaire, elle a été poursuivie pour avoir publié sur twitter une photo d’un accusé avec ses avocats, lors d’une audience.
La Cour d’appel de Paris a confirmé la culpabilité de Madame L., qui écope de 2 000 euros d’amende pour de délit de publication.
Pourtant, les journalistes bénéficient du droit de rendre compte des audiences, et de relater le contenu des débats. Ce droit est le corollaire du principe que la justice est publique. La loi du 21 juillet 1881 sur la liberté de la presse garantit une certaine liberté aux journalistes et leur permet de ne pas être poursuivis en diffamation/injure/outrage, dès lors qu’ils publient un compte rendu d’audience fidèle des débats judiciaires.[1]
Cependant, l’article 38 ter de cette même loi interdit l’emploi de tout appareil photographique, d’enregistrement sonore et audiovisuel au cours des audiences. A défaut, l’utilisateur est sanctionné par une amende.
Les moyens techniques de rendre compte des débats sont donc strictement encadrés.
Ces dispositions de la loi sont-elles contraires à la Constitution ? C’est ce que Madame L. va argumenter. La requérante soulève une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) sur la teneur de l’article 38 de la loi du 21 juillet 1881.
1. L’introduction d’une QPC quant à l’interdiction générale de captation ou d’enregistrement des audiences
La QPC est le droit, pour un justiciable, de faire contrôler la constitutionnalité d’une loi, a posteriori. Quand des dispositions législatives sont contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution, le Conseil Constitutionnel abroge ces dispositions inconstitutionnelles.
La liberté d’expression et de communication est une liberté fondamentale qui découle directement de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC). Son exercice est une condition de la démocratie.
Au niveau communautaire, elle figure à l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). C’est donc une liberté garantie au niveau national comme au niveau européen.
La mise en œuvre de la liberté d’expression nécessite de garantir la liberté de la presse, et permettre l’accès à la recherche d’informations sur internet. En ce sens, la loi du 29 juillet 1881 avait retiré les obligations d’autorisation préalable à la diffusion.
Mais cette liberté n’est pas absolue. Elle doit être mise en balance avec les autres droits et libertés fondamentaux, tel que le droit au respect de la vie privée.
Dans cette affaire, le conseil constitutionnel a dû décider si la disposition interdisant la captation ou l’enregistrement des audiences était une atteinte raisonnable à la liberté d’expression.
2. La mise en balance de la liberté d’expression avec d’autres droits fondamentaux
Le Conseil Constitutionnel admet donc implicitement que cette interdiction porte atteinte à la liberté d’expression. A partir de ce constat, le Conseil Constitutionnel doit s’assurer que l’atteinte est :
- Nécessaire ;
- Adaptée ;
- Proportionnée aux objectifs poursuivis.
C’est l’application du triple test de proportionnalité, qui permet d’estimer si une atteinte à une liberté fondamentale est justifiée ou non.
Il révèle que l’interdiction posée permet de garantir la sérénité des débats au risque des perturbations liées à l’utilisation des appareils photos/ d’enregistrement etc.
Cette sérénité des débats découle de l’objectif à valeur constitutionnelle qu’est « la bonne administration de la justice ». En effet, le fait de filmer en direct une salle d’audience peut affecter le cours d’un procès a expliqué la CEDH dans l’affaire P4 Radio Hele Norge ASA c/ Norvège du 6 mai 2003. Cela crée une « pression supplémentaire pour ceux qui y participent, voire même influer sur leur comportement[2] ».
Dans une autre affaire[3], un journal avait été condamné pour avoir diffusé des photos d’un homme accusé de meurtre. La CEDH a estimé que la liberté d’expression n’avait pas été violée, car l’interdiction générale de captation des audiences supposait aussi l’interdiction de publier des photos prises en violation de ce principe.
Le Conseil Constitutionnel ajoute que l’interdiction de photographier, et la possibilité de faire cesser les diffusions des photos prises en violation de cette interdiction, permet de prévenir les atteintes au droit au respect de la vie privée des parties au procès, et des personnes participant aux débats.
Cela permet également d’assurer la sécurité des acteurs judiciaires et, en matière pénale, la présomption d’innocence de la personne poursuivie.
Le Conseil Constitutionnel a donc déclaré conforme à la Constitution, l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
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[1] Art 41 de la loi du 29 juillet 1881
[2] CEDH affaire P4 Radio Hele Norge ASA c/ Norvège du 6 mai 2003.
[3] CEDH affaire Axel Springer SE et RTL Television GmbH contre Allemagne du 21 septembre 201724