Par Gérard Haas et Amanda Dubarry
L’actualité sanitaire est propice aux opérations de désinformation, matérialisées notamment par la diffusion de théories complotistes inquiétantes.
A titre d’exemple, le documentaire « Hold Up » sur la gestion de la crise Covid-19, sorti le 11 novembre 2020 sur la plateforme Vimeo, fait état d’une conspiration mondiale à l’origine de l’apparition du virus en vue d’éliminer la moitié de l’humanité. Bien que qualifié de « documenteur » par les médias traditionnels et retiré rapidement de la plateforme, cette théorie complotiste a été largement relayée via les réseaux sociaux.
1. Qu'est ce que la théorie complotiste ?
Le complot induit l’idée que l’ordre des choses relève de la volonté secrète d’un groupe d’Hommes. La théorie complotiste mélange ainsi des faits avérés avec des informations erronées dans le but d’asseoir une thèse et de convaincre un auditoire.
Ainsi, la notion de « complot » va bien au-delà de perception du vrai ou du faux mais retient l’idée d’une manipulation des foules.
La question de la légalité de la diffusion de ces contenus peut se poser dans une société marquée par la culture de l’indignation.
Peut-on légalement diffuser des théories complotistes ?
Les personnes qui relayent ces contenus sur internet agissent en effet de bonne foi, persuadées qu’elles contribuent à éclairer les esprits. Peut-on leur reprocher leur crédulité ?
La liberté d’expression est un principe fondamental du droit, consacré à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales signée du 4 novembre 1950.
« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. »
Le Conseil constitutionnel a rappelé, dans le cadre de sa décision du 18 juin 2020[1] concernant la loi visant à lutter contre les contenus haineux :
« La liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s’ensuit que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ».
Rappelons que dans le cadre de cette décision, le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions de la loi dite « Avia » au regard de leur atteinte disproportionnée, la vidant de sa substance.
L’application stricte de ce principe commanderait donc de ne pas sanctionner les discours complotistes, qui constituent finalement des opinions dissidentes.
Pour autant, l’article 10 alinéa 2 de la Conv.EDH admet des limites à la liberté d’expression.
« L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».
Ainsi, à l’échelle nationale, le législateur a prévu des réponses à la diffusion de fausses informations et de discours complotistes, étant entendu que ces derniers reposent sur des « fake news ».
2. Peut-on sanctionner les discours complotistes ?
A titre préalable, il convient de préciser que la loi contre la manipulation de l’information dite « loi fake news » du 22 décembre 2018 sera, dans la grande majorité des cas, inefficace pour lutter contre les discours complotistes. En effet, cette loi a un champ d’application restreint puisqu’uniquement circonscrit à la période électorale.
Il conviendra donc de privilégier l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse si sa propagation est susceptible de troubler la " paix publique ".
« La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d'une amende de 45 000 euros. »
Or, plusieurs conditions doivent être remplies pour activer cette disposition :
- La nouvelle doit être fausse : il doit s’agir d’un nouveau fait dont le caractère mensonger est « objectivement » établi.
- Diffusée de mauvaise foi : la personne à l’origine de sa diffusion a intentionnellement relayé un propos qu’elle savait faux
- Susceptible de troubler la paix publique. La réception de la fausse nouvelle par le public a créé des émeutes, des attroupements ou autres manifestations.
Le Procureur de la république est en outre seul juge de l’opportunité des poursuites (art.47 loi 1881).
Si en théorie, la loi sanctionne les individus qui propageraient de fausses informations de manière intentionnelle, il sera délicat en pratique de réunir la preuve de ces éléments, et notamment la condition de « mauvaise foi ». En outre, la viralité des contenus liés à internet rend compliquée l’appréciation du critère de « nouveauté ».
D’autres bases légales pourront ainsi s’appliquer pour sanctionner le producteur d’une théorie complotiste et notamment :
- L’article 226-8 du Code pénal punit la publication de montages, paroles ou images sans le consentement d’une personne et qui auraient été manipulés ou détournés.
- L’article 29 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse réprimande toutes les allégations ou imputations qui porteraient atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne (diffamation) ;
- Enfin, s’il est difficile d’identifier la ou les personnes ayant relayé dès le départ les fausses informations, l’article 6.II de la LCEN prévoit une levée de l’anonymat. Il dispose en effet que les hébergeurs de contenus ont l’obligation de détenir et conserver les données permettant l’identification des personnes qui utilisent leurs services. A ce propos, l’article 6.I.8 de la LCEN instaure une procédure de référé qui permettra au juge de faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne, soit en bloquant l’accès au contenu en ligne, soit en le supprimant.
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La production de fausses informations est un phénomène consubstantiel à l’Homme et à sa « pulsion narrative ». Il s’agit donc d’une menace réelle et persistante. Les acteurs étatiques et économiques ne sont pas pour autant impuissants face à la désinformation : une stratégie judiciaire offensive peut être mise en place pour faire supprimer tout contenu susceptible de porter atteinte à la réputation d’une personne physique ou morale et obtenir une condamnation des auteurs.
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[1] Décision n° 2020-801 DC du 18 juin 2020