Partage d’un lien hypertexte et la responsabilité pénale de son auteur

Partage d’un lien hypertexte et la responsabilité pénale de son auteur
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Par Gérard HAAS et Paul BERTUCCI

 

Cass. crim., 1er septembre 2020, n°19-84.505

 

A travers la communication au public d’un contenu protégé par le droit d’auteur ou encore via la publication de propos diffamatoires, le partage de liens hypertextes soulève diverses problématiques et vient continuellement enrichir l’état actuel du droit.

Dans le second cas cité, un arrêt récent de la Cour de cassation apporte des précisions importantes concernant la prescription d’une action en diffamation, ainsi que sur l’appréciation du caractère diffamatoire d’un lien hypertexte.
 

1. Les faits


Une organisation libertaire publie le 20 février 2017 sur son site internet un communiqué informant de l’exclusion d’un de ses membres, accusé de viol, et invitant les groupes où se trouve ce dernier à prendre leurs dispositions afin d’assurer la sécurité de leurs membres.

 

Un syndicat ayant pour adhérent l’ex-membre répond quelques jours plus tard au communiqué, en rappelant que cette organisation avait par le passé agi différemment avec deux autres membres, eux aussi accusés de viol mais qui n’avaient finalement pas été exclus.

 

Le 9 mars 2017, les deux communiqués sont reproduits dans leur intégralité sur un site identitaire. Ce jour-même, une élue locale publie sur son compte Facebook un lien hypertexte renvoyant à ce même site accompagné du commentaire suivant : « Où un groupuscule **antifa** qui fait régner sa loi à Metz se justifie de couvrir son chef accusé de viol... en accusant le groupuscule antifa qui le dénonce de couvrir... deux violeurs dans leurs rangs. On en rirait, si le fond n’était pas aussi grave ».

 

L’ex-membre accusé de viol porte plainte le 27 mai 2017 pour diffamation publique sur le fondement du communiqué publié par l’organisation, mais en ce que ce dernier avait été reproduit par la suite sur divers sites, dont celui de l’élue locale.

Condamnée en première instance et en appel pour diffamation, cette dernière décide de former un pourvoi en cassation.

2. L’arrêt de la Cour de cassation


Par un arrêt rendu en date du 1er septembre 2020, la Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel dans toutes ses dispositions. En s’appuyant sur la jurisprudence, les juges du droit vont fournir des précisions importantes en matière de prescription sur internet ainsi que sur le caractère diffamatoire d’un lien hypertexte.

  • Sur la prescription d’une action en diffamation

En vertu de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, le délai de prescription d’une action en diffamation est de 3 mois à compter du jour où les faits ont été commis.

La Cour rappelle et précise dans un premier temps que le point de départ du délai de prescription tenant suite à la diffusion d’un message diffamatoire sur internet est celui de la date du premier acte de publication, c’est-à-dire la date à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau1.

Le communiqué litigieux ayant été publié le 20 février et la plainte déposée le 27 mai, soit plus de 3 mois après la première mise en ligne, il n’était dès lors plus possible d’agir contre l’organisation. Néanmoins, faculté était offerte d’agir contre le lien hypertexte inséré le 9 mars par l’élue locale, soit moins de 3 mois après le dépôt de plainte.

En effet, les juges du droit rappellent dans leur décision que toute reproduction dans un écrit rendu public d’un texte diffamatoire déjà publié est elle-même constitutive d’une infraction, et que le point de départ de la prescription lorsqu’il s’agit d’une publication nouvelle, est fixé au jour de cette publication2.

Partant de là, ces derniers s’appuient sur un arrêt proche du cas en l’espèce et ayant retenu que l’insertion sur internet par l’auteur d’un écrit, d’un lien hypertexte renvoyant directement audit écrit précédemment publié caractérisait une telle reproduction3.

 

Dès lors, la Cour de cassation pose le principe suivant : un lien hypertexte qui renvoie directement à un écrit mis en ligne par un tiers sur un site distinct, constitue une reproduction de ce texte, qui fait courir un nouveau délai de prescription, de sorte que l’action en diffamation contre l’élue locale n’était pas prescrite.

 

Sur l’appréciation du caractère diffamatoire d’un lien hypertexte

 

Un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)4 va grandement influencer la Cour de cassation sur ce point. Dans sa décision, la CEDH considérait que l’affichage d’un lien hypertexte ne pouvait être assimilé à la diffusion d’informations diffamatoires, dans la mesure où les liens hypertextes rendent les nombreuses informations qu’ils contiennent aisément accessibles et contribuent au bon fonctionnement d’internet. Elle préconisait dès lors d’examiner plusieurs éléments permettant de déterminer ou non la responsabilité de l’auteur du lien.

 

La Cour de cassation va effectivement suivre à la lettre ces recommandations et énoncer que, pour apprécier si l’auteur d’un tel lien qui renvoie à un contenu susceptible d’être diffamatoire, peut voir sa responsabilité pénale engagée en raison de la nouvelle publication de ce contenu, les juges doivent examiner si l’auteur du lien :

 

- a approuvé le contenu litigieux ;

 

- l’a seulement repris ou s’est contenté de créer un lien, sans reprendre ni approuver ledit contenu ;

 

- savait ou était raisonnablement censé savoir que le contenu litigieux était diffamatoire ;

 

- a agi de bonne foi.

 

Elle ajoute à cela qu’un tel examen concerne des éléments extrinsèques au contenu incriminé qu’il appartient aux juges de prendre en compte pour apprécier le sens et la portée des propos poursuivis comme diffamatoires5.

 

Ainsi, la Cour reproche dans sa décision aux juges du fond de ne pas avoir examiné les éléments extrinsèques au contenu incriminé que constituaient les modalités et le contexte dans lesquels avait été inséré le lien hypertexte y renvoyant, et spécialement le sens de l’autre texte auquel renvoyait le lien, qui contredisait le propos poursuivi et les conclusions que tirait l’élue locale de l’ensemble formé par les deux communiqués initiaux.

 

3. La portée de cette décision

 

La solution retenue par la Cour de cassation se veut pragmatique dans la mesure où le fait d’engager la responsabilité pénale de toute personne ayant partagé un lien hypertexte menant à une publication diffamatoire constituerait un véritable imbroglio juridique.

 

En laissant aux juges la faculté d’apprécier souverainement le contexte entourant le partage dudit lien hypertexte, la Cour ouvre la porte à de futures décisions intéressantes à suivre qui continueront d’alimenter et d’encadrer le droit de la presse.

 

Enfin, cette décision se veut importante d’un point de vue de la liberté d’expression. Il demeure fondamental que toute personne puisse s’exprimer librement notamment à travers le partage de liens, ceci bien entendu dans le strict respect du droit.

 

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Le Cabinet HAAS Avocats, fort de son expertise depuis plus de 20 ans en matière de nouvelles technologies, accompagne ses clients dans différents domaines du droit, dont le droit de la presse. Pour plus d’informations, contactez-nous ici.

 

1 Cass. crim., 16 octobre 2001, n° 00-85.728

2 Cass. crim., 8 janvier 1991, n° 90-80.593 ; Cass. crim., 2 octobre 2012, n° 12-80.419

3 Cass. crim., 2 novembre 2016, n° 15-87.163

4 CEDH, 4 décembre 2018, Magyar Jeti Zrt c. Hongrie, n° 11257/16

5 Cass. crim., 27 juillet 1982, n° 81- 90.901 ; Cass. crim., 11 décembre 2018, n° 17-84.899

Gérard HAAS

Auteur Gérard HAAS

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