Par Haas Avocats
Après les polémiques sur les images « inspirées » du studio Ghibli, c’est désormais les paroles de chansons qui s’invitent au cœur du débat sur l’intelligence artificielle.Le 11 novembre 2025, le tribunal régional de Munich a rendu une décision historique[1] condamnant OpenAI pour atteinte au droit d’auteur en raison de l’utilisation non autorisée de paroles de chansons d’artistes allemands dans le cadre de l’entraînement de ses modèles de langage[2].
Quand ChatGPT reproduit des paroles : un cas emblématique de contrefaçon
À l’origine du litige, la GEMA, équivalent allemand de la SACEM, représentant plus de 100 000 auteurs et compositeurs, a découvert que ChatGPT pouvait restituer mot pour mot les paroles de plusieurs chansons emblématiques allemandes.
Selon la GEMA, ces textes avaient été intégrés puis mémorisés dans le modèle de langage d’OpenAI sans autorisation ni rémunération des titulaires de droits.
De son côté, la société américaine a tenté de justifier ces pratiques en invoquant l’exception d’exploration de textes et de données (Text and Data Mining – TDM), un droit européen, qui autorise, sous certaines conditions, l’analyse automatisée d’œuvres protégées à des fins de recherche ou encore d’innovation.
OpenAI soutenait également que ses modèles ne stockaient pas les textes d’origine, mais qu’ils généraient des réponses nouvelles, fondées sur des calculs statistiques et non sur des copies directes d’œuvres existantes.
Le tribunal a écarté ces arguments, et a retenu que la mémorisation des paroles dans le modèle et leur reproduction dans les conversations avec les utilisateurs constituaient bien des actes de reproduction soumis au droit d’auteur, et qu’ils ne pouvaient bénéficier de l’exception de TDM.
En outre, les juges ont estimé que les artistes n’avaient jamais consenti à ce type d’utilisation : la formation d’un modèle d’IA ne saurait être considérée comme une exploitation normale et prévisible de leurs œuvres.
Mémoire des modèles d’IA : quand la reproduction d’œuvres devient illégale
Par conséquent, le tribunal a précisé que :
- La mémorisation des paroles dans un modèle constitue déjà une reproduction au sens du droit d’auteur ;
- La restitution des paroles dans les réponses de ChatGPT est un acte de communication au public;
- Les utilisateurs ne peuvent être tenus responsables de ces reproductions, la responsabilité incombant bien à l’exploitant du modèle.
En conséquence, OpenAI a été condamnée à cesser les activités incriminées et à verser des dommages et intérêts.
L’entreprise conteste la décision et a annoncé son intention de faire appel, estimant que celle-ci ne porterait que sur « un nombre limité de chansons » et refléterait « une méconnaissance du fonctionnement des modèles d’IA ».
Elle maintient par ailleurs que ChatGPT ne stocke pas de textes, mais génère du contenu inédit à partir des modèles qu’il a appris.
Une décision pionnière au retentissement européen sur l’usage des œuvres protégées par l’IA
Cette décision, première du genre en Europe, pourrait bien faire jurisprudence.
Elle intervient dans un contexte où la réglementation se renforce : depuis le 2 août 2025, l’IA Act impose aux fournisseurs de modèles d’IA à usage général de publier un résumé détaillé des données utilisées pour l’entraînement de leurs systèmes.
Si la décision du tribunal de Munich est confirmée en appel, ces fournisseurs devront également s’assurer du respect des droits de propriété intellectuelle des œuvres intégrées dans leurs jeux de données.

Des enseignements pratiques pour les acteurs de l’IA face aux risques de contrefaçon
Cette affaire marque un tournant majeur dans la régulation des systèmes d’intelligence artificielle :
Les modèles d’IA qui mémorisent et reproduisent des œuvres protégées sans autorisation s’exposent à des actions en contrefaçon.
Les éditeurs de modèles, start-ups IA et entreprises utilisatrices sont invités à anticiper ces évolutions en :
- procédant à un audit et à une traçabilité de leurs données d’entraînement ;
- mettant en place une gestion rigoureuse des licences et droits d’auteur ;
- assurant une transparence accrue sur les sources utilisées.
Une décision qui redéfinit les limites juridiques de l’intelligence artificielle
Cette décision rappelle avec force que l’innovation technologique ne peut s’affranchir du droit.
Le développement de l’intelligence artificielle doit se concilier avec la protection des créateurs et le respect du droit d’auteur.
Une affaire emblématique, appelée à nourrir la réflexion juridique européenne sur la responsabilité et les limites de l’IA.
Affaire à suivre…
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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.
[1] N°42 O 14139/24