Par Gérard Haas et Maxime Kubiak
Si la fin des années 2010 a été marquée par l’émergence de la blockchain et une volonté des start-up de développer de nouveaux protocoles, le début de cette nouvelle décennie s’illustre par un intérêt sulfureux pour la promesse d’un nouvel espace numérique, incarnée par le métavers.
Lors du CES 2022 qui s’est tenu du 5 au 8 janvier à Las Vegas, les termes « NFT », « Web3 » et « Metaverse » pointaient çà et là, au gré des keynotes, sans qu’un réel projet de fond ne se dessine. Retour sur un phénomène qui entend repousser les limites du numérique.
Folie NFT et « Métavers-washing »
Le métavers, les NFT et les crypto-monnaies sont des notions qui sont imbriquées les unes aux autres.
Sans revenir sur une explication détaillée de chaque terme, ce que nous avons fait lors de précédentes brèves et que nous vous invitons à lire ou à relire s’ils vous sont peu familiers ; il est possible de schématiser ainsi : les métavers sont des lieux d’échanges décentralisés, caractéristique héritée de la blockchain, sur lesquels ils évoluent.
Dans ces lieux parfaitement dématérialisés, il est possible d’exhiber ses œuvres d’art numériques. Entrent ainsi en jeu les NFT, lesquels s’acquièrent au moyen d’échanges de crypto-monnaies.
Ces technologies offrent une interopérabilité entre elles sans précédent, là où les GAFAM cloisonnent les utilisateurs dans leurs silos numériques, la décentralisation du métavers prend le chemin inverse et permet à chacun d’y trouver sa place. Techniquement, il sera possible de porter une paire de baskets virtuelle achetée sous format NFT dans n’importe quel univers virtuel (Decentraland, The Sandbox ou Meta).
Derrière les promesses de vouloir créer des expériences virtuelles uniques, les entreprises utilisent le métavers comme argument marketing en essayant de tirer profit du niveau d’engagement inédit qu’offrent ces technologies, sans considération de l’utilité réelle du produit ou service proposé.
La mutation des industries, l’exemple de l’immobilier
S’agissant par exemple du marché immobilier du métavers, celui-ci est en plein essor.
Selon Andrew Kiguel, PDG de Tokens.com, « les prix immobiliers ont augmenté de 400% pour atteindre 500% au cours des derniers mois. »
Janine Yorio, PDG de Republic Realm, un fonds d’investissement immobilier spécialisé dans les actifs numériques, a déclaré que son organisation a récemment vendu 100 îles privées virtuelles l’an passé pour 15,000$ chacune. Celles-ci se vendent 300,000$ aujourd’hui.
Les prix de l’immobilier dans le métavers tendent à se rapprocher des prix pratiqués IRL.
Fait notoire, fin 2021, Republic Realm a acheté une propriété d’un montant de 4,3 millions de dollars. Il s’agit de la plus importante transaction immobilière virtuelle publique réalisée à ce jour.
Un autre exemple de cet intérêt sans précédent pour l’immobilier numérique nous est donné par la filiale de Hong Kong de PwC. Celle-ci a récemment acquis LAND (titres de propriétés de surfaces de pixels, sous forme de NFT) et réalise son entrée sur The Sandbox.
Il s’agit du premier membre d’un réseau de services professionnels à y faire son entrée.
En France, le groupe Unibail-Rodamco-Westfield qui exploite nombre de centre commerciaux du pays, a déclaré « réfléchir » à investir dans le secteur.
L’attrait pour ces terrains immatériels s’explique en ce que les propriétaires de terrains virtuels dans The Sandbox ou Decentraland peuvent les utiliser pour construire des mondes personnalisés, et donc des boutiques, via un ensemble d’outils fournis par la plateforme.
Le terrain miné de l’investissement dans les crypto-monnaies
Au-delà de la haute volatilité des crypto-monnaies qui rendent de tels investissements très risqués, les arnaques sur ces actifs ne cessent d’augmenter.
Selon Chainanalysis, les arnaques sur les cryptos auraient augmenté de plus de 80% en 2021.
Les montants dérobés pour cette année-là par les escrocs seraient estimés à 7,7 milliards de dollars, soit presque autant que le montant de la fraude aux cartes de crédit aux États-Unis qui s’élève à 8 milliards.
Une large partie des montants dérobés l’est lors des ICO, les escrocs récoltent l’argent des utilisateurs en leur promettant un investissement rentable, puis disparaissent dans la nature.
Ce fut le cas avec AnubisDAO qui avait levé 60 millions de dollars en 24 heures, avant de disparaître, laissant les investisseurs avec un actif sans valeur car sans application ni usage.
Les célébrités se rendent également coupable d’escroqueries aux cryptomonnaies :
- Récemment, Kim Kardashian et le boxeur Floyd Mayweather font l’objet d’une class action et sont accusés d’avoir gonflé artificiellement le prix de l’Ethereum Max, une crypto-monnaie dont ils faisaient la promotion publicitaire.
- Dans le milieu e-sportif, l’été dernier, quatre membres de l’organisation FaZe Clan ont été sanctionnés pour avoir réalisé la même fraude, qualifiée de pump and dump. Titulaires d’un certain nombre de jetons, les joueurs auraient successivement vendu puis racheté les jetons afin d’en augmenter le prix auprès des nouveaux acheteurs.
Les personnes désireuses d’acquérir des NFT ou une crypto-monnaie doivent donc être particulièrement vigilantes, selon les mots de Janine Yorio « c’est profondément dangereux, et vous devriez apporter du capital que vous êtes prêt à perdre. »
En conséquence, entrer dans le métavers, qui suppose une acquisition de crypto-actifs, semble pour l’heure réservée aux très riches.
Le métavers doit s’affirmer et conquérir son public
L’attitude des consommateurs envers le métavers est plutôt mitigée, selon une étude réalisée par Forrester, au Royaume Uni, plus d’une personne sur trois déclare ne pas en avoir besoin dans sa vie, tandis que la même proportion avoue ne pas savoir de quoi il s’agit.
Du côté des entreprises en revanche, l’enthousiasme est non dissimulé dans la perspective d’une publicité ciblée améliorée, corrélée à la granularité des données collectées (communication des émotions en ligne) grâce aux capteurs biométriques.
Pourtant, la technologie ne semble pas encore tout à fait au point et appelle à des améliorations : la technologie VR cause la nausée, la faute à une différence de perception entre ce que voient les yeux et ce que ressent le corps, et demanderait un certain temps d’adaptation.
Quid du coût d’entrée ? L’univers virtuel demande un certain investissement : gants tactiles, casque, veste haptique et tapis multidimensionnel sans compter la place que l’équipement occupe au sein du logement. Autant d’arguments reléguant une fois encore l’expérience du métavers à un luxe réservé à certains.
Nvidia, le leader de la fabrication des puces graphiques, propose une approche plus collaborative du monde virtuel en donnant la possibilité aux joueurs, concepteurs et ingénieurs d’œuvrer main dans la main dans la conception du métavers.
Cette proposition porte un nom : l’omniverse.
L’omniverse est une boîte à outils, un métavers peuplé de jumeaux numériques et de robots, permettant à une entreprise de créer dans l’espace virtuel avec les contraintes de l’espace physique. Celui-ci pourrait être utilisé par les étudiants et les professionnels pour apprendre, concevoir et simuler de nouveaux services.
A titre d’exemple, l’utilisation des jumeaux numériques comme double numérique des patients, pourrait révolutionner les interventions chirurgicales ou la fabrication de prothèses dans le secteur de la santé.
De même, la création du jumeau numérique d’une ville en 3D permettrait d’optimiser la Smart City : développement des plans d’intervention des services de secours ou d’évacuation de la population, réseaux de transport et trafic routier optimisé, informations sur les immeubles.
Autant d’applications qui mettraient le métavers au service du bien commun, sans nous cloisonner dans nos terrains virtuels privatisés et pixellisés.
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