Par Gérard Haas, Gaël Mahe et Maxime Kubiak
La crise sanitaire engendrée par le covid-19 a profondément affecté le secteur du tourisme : chute du nombre de touristes internationaux (moins 98% de touristes au mois de mai 2020 comparé à l’année précédente) et perte des revenus associés à cette industrie (60 milliards d’euros en moins pour l’année 2020 comparé à 2019) selon un communiqué de presse de l’Organisation Mondiale du Tourisme publié en juillet 2020[1].
Durant cette période, de nombreux acteurs touristiques en ont profité pour proposer des offres de tourisme numérique innovantes : mise en place du « remote tourism » (tourisme à distance) par l’office de tourisme des Iles Féroé[2], technologie VR pour visiter la ville d’Helsinki depuis son ordinateur[3], création d’une plateforme dédiée aux activités de la Côte d’Azur pour stimuler les offres locales[4]…
Ainsi, la riposte s’organise et les nouvelles technologies sont accueillies à bras ouverts par les acteurs du tourisme qui souhaitent attirer à nouveau les touristes sur leur territoire. Dans ce contexte, le développement des métavers est plus qu’opportun tant il est porteur de nouvelles possibilités pour ce secteur à fort développement numérique.
La digitalisation au service de l’industrie du tourisme
Le secteur du tourisme est très attentif aux opportunités offertes par internet et la digitalisation, ce qui n’est pas pour déplaire aux nouvelles générations, avides d’expériences inédites et dématérialisées. Une étude menée en 2017 par American Express[5] témoigne de cette tendance en cela que « 83 % des millennials déclarent qu'ils laisseraient les marques de voyage suivre leurs habitudes numériques si cela leur permettait de bénéficier d'une expérience plus personnalisée ».
Autre point intéressant, celui de l’importance des avis publiés en ligne pour le consommateur pour se faire un avis sur un bien ou un service : ils seraient 64% à consulter avant de réaliser un achat[6] et le tourisme suit aussi cette logique.
En effet, ce comportement « s’observe aussi pendant, pour la sélection de restaurants, la réservation de billets et d’activités. Et elle s’exerce après le voyage pour les avis en ligne. La couverture numérique en France est donc vitale. Elle l’est pour les établissements et elle l’est pour les touristes, qui, aujourd’hui, ont un jugement sans appel sur les destinations où il n’y a pas de couverture numérique ou une couverture trop faible[7] » selon Didier Chenet, président du Groupement National des Indépendants (GNI).
Progressivement, le secteur du tourisme tend à s’orienter vers des technologies immersives et notamment les solutions XR pour combler chaque étape du parcours client :
- Attirer plus et mieux, en construisant un « storytelling» qui s’adresse à la catégorie cible de touristes et développer une identité territoriale qui donne envie de se déplacer (outils VR comparatifs de destination, visite à distance de monuments ou sites en VR, réservation en direct après visite) ;
- Pourvoir à une meilleure offre touristique afin de maximiser la dépense journalière par personne (reconstitution de sites, visite enrichie grâce à la VR). A cela s’ajoute la problématique environnementale et sociétale (rejet de la population locale pour le tourisme de fêtes dans certaines villes, sites saturés et détériorés du fait de l’afflux touristique) ;
- Assurer un accueil de qualité, critère qui doit être observé à tous les niveaux de la chaîne, de sorte qu’il appartient à la collectivité de former, communiquer et responsabiliser les professionnels avec des mises en situation et formations grâce aux outils VR (exemple avec les agences Thomas Cook et sa politique de « Try Before You Fly[8]») ;
- Fluidifier le parcours client, lequel passe par une homogénéisation des outils utilisés par le touriste lors de son parcours permettant d’accélérer la numérisation de l’activité (agent conversationnel, outils de réservation, paiement numérique) et faciliter la décision d’achat (visite virtuelle d’un site d’hébergement par exemple).
Le renouvellement de l’industrie du tourisme par le Métavers
Mutation des filières touristiques classiques
Force est de constater que l’industrie du tourisme a été mise à mal par la pandémie de covid-19 en raison du renoncement de nombreux potentiels touristes à se déplacer autant sur le plan national qu’international pour des vacances ou autres.
Un rapport de l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) publié en avril 2021 estime à environ 500 millions le nombre de touristes internationaux en moins en Europe par rapport à 2019, pour une perte de recettes d’exportation s’élevant à près de 1 300 milliards de dollars[9].
C’est là toute l’ingéniosité du concept de tourisme métavers. En effet, ce dernier permettrait de dynamiser l’industrie du voyage en modifiant la façon dont les clients interagissent avec d’autres lieux avec des technologies immersives comme la réalité virtuelle (VR) mobilisées pour développer des expériences originales, inédites et surtout faciles d’accès.
L’industrie de l’hôtellerie et de la restauration pourrait par exemple se saisir des opportunités marketing pour permettre aux utilisateurs de passer commande dans un restaurant virtuel (comme projette de le faire McDonalds[10]), en interagissant avec les avatars du personnel, ou encore de montrer virtuellement comment est cuisiné un plat.
Les boites de nuit et les casinos, versant de l’industrie touristique axé sur le divertissement pourraient, eux aussi, profiter du développement du métavers. Ce dernier permettrait aux clients de profiter de toutes les interactions propres à ces lieux de manière immersive tout en bénéficiant d’options inédites et monétisées (Decentral Games et le club Amnesia Ibiza avec l’évènement « SuperClub[11] » ou le casino Crypto Casino Club sur Decentraland[12]).
Le fer de lance du green tourism
Dans un registre différent, le métavers apparaît également comme un moyen de :
- Favoriser le « green tourism» c’est-à-dire privilégier une expérience de voyage (virtuelle) qui redonne du sens et poursuive un objectif social, environnemental, humanitaire, solidaire ou éthique.
- Limiter les émissions de voyages à l’échelle locale et mondiale en réduisant progressivement le recours aux voyages en avion pour des évènements tels que les concerts ou les évènements sportifs, au profit de l’immersion quasi égale des mondes virtuels.
Avec le développement et la démocratisation du tourisme virtuel, on pourrait craindre que le tourisme physique ne devienne un luxe réservé aux plus privilégiés
Le droit à l’épreuve du métavers touristique
En matière de tourisme virtuel et dans la continuité de nos précédentes brèves sur le sujet, une attention toute particulière doit être portée :
- A la protection des données personnelles, les interactions entre individus sont susceptibles de créer un volume de données sans précédent et pourraient révéler de nombreuses informations sur les personnes. Il ne s’agira plus de profiler les utilisateurs mais bien de décortiquer leurs schémas de pensées grâce aux technologies mobilisées pour se mouvoir dans les métavers.
Pour rappel, le profilage est une pratique strictement encadrée par le RGPD[13] et est, conformément à ce dernier, par principe interdit dans deux cas de figure[14] :
- Lorsque la décision sur laquelle est basée le profilage produit des effets juridiques ;
- Lorsque le profilage produit des effets significatifs pour la personne.
Appliqué au métavers, rappelons que l’avatar virtuel est un prolongement de l’identité de la personne. Ce n’est plus l’utilisateur, qui, au gré de sa navigation sur internet est profilé mais l’avatar et les interactions qu’il est susceptible d’avoir avec son environnement.
Comment s’assurer qu’un utilisateur ne voit pas son interface, le monde virtuel qui l’entoure, façonné et personnalisé en fonction de ses habitudes de consommation ? La tentation est grande pour les leaders de la tech.
Depuis l’invalidation du Privacy Shield, conséquence de l’arrêt « Schrems II » rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne[15], les transferts de données sur le territoire américain sont pour le moins problématiques.
Si Meta avait menacé de priver le continent européen de l’utilisation de ces plateformes, un nouvel accord aurait été conclu entre les Etats-Unis et l’Europe le 25 mars dernier[16].
Reste à connaître les détails de cet accord dans les mois à venir.
Le métavers représentant un véritable eldorado pour les publicitaires, la protection des personnes concernées doit être à la hauteur de l’enjeu.
- A la protection du droit à l’image, notamment celui du patrimoine culturel et historique des villes susceptibles d’être reproduites dans le métavers. Le Code du patrimoine[17]prévoit, en effet, « L’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national. Cette autorisation peut prendre la forme d’un acte unilatéral ou d’un contrat, assorti ou non de conditions financières».
On pense également à l’exception du droit au panorama, qui pourrait être soulevée par les ayants-droits d’œuvres architecturales ou sculptures présentes dans l’espace public. Pourraient-ils invoquer un préjudice du fait de la reproduction d’une ce ces œuvres dans un métavers ? Rien n’est moins sûr, d’autant que des questions de droit applicable devront se superposer à ces problématiques en ce que les métavers, n’ont, par définition, pas de frontière.
Pour l’heure, les initiatives métavers s’inscrivent soit dans la transformation numérique des villes[18] via l’initiative Open AR Cloud, soit dans la valorisation du patrimoine urbain via l’encapsulation de ces actifs en NFT et mise aux enchères (ville de Cannes[19]).
Fracture générée par le métavers
Au-delà de l’impact direct du métavers, il y a aussi les effets collatéraux de ce dernier et, notamment, l’aggravation d’une fracture numérique déjà bien réelle. L’INSEE estime en effet que près de 17% de la population est exclue ou en difficulté avec les usages du numérique[20].
Une telle fracture sera-t-elle réduite à l’avenir ? Rien n’est moins sûr, et la récente déclaration d’Emmanuel Macron de vouloir bâtir un métavers européen[21] semble confirmer l’engouement souverainiste pour ces univers virtuels, sans considérer les personnes déjà exclues du numérique.
Il conviendra donc de porter une attention particulière à l’accessibilité du métavers et aux données collectées lors de ces expériences tant la tentation est grande pour Meta et les autres acteurs concernés d’en connaître toujours plus sur leurs utilisateurs.
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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. N’hésitez pas à faire appel à nos experts pour vous conseiller. Pour nous contacter, cliquez-ici.
[1] UNWTO, « L’impact de la covid-19 sur le tourisme mondial apparaît dans toute son ampleur lorsque l’OMT chiffre le coût du blocage », 28 juillet 2020
[2] Etourisme.info, « Les Iles Féroé inventent le remote tourism », 17 juin 2020
[3] Virtual Helsinki : https://virtualhelsinki.fi
[4] Expérience Côte d’Azur : https://www.experiencecotedazur.com
[5] MDG Advertising, « 7 Travel Marketing Trends Worth Exploring In 2017 », 2 février 2017
[6] Capterra, « L’importance des avis en ligne pour le consommateur », 30 septembre 2019
[7] Vie publique, « Tourisme et Numérique », 12 décembre 2017
[8] Visualise, « Thomas Cook Virtual Reality Holiday ‘Try Before You Fly’», 31 janvier 2017
[9] Slideshare, « Le future du tourisme en 2030 : grandes tendances, plan d’actions & recommandations pour préparer l’avenir », 8 mai 2021
[10] VR Scout, « Order Food In McDonald’s Metaverse Restaurant », 10 février 2022
[11] Decentral Games, « Decentral Games & Amnesia Ibiza Launched First Metaverse Music Festival, Showcasing The Future of Virtual Nightlife », 12 octobre 2021
[12] Forbes, « Crypto Casino Club : Comment le metaverse accélère l’émergence du Casino 3.0 ? », 25 mars 2022
[13] Règlement (UE) 2016/679 du parlement européen et du conseil du 27 avril 2016
[14] Article 22 du RGPD
[15] CJUE, C-311/18, Data Protection Commissioner/Maximillian Schrems et Facebook Ireland, 16 juillet 2021
[16] Usine Digitale, « Les Etats-Unis et l'Europe trouvent un accord sur le transfert de données outre-Atlantique », 25 mars 2022
[17] Code du patrimoine, article L. 621-42
[18] Le petit journal, « Ankara devient la 4ème ville test de l’univers du métaverse », 10 janvier 2022
[19] Le Figaro, « A Cannes, le patrimoine mis aux enchères sous format NFT », 15 avril 2022
[20] Vie publique, « Fracture numérique : l’illectronisme touche 17% de la population selon l’INSEE », 2019
[21] Journal du Geek, « Métavers européen : pourquoi l’idée d’Emmanuel Macron s’annonce compliquée ? », 22 mars 2022