Par Haas Avocats
La maire de Denain, Anne-Lise Dufour-Tonini, a récemment été la cible de graves menaces de mort sur le réseau social TikTok. L’auteure de la vidéo incriminée, une habitante de la commune, y proférait pendant près de quatre minutes des propos d’une violence inouïe, annonçant notamment vouloir « carabinier » l’édile et « mettre le feu » à la mairie.Suite à la plainte déposée par l’élue, la responsable a été interpellée et jugée en comparution immédiate : elle a écopé de dix mois de prison ferme, assortis d’une interdiction de l’approcher pendant deux ans.
Ce fait divers glaçant n’est malheureusement pas un cas isolé. Il s’inscrit dans un climat de tensions croissantes où de nombreux maires et élus locaux font l’objet de menaces ou d’agressions.
En 2024, pas moins de 2 501 incidents visant des élus ont été recensés en France, dont 68% de menaces, outrages ou injures, et près d’un quart commis via Internet. Les pouvoirs publics tirent la sonnette d’alarme : s’en prendre à un maire, c’est « s’en prendre à la République tout entière ». Une loi du 21 mars 2024 a même renforcé la protection des élus et durci les sanctions pour décourager ces violences.
Dès lors, on peut s’interroger : jusqu’où la liberté d’expression peut-elle aller, et où commence le délit de menace ?
Liberté d’expression : une ligne rouge à ne pas franchir
La liberté d’expression est un droit fondamental dans notre démocratie, protégée notamment par l’article 10 de la CEDH. Elle autorise une critique vigoureuse des décideurs publics et politiques menées. Une maire, en tant que personnage public, doit accepter d’être pris à partie, y compris sur un ton virulent ou satirique.
Opinions tranchées, désaccords exprimés haut et fort, voire paroles outrancières : tout cela fait partie du débat démocratique. Cependant, ce droit à l’outrance verbale connait des limites claires qu’il est dangereux d’ignorer.
Menacer quelqu’un de violences physiques dépasse nettement le cadre de la liberté d’opinion. La frontière légale est limpide : exprimer un désaccord, oui ; promettre de « finir » quelqu’un, non.
Une critique même acerbe ou une injure personnelle relèvent du droit de la presse et peuvent être discutées devant un tribunal civil ou correctionnel avec des peines généralement modestes. En revanche, proférer une menace de mort ou de violences place l’auteur hors du champ de la libre expression : on bascule alors dans la violence verbale incriminée pénalement.

Menace de mort : un délit lourdement sanctionné
En droit français, une menace adressée à une personne, qui plus est de mort, constitue un délit très sérieux. Il s’agit de l’annonce d’un mal que l’on se vante de pouvoir lui infliger, dans le but de lui faire peur ou de la contraindre. Peu importe que l’auteur ait ou non l’intention ou la capacité réelle de mettre sa promesse à exécution : c’est l’effet d’intimidation recherché qui justifie la répression.
Ainsi, lancer un « Je vais te tuer » ou « Tu verras ce qui t’attend » à quelqu’un tombe sous le coup de la loi, même prononcé sous le coup de la colère ou de façon prétendument ironique. A la différence d’une simple insulte ou d’une diffamation qui relèvent de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, la menace relève du code pénal.
Il n’existe pas d’excuse humoristique ou de justification politique recevable : dès lors que les paroles contiennent une promesse crédible de violence, les tribunaux considèrent qu’il y a franchissement de la ligne rouge.
La loi prévoit des peines significatives pour ce type de comportement. Une menace de commettre un crime ou un délit contre une personne est passible de jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende dans sa forme de base. Ce seuil s’élève même à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende lorsque la menace porte explicitement sur la mort de la victime ou vise un dépositaire de l’autorité publique.
Autrement dit, proférer une menace de mort contre un maire cumule deux facteurs aggravants. A Denain, la peine de 10 mois ferme avec mandat de dépôt reflète cette sévérité, même si elle-reste en-deçà du maximum encouru.
Il faut noter en outre que la protection est renforcée lorsque la cible est un représentant de l’Etat : alors qu’envers un simple particulier une menace isolée verbale peut parfois échapper à la poursuite, une seule menace suffit à constituer l’infraction lorsqu’elle vise un élu ou un agent public.
Les réseaux sociaux : pas de zone de non-droit pour les menaces
Internet et les réseaux sociaux ne sont pas un far west juridique où l’on pourrait tout dire sans conséquence. Au contraire, les textes s’y appliquent intégralement. Dans l’affaire de la mairie de Denain, c’est via TikTok que la mise en cause a diffusé sa vidéo haineuse, pensant peut-être que l’écran lui conférait une certaine impunité. C’est souvent l’illusion qu’offrent les réseaux sociaux : derrière son smartphone, on se sent protégé, désinhibé, parfois tenté de surenchérir dans le discours extrême pour faire le buzz. Or, comme le rappelle ce cas, les propos tenus en ligne laissent des traces et peuvent être utilisés comme preuves.
Ici, le fichier vidéo lui-même a servi d’élément accablant, permettant une identification rapide et une action en justice. Poster une menace en story, en commentaire ou en vidéo live revient juridiquement au même que l’exprimer par lettre ou de vive voix : la matérialisation numérique n’atténue rien en gravité, bien au contraire. Le caractère public et viral d’une plateforme comme TikTok peut même être retenu comme circonstance aggravante, puisqu’il amplifie la portée de la menace et le trouble causé à la victime.
Les réseaux sociaux disposent certes de leurs propres règles internes mais dans les faits, la vidéo incriminée a d’ailleurs été signalée et supprimée par la plateforme. Mais ces mesures privées ne remplacent par l’action de la justice.
En France, toute personne s’estimant menacée peut déposer plainte : les autorités encouragent aussi le signalement des contenus illicites via la plateforme gouvernementale Pharos. Publier une vidéo ou un message en ligne ne protège donc aucunement l’auteur de poursuites pénales bien réelles.
Un enjeu de société : protéger nos élus sans museler le débat
L’agression verbale subie par Anne-Lise Dufour-Tonini pose une question de fond : comment endiguer la démesure violente du discours en ligne, tout en préservant un débat public libre ?
D’un côté, les élus incarnent l’autorité de la République et doivent, à ce titre, faire l’objet d’une protection exemplaire. Il en va de la sérénité de la vie démocratique, aucun maire ne devrait exercer son mandat la peur au ventre. Les chiffres récents traduisent une prise de conscience du problème, avec un arsenal législatif renforcé et des campagnes pour rappeler que menacer un élu, c’est attaquer la communauté tout entière.
D’un autre côté, il importe de ne pas sombrer dans une répression aveugle de toute parole abrasive. La frontière entre libre contestation et violence verbale nécessite un équilibre fin. Il est légitime, par exemple, de critiquer vivement l’inaction supposée d’un responsable sur la sécurité ou d’autres sujets sensibles.
La difficulté réside dans la prévention des dérapages vers des appels à la violence. Faut-il davantage éduquer les utilisateurs des réseaux sociaux aux responsabilités juridiques qu’implique la publication de contenus ? Peut-on mieux modérer les plateformes pour détecter en amont les dérives dangereuses tout en évitant la censure injustifiée ?
Condamnation : 10 mois d'emprisonnement ferme
Le tribunal judiciaire de Valenciennes a, par jugement en date du 30 octobre 2025, condamné l'auteure de menaces de mort à une peine de dix mois d'emprisonnement, avec mandat de dépôt décerné.
Le tribunal a en outre prononcé à son encontre une interdiction de contact avec Madame le Maire de Denain et d'accès aux locaux municipaux pour une durée de deux ans. Il lui a été fait défense de paraître au domicile de l'élue ou à ses abords pour la même période.
Enfin, la juridiction a ordonné une interdiction des droits civiques et familiaux5pour deux ans, marquant ainsi la gravité des faits reprochés et la détermination de l'ordre judiciaire à protéger les institutions de la République et leurs représentants.

L'affaire concernant la maire de Denain rappelle avec force que la liberté d'expression, pierre angulaire de notre État de droit, ne saurait constituer un droit à menacer ou à instiller la terreur. Les paroles engagent juridiquement leur auteur.
Sur TikTok comme dans tout autre espace public, le franchissement de la ligne rouge en proférant des menaces de mort expose son auteur à des sanctions pénales inéluctables.
Cette affaire invite à une réflexion approfondie sur les modalités permettant de concilier la vigueur nécessaire du débat démocratique avec le respect des personnes et de l'ordre juridique.
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