Liberté d’expression et réputation : le juge face au DSA

Liberté d’expression et réputation : le juge face au DSA
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Par Haas Avocats

Les 3 et 5 septembre 2025, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu deux décisions fondatrices concernant l’application du Digital Services Act (DSA), tout en réaffirmant la place centrale de la liberté d’expression face aux demandes de retrait ou de déréférencement de contenus en ligne.

Ces jugements illustrent avec rigueur l’équilibre que le juge national doit opérer entre deux droits fondamentaux : la protection de la réputation et des données personnelles, d’une part, et la liberté d’expression et le droit du public à l’information, d’autre part. Ils rappellent avec force que seules les atteintes manifestement illicites peuvent faire l’objet d’une mesure judiciaire de retrait ou de restriction.

DSA et droit à l’oubli : quand les preuves font la différence

Dans la première affaire[1], un ancien journaliste et créateur de contenus demandait à Google le déréférencement d’un article du Parisien mentionnant qu’il avait été mis en cause pour des violences sexuelles. Il invoquait alors son droit à l’oubli, fondé sur l’article 17 du RGPD et sur l’article 6-3 de la LCEN.

Dans la seconde affaire[2], la société Point Sun, exploitant un centre de bronzage, sollicitait la suppression d’une vidéo TikTok dans laquelle une utilisatrice affirmait avoir subi des brûlures après une séance dans l’établissement. En parallèle, la société demandait la communication des données d’identification de l’internaute, sur le fondement du DSA, de la LCEN, ainsi que des dispositions du Code de la consommation relatives aux pratiques commerciales trompeuses.

Dans les deux décisions, les demandes ont été rejetées, faute de démonstration convaincante de l’illicéité ou de l’inexactitude des contenus concernés.

Dans l’affaire opposant l’ancien journaliste du Parisien à Google, le juge rappelle que le droit à l’oubli implique que la personne concernée démontre l’inexactitude des informations publiées.

Or, le classement sans suite d’une plainte pénale ne vaut pas preuve de l’innocence ni rectification des faits, traduisant seulement une insuffisance de charges, et non une fausseté du contenu.

Ainsi, l’article visé, ayant été mis à jour afin de mentionner le classement sans suite, date de moins d’un an et traite d’un sujet d’intérêt général. Le déréférencement aurait donc constitué une atteinte disproportionnée au droit du public à l’information.

Également, dans l’affaire Point Sun, le tribunal a estimé que le simple dépôt d’une plainte ne suffisait pas à établir que les propos tenus dans la vidéo étaient mensongers. En effet, aucune preuve n’est apportée quant à l’inexactitude des faits ou à leur caractère commercial, écartant alors la qualification d’influence commerciale au sens de la loi du 9 juin 2023[3]. Le témoignage a donc été jugé personnel, subjectif, et ne dépassant aucunement les limites admissibles de la critique.

DSA, RGPD, CEDH : une application rigoureuse du cadre européen

Ces décisions démontrent la volonté des juridictions d’appliquer précisément le cadre juridique européen, et plus spécifiquement les principes posés par le Digital Services Act (DSA), entré en vigueur en février 2024.

En vertu du DSA, les hébergeurs ne sont pas responsables des contenus qu’ils hébergent, sauf s’ils ont connaissance de leur caractère illicite et s’abstiennent d’agir promptement. En l’absence de preuves établissant cette illicéité, aucune injonction judiciaire ne peut alors leur être adressée.

Dans cette logique, le tribunal judicaire de Paris a reconnu à TikTok un rôle d’hébergeur, en rejetant la demande d’injonction de retrait et de communication de données.

La jurisprudence européenne vient également renforcer ce cadre. Le juge applique les critères dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’arrêt Hurbain C/ Belgique du 4 juillet 2023[4]: (i) actualité de l’information, (ii) notoriété de la personne visée et (iii) équilibre de l’article.

Liberté d’expression : la ligne directrice du juge face au DSA

L’enseignement de ces décisions est clair : la liberté d’expression constitue la norme, et seules les atteintes manifestement illicites, établies par des preuves concrètes, peuvent justifier une restriction.

Le juge français fait preuve d’une grande prudence afin d’éviter que les textes protégeant la réputation soient instrumentalisés à des fins de censure ou de discrétion opportune, veillant par ailleurs à ne pas faire des plateformes numériques les arbitres de la liberté d’expression.

Ainsi, toute stratégie visant à obtenir la suppression d’un contenu litigieux doit s’appuyer sur :

  • Une analyse juridique précise,
  • Des preuves tangibles du caractère fautif ou inexact du contenu,
  • Et une appréciation de la proportionnalité de la mesure sollicitée.

Comment protéger juridiquement votre image sur Internet

À l’ère du numérique, une vidéo virale, un avis défavorable ou un article de presse peut fortement nuire à votre réputation.

Dans ce contexte, il est vivement recommandé de bénéficier d’un conseil juridique expérimenté, dont les missions pourront notamment consister à :

  • Évaluer la licéité des contenus publiés (diffamation, injure, atteinte à la vie privée, etc.) ;
  • Déterminer si le droit à l’oubli peut être valablement invoqué, ;
  • Mettre en œuvre les procédures appropriées, telles que la mise en demeure, le référé LCEN, la notification dans le cadre du DSA ou encore la saisine de la CNIL ;
  • Agir dans le respect de la liberté d’expression, afin d’éviter tout effet contre-productif ou le rejet systématique des demandes.

Protéger votre image en ligne ne s’improvise pas : une stratégie juridique bien pensée sera la clé pour faire valoir vos droits, sans pour autant compromettre votre crédibilité.

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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.

[1] Tribunal judiciaire de Paris, 3 sept. 2025, n° 25/52343

[2] Tribunal judiciaire de Paris, 5 sept. 2025, n° 25/52399

[3] Loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux

[4] CEDH, Affaire Hurbain C. Belgique, 4 juillet 2023, 001-225546

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Auteur Haas Avocats

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