Par Haas Avocats
Dans une société où l’information circule à une vitesse fulgurante et où la création de contenu est à la portée de tous, la tension entre liberté d’expression et droit d’auteur est plus vive que jamais. Si la première est un socle fondamental de toute démocratie, le second demeure une protection essentielle pour les créateurs. Mais peut-on invoquer la liberté d’expression pour justifier une atteinte au droit d’auteur ?
Le Droit d’auteur : Un rempart contre la contrefaçon
Le droit d’auteur, consacré initialement par la Convention de Berne à l’échelle internationale et protégé en France par le Code de la propriété intellectuelle, garantit aux créateurs la reconnaissance et le contrôle sur l’exploitation de leurs œuvres. Plus qu’une simple protection économique, il incarne la propriété intellectuelle des auteurs et contribue à encourager la création artistique et culturelle.
Toute utilisation d’une œuvre sans autorisation, sauf exception légale, constitue une contrefaçon, une infraction qui peut engager la responsabilité civile et pénale du contrefacteur. Pourtant, certains invoquent la liberté d’expression pour tenter d’échapper à ces sanctions.
La Liberté d’expression : Un principe qui connaît des limites
Inscrite à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), la liberté d’expression est un droit fondamental permettant à chacun de s’exprimer librement. Toutefois, ce droit n’est pas absolu. L’alinéa 2 du même article prévoit des restrictions considérées comme nécessaires dans une société démocratique, notamment pour la protection des droits d’autrui, ce qui inclut le droit d’auteur.
La jurisprudence européenne est venue clarifier ces limites. Dans l’affaire Ashby Donald et autres c. France (2013), la CEDH a jugé que la condamnation de photographes ayant diffusé sans autorisation des images de défilés de mode ne constituait pas une violation de la liberté d’expression. L’objectif ? Préserver les droits des créateurs et éviter toute banalisation du pillage des œuvres protégées.
Le Contrôle de proportionnalité : Un garde-fou nécessaire
Face à un conflit entre droit d’auteur et liberté d’expression, les juges appliquent un contrôle de proportionnalité, une technique juridique permettant d’évaluer si la restriction apportée à la liberté d’expression est justifiée au regard des circonstances.
La CEDH exige, en se fondant sur l'article 10 de la Convention EDH, que l'ingérence portée à la liberté d'expression soit prévue par la loi, légitime et nécessaire dans une société démocratique. Nous pouvons rapidement constater que le droit d'auteur répond aux deux premières conditions.
Tout d'abord, le droit d'auteur répond à l'exigence de légalité en ce qu'il est en effet protégé par l'article 1er du Protocole nº 1 de la Convention en tant que droit de propriété.
Ensuite, l'ingérence causée par ce droit est légitime en ce qu'elle poursuit l'un des buts énumérés par le second paragraphe de l'article 10 de la Convention. Reste cependant la question de savoir si la limitation portée par le droit d'auteur à la liberté d'expression est nécessaire dans une société démocratique.
En pratique, les magistrats vérifient notamment :
- Si l’atteinte au droit d’auteur était évitable : Aurait-il été possible d’exprimer la même idée sans reproduire l’œuvre litigieuse ?
- Si des alternatives respectueuses du droit d’auteur existaient : L’usage d’images libres de droits ou d’une citation brève aurait-il suffi ?
Liberté d’expression vs. Droit d’auteur : Retour sur une affaire récente
Dans une décision rendue le 23 janvier 2025, le Tribunal judiciaire de Paris a considéré que la liberté d’expression ne pouvait être invoquée pour contourner des obligations élémentaires de respect du droit d’auteur.
L’affaire remonte au 30 novembre 2021, date à laquelle un candidat à l’élection présidentielle a diffusé en ligne une vidéo intitulée Je suis candidat à l’élection présidentielle, annonçant sa candidature. Présentée comme une œuvre collective, cette vidéo intégrait notamment des extraits du documentaire Cyrille, agriculteur, 30 ans, 20 vaches, du lait, du beurre, des dettes, nommé au César du meilleur documentaire en 2021.
Estimant que cette utilisation portait atteinte à leurs droits d’auteur, la société de production du documentaire ainsi que son réalisateur ont assigné ledit candidat, son Parti et la directrice de publication des sites internet du candidat devant le Tribunal judiciaire de Paris, invoquant principalement des faits de contrefaçon.
Les défendeurs ont tenté de justifier l’intégration des extraits du documentaire en invoquant leur droit à la liberté d’expression et la contribution de la vidéo au débat d’intérêt général. Un argument rejeté par le tribunal, qui a estimé que « l'atteinte au droit d'auteur et aux droits voisins des demandeurs (…) n'apparaît pas justifiée par le droit à la liberté d'expression dont se prévalent les défendeurs, dès lors que cette liberté pouvait s'exercer sans cette atteinte, notamment par la suppression de l'illustration en question ou l'emploi d'autres images sur le même sujet libres de droits ».
Une Liberté encadrée pour préserver la création
Si la liberté d’expression est essentielle, elle ne peut pas servir de prétexte à la contrefaçon.
Le droit d’auteur, loin d’être un frein au débat public, permet au contraire de préserver l’équilibre entre innovation et protection des créateurs.
Le véritable enjeu est de garantir que la liberté d’expression puisse s’exercer sans compromettre les droits légitimes des auteurs.
Dans une époque où l’accès aux œuvres est facilité par le numérique, cette frontière entre expression et contrefaçon reste plus que jamais un défi juridique et technologique.
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