L’IA dans l’industrie musicale : la polémique sur les « faux artistes »

L’IA dans l’industrie musicale : la polémique sur les « faux artistes »
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 Par Haas Avocats

L’Intelligence Artificielle, en constante évolution, confère aux algorithmes informatiques une capacité créatrice inédite.

Cependant, la créativité ne réside pas seulement dans l’œuvre finale, mais aussi dans le raisonnement et l’organisation qui conduisent à cette réalisation.

En effet, ces algorithmes peuvent être fondés sur des œuvres protégées ou porter atteinte au respect de la vie privée ou des données personnelles. Ils peuvent aussi imiter l’image ou la voix d’un artiste, ce que l’on appelle « deep fake », sans que le consentement soit systématiquement requis.

Il en résulte un « hypertrucage » des artistes ou des « faux artistes ». Des amateurs ou des escrocs recourent à l’intelligence artificielle pour reproduire la voix, le style ou la musique d’artistes célèbres afin de réaliser des œuvres originales.

En avril 2023, un incident a opposé les rappeurs canadiens The Weeknd et Drake dont le faux duo généré par l’IA, « Heart On My Sleeve », a été promptement retiré des plateformes à la requête d’Universal Music Group (UMG). En conséquence, Google et UMG se sont associés pour prévenir la diffusion de morceaux illicites créés par IA.

Le sujet devient plus pertinent si l’on considère d’autres cas de « résurrection numérique ». Ainsi, en juin, Paul McCartney a annoncé qu'un nouveau morceau des Beatles sera composé grâce à l'IA, en extrayant des samples de la voix de John Lennon d'une cassette datant de 1978, ce qui a soulevé une large controverse sur l’exploitation commerciale de célébrités décédées.

Hypertrucage des artistes et le projet de loi SREN

Selon ce qui a été exposé dans cet article, afin de faire face à ce phénomène, le législateur a récemment adopté le Projet de loi relatif à la sécurité et à la régulation de l’espace numérique (dit projet de loi SREN).

Ce texte comporte un volet relatif à la diffusion de « deepfake », qui modifie l’article 226-8 du Code pénal. Le texte voté sanctionne d’une peine de deux ans d’emprisonnement le fait de divulguer au public ou à un tiers, par n’importe quel moyen, un contenu visuel ou sonore généré par un algorithme et imitant l’image ou la voix d’une personne, sans son consentement et sans mentionner qu’il a été créé par un algorithme.

Aux États-Unis, un projet de loi, baptisé "No Fakes Act" a été proposé au Sénat américain en novembre 2023. Le projet vise à sanctionner à une amende de 5 000 dollars par infraction la création et la diffusion de contenus numériques générés par l’IA représentant une personne sans son consentement. La loi protégerait également le droit à l’image des personnes décédées jusqu’à 70 ans après leur mort.

Le projet de loi comporte une exception pour les usages parodiques, satiriques ou critiques, ainsi que pour les publicités informatives, documentaires ou humoristiques. Ce projet précise par ailleurs que la mention de l’origine algorithmique du contenu numérique ne constitue pas une exonération de responsabilité.

Hypertrucage des artistes dans le cadre juridique existant en France

En France, le droit au respect de la vie privée, qui englobe la voix et l’apparence, est consacré par l’article 9 du Code civil[1]. Les personnes dont l’image est utilisée dans des « deepfakes » peuvent se prévaloir de ce droit pour faire cesser l’atteinte portée à leur image.

En droit pénal, outre l’article 226-8 précité, l’appropriation des attributs de la personnalité d’une personne sans son accord peut, dans certains cas, constituer le délit de violation délibérée de la vie privée d’autrui prévu par l’article 226-1[2] du Code pénal.

Par ailleurs, du point de vue du Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD), la voix et les données vocales d’une personne sont assimilées à des données personnelles biométriques et font l’objet d’une protection renforcée.

Sans aucun doute, l’interaction croissante entre les progrès technologiques et les droits de la personnalité et des données personnelles pose de nombreux problèmes éthiques et juridiques, mais elle est encore aussi préoccupante au regard du droit de la propriété intellectuelle.

Le droit d’auteur et l’IA Act en discussion

La voix et l’apparence, en elles-mêmes, ne sont pas des œuvres et ne relèvent pas du droit d’auteur. Toutefois, l’utilisation des extraits de musiques avec la voix pour former des systèmes d’IA soulève des difficultés. Un débat sur la nécessité pour l’IA Act d’imposer aux ChatGPT, Bard et similaires de rémunérer les auteurs des contenus qui alimentent leur système est en cours.

Le projet de loi européen sur l’intelligence artificielle suscite des divergences persistantes sur le droit d’auteur des données utilisées par les modèles d’IA générative de type GPT. L’IA Act adopte une approche basée sur les risques et les « deep fakes » dont résultent les « faux artistes » peuvent être appréhendés comme des risques modérés. Le texte préconise des règles de « transparence minimale ». Les utilisateurs devront être avertis qu’ils sont en présence d’une IA ou d’un contenu généré par elle.

Quoi qu’il en soit, le développement de l’IA entraîne une mutation dans la création musicale et le marché requiert assurément une adaptation entre innovation et protection, rassemblant tous les intervenants du secteur dans un objectif de régulation.

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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques judiciaires et extrajudiciaires relatives au droit de la protection des données ou dans l’implémentation ou la mise à jour de votre procédure d’alerte professionnelle. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.

 

[1] Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé.

[2] Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui : 1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; 2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé. 3° En captant, enregistrant ou transmettant, par quelque moyen que ce soit, la localisation en temps réel ou en différé d'une personne sans le consentement de celle-ci.

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