Les risques à vendre des produits couverts par un réseau de distribution sélective

Les risques à vendre des produits couverts par un réseau de distribution sélective
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Par Haas Avocats

Une entreprise peut-elle, sans risque, commercialiser sur sa plateforme, des produits distribués au sein d’un réseau de distribution sélective auquel elle ne fait pas partie ?

Par arrêt en date du 9 novembre 2022, la Cour d’appel de Paris a répondu par la négative dans le cadre d’un différend opposant la société BRICO PRIVE à la société HUSQVARNA.

Celui-ci rappelle les grands principes applicables au réseau de distribution sélective et les risques encourus.

Licéité du réseau de distribution sélective

Conformément à l’article 1er du Règlement (UE) n° 330/2010 du 20 avril 2010, la distribution sélective se définit comme :

« un système de distribution dans lequel un fournisseur s’engage à ne vendre les biens ou services contractuels, directement ou indirectement, qu’à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou services à des distributeurs non agréés dans le territoire réservé par le fournisseur pour l’opération de ce système ».

Au regard du droit de la concurrence, cette réservation de la possibilité de commercialiser un bien ou un service à une certaine catégorie de distributeurs sélectionnés n’est pas interdite, sauf si le réseau vient limiter abusivement la liberté commerciale.

Sur ce point, les lignes directrices sur les restrictions verticales[1] n° 200/C291/01 précisent que :

« l’organisation d’un réseau de distribution sélective est licite à condition que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés de manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de manière non discriminatoire, que les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution et que les critères définis n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire ».

En synthèse, les conditions de licéité d’un réseau de distribution sélective sont les suivantes :

  • Le choix des revendeurs doit être réalisé au regard de critères objectifs et qualitatifs, fixés uniformément et appliqués de manière non discriminatoire ;
  • Les propriétés du bien nécessitent, à des fins de préservation de la qualité et de garantie de son bon usage, un tel réseau;
  • Les critères définis sont limités à ce qui est strictement nécessaire.

A défaut, le réseau ne bénéficiera pas de l’exemption et pourra, selon les circonstances de l’espèce, constituer un accord concerté entre entreprises, interdit en tant que tel par le droit national et européen de la concurrence.

Précisons, en dernier lieu, que la preuve de la licéité du réseau de distribution sélective incombe au fournisseur.

Dans le cadre de l’affaire BRICO PRIVE vs HUSQVARNA, la Cour a jugé licite le réseau de distribution sélective, aux motifs que :

  • Le montage et le maniement d’outils motorisés pouvaient s’avérer délicats et l’utilisation des produits pouvait présenter des risques de rebonds, projections et blessures, de sorte que la distribution des produits devait être confiée à des distributeurs formés qui pouvaient en expliquer le fonctionnement à tout acheteur ;
  • Les distributeurs sont choisis en fonction de critères précis et objectifs, tenant dans leur qualification, la qualité de leur point de vente, l’environnement ou encore les possibilités de stockage des produits. Ces critères ont été considérés comme adaptés à la vente des produits concernés et sont uniformes à l’égard de tous les revendeurs potentiels.

Précisons enfin que la part de marché de chacune des parties n’excédait pas 30%[2] et que le contrat de distribution sélective ne contenait aucune restriction dite caractérisée – la politique de vente du réseau HUSQVARNA autorisant la vente en ligne, réalisée par des distributeurs agréés.

Risques juridiques encourus en cas de violation du réseau de distribution sélective

En présence d’un réseau de distribution sélective licite, quels risques sont encourus par un acteur commercialisant ces produits, alors qu’il ne fait pas partie de la liste des revendeurs agréés ?

Violation du réseau de distribution sélective et pratique restrictive de concurrence

Conformément aux dispositions du Code de commerce[3], constitue une pratique restrictive de concurrence engageant la responsabilité de son auteur, le fait de participer, directement ou indirectement, à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite par un distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive.

Précisons que conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation :

  • Le fait pour un distributeur hors réseau de commercialiser des produits relevant d’un système de distribution sélective n’est pas constitutif d’une faute en soi ;
  • Toutefois, le distributeur parallèle engage sa responsabilité lorsque, en connaissance de cause, il s’est approvisionné auprès d’un distributeur sélectionné.

Dans le cadre de l’affaire BRICO PRIVE vs HUCQVARNA, la Cour, au regard des pièces versées aux débats, a pu constater que l’approvisionnement avait été fait en connaissance de cause auprès d’un distributeur membre du réseau.

La société BRICO PRIVE a donc engagé sa responsabilité au titre des pratiques restrictives de concurrence.

Violation du réseau de distribution sélective et concurrence déloyale et parasitisme

La société HUSQVARNA formait également des demandes de réparation sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle.

Pour mémoire, la concurrence déloyale consiste en des pratiques considérées comme s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle devant normalement régir la vie des affaires.

Elle nécessite la démonstration de ce comportement fautif, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le montant de la réparation demandée.

Comme le rappelle la Cour d’appel de Paris :

la concurrence déloyale « a pour effet notamment, en cas d’irrégularités des conditions de revente par un distributeur hors réseau, de perturber le marché en plaçant une société dans une situation anormalement favorable par rapport aux distributeurs agréés ».

En l’espèce, la Cour a considéré que le fait que :

  • les acheteurs des produits sur le site brico-prive.com ne bénéficiaient pas des compétences et des services qui résultaient du respect des critères posés pour être intégrés au sein du réseau de distribution sélective,
  • la société BRICO PRIVE n’assurait pas elle-même le service après-vente (sous-traité à une société tierce),

permettait à cette-dernière de « réaliser des économies substantielles par rapport aux distributeurs agréés et d’offrir ainsi à la vente, sous couvert de « destockage », les produits HUSQVARNA à des prix bradés ».

La Cour a ainsi considéré que de tels agissements portaient atteinte au prestige du réseau de distribution et permettaient à la société BRICO PRIVE de bénéficier d’un avantage concurrentiel indu.

De manière complémentaire, la Cour a précisé :

qu’ « en commercialisant des produits HUQSVARNA, sans préciser qu’elle ne rempli[ssait] donc pas les critères de qualité correspondants, BRICO PRIVE se pla[çait] dans le sillage du réseau HUQSVARNA afin de bénéficier de sa notoriété et des investissements consentis par HUSQVARNA France pour en assurer la promotion, ce qui constitu[ait] un acte parasitaire ».

La Cour a ainsi condamné la société BRICO PRIVE au paiement de la somme de 300 000 euros au titre de la violation du réseau de distribution sélective et de 200 000 euros au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme.

En complément, il a été fait injonction sous astreinte à la société BRICO PRIVE de cesser la commercialisation des produits et ordonné la publication judiciaire de l’arrêt sur son site et dans trois supports à des fins d’information du public sur les agissements illicites commis.

***

En synthèse, il ressort de cet arrêt que la commercialisation en violation d’un réseau de distribution sélective n’est pas sans risque, tant au regard du code de commerce, que du code civil, au titre de la responsabilité civile délictuelle classique (laquelle peut se cumuler dans certaines conditions).

Le succès d’une telle action reste conditionné à la capacité du demandeur à justifier :

  • De l’existence et de la licéité de son réseau de distribution sélective ;
  • De la faute commise par le revendeur en s’approvisionnant, en toute connaissance de cause, via un distributeur agréé.

Toute entreprise ayant fait le choix de distribuer ses produits au travers d’un tel réseau doit s’assurer de la licéité de son réseau et documenter ces différents éléments, afin de renforcer les chances de succès d’une telle action.

Elle a également intérêt à mettre en place une surveillance des différents sites spécialisés afin de réagir promptement à tout atteinte à son réseau.

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[1] Le règlement a été mis à jour le 10 mai 2022 pour prendre en considération les spécificités des systèmes d’intermédiation : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32022R0720&from=FR

[2] Condition complémentaire pour bénéficier de l’exemption.

[3] L’article L442-6-1 6° du code de commerce, dans sa rédaction applicable – devenu L442-2.

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