Par Gérard Haas et Margaux Laurent
Le 14 janvier 2022, le NFT Museum a ouvert ses portes à Seattle. L’occasion pour nous de revenir sur le sujet des « Non Fungible Tokens » (NFT), ces technologies qui bousculent le marché de l’art depuis le début de la pandémie de la Covid-19.
Le NFT est un objet virtuel apparu il y a quelques années dans le secteur de l’art contemporain.
Plus précisément, le NFT est un bien incorporel, un « jeton », qui représente des droits déterminés par son émetteur, fonctionnant sur la technologie blockchain. Chaque jeton étant unique, il n’est pas interchangeable. En raison de ce caractère non-fongible, il peut être acheté par le biais de différentes cryptomonnaies comme le bitcoin ou l’ethereum. Il est, de manière générale, créé par un smart contrat, un logiciel permettant de définir les propriétés de chaque NFT et d’automatiser les divers évènements susceptibles d’intervenir au long de sa vie.
En matière d’art, les NFTs permettent de transférer les droits de propriété intellectuelle attachés à l’œuvre. Par ce biais, les auteurs peuvent créer dans le monde numérique, l’équivalent d’exemplaires matériels de l’œuvre du monde physique afin de générer de la valeur sur leurs ventes et reventes.
En deux ans, les NFTs sont devenus un véritable phénomène sur le marché de l’art avec 2,7 milliards de dollars de vente sur l’exercice 2020-2021. Désormais, deux-tiers des ventes en ligne du marché sont des NFTs, soit 2% du marché de l’art global.[1]
Preuve de cet emballement du monde de l’art : l’œuvre de Beeple, une image au format jpg. intitulée « Everydays : the last 5000 days » a atteint le prix record de 69,3 millions de dollars le 11 mars 2021.[2]
Par ailleurs, les NFTs ont « gamifié » le marché de l’art. Au-delà de l’investissement qu’ils représentent, les NFTs peuvent également être assortis d’avantages exclusifs ou encore de moments privilégiés avec les artistes…
Cependant, à ce jour, aucune règlementation spécifique n’encadre les NFTs. Or, ces technologies pourraient représenter des opportunités juridiques liées au monde particulier du marché de l’art. Les NFTs pourraient ainsi contribuer à la création d’un droit de suite automatique et assurer l’authenticité des œuvres.
Le droit de suite est la rémunération dont bénéficient les auteurs lors des reventes de leurs œuvres au cours desquelles intervient un professionnel du marché de l’art.[3]
Grâce au système de la blockchain sur laquelle reposent les NFTs, chaque auteur pourrait encadrer son droit de suite dans le smart contract. Ainsi, il serait en mesure de déterminer les montants et modalités des royalties qu’il souhaiterait toucher à chaque fois qu’une transaction intéressant son œuvre aurait lieu sur le marché secondaire.
L’auteur n’aurait alors plus à suivre le parcours de ses NFTs car le smart contract étant irréversible, il procéderait automatiquement au paiement de la somme due à l’auteur. Par exemple, le contrat de vente de « Everydays : the last 5000 days » stipule que Beeple touchera une commission de 10 % sur le produit de chaque revente ultérieure.
Également, grâce à cette fonction de traçabilité, la technologie blockchain pourrait constituer un outil essentiel pour attester de l’authenticité d’une œuvre.
En effet, cette technologie peut être décrite comme un livre de comptes partagé, dans lequel tout mouvement est renseigné et toute transaction est enregistrée. Qu’elle soit sauvegardée sous la forme de NFT ou d’un fichier associé à une création « physique », toute œuvre pourrait bénéficier d’un certificat d’authenticité et d’une preuve de provenance immuable.
Cependant, la reconnaissance des éléments de preuves enregistrés sur une blockchain n’est pas encore admise par la règlementation ou la jurisprudence française.
Une brèche semble s’être ouverte en décembre 2019 lors d’une réponse ministérielle du Ministère de la Justice, qui après avoir rappelé le principe de liberté de la preuve des faits juridiques[4], a déclaré que :
« Les preuves issues des chaînes de blocs peuvent aujourd’hui être légalement produites en justice. Il appartient au juge d’évaluer leur valeur probante, sans que celui-ci ne puisse les écarter au seul motif qu’elles existent sous forme numérique. Dans les cas où une preuve par écrit est imposée, la technologie Blockchain peut répondre à certaines des exigences réglementaires posées en la matière ».[5]
Par conséquent, la technologie blockchain pourrait assurer à son auteur une preuve infalsifiable du moment de la création et à l’acquéreur la certitude qu’il est détenteur de l’œuvre originale. Une telle possibilité pourrait s’avérer utile afin de mettre un terme au contentieux relatif à l’erreur sur l’authenticité de l’œuvre.
Le 2 novembre 2021, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) lançait une mission sur les NFTs. De quoi peut-être conduire à une clarification de la règlementation des NFTs.[6]
Le Cabinet HAAS Avocats, fort de son expertise depuis plus de vingt-cinq ans en matière de nouvelles technologies, accompagne ses clients dans différents domaines du droit. N’hésitez pas à faire appel à nos experts pour vous conseiller. Pour en savoir plus, contactez-nous ici.
[1] Les Echos, « Quatre chiffres pour comprendre comment les NFT dopent le marché de l'art contemporain », Sébastie Mastrandreas, 4 octobre 2021
[2] Le Monde, « Une œuvre numérique se vend 69,3 millions de dollars chez Christie’s, le marché de l’art chamboulé », Le Monde avec AFP, 11 mars 2021
[3] Article L.122-8 du Code de la propriété intellectuelle
[4] Article 1358 du Code Civil
[5] Réponse du Ministre de la Justice à la question écrite n°22103, 15ème législature, 10 décembre 2019
[6] CSPLA, Lettre de mission – Non Fungible Tokens, 2 novembre 2021