Par Haas Avocats
Progressivement applicable depuis le 02 mai 2023, le « Digital Markets Act » (DMA) ou « règlement sur les marchés numériques »[1] est entré en vigueur le 06 mars 2024 et devient désormais pleinement opposable aux acteurs concernés.Pour rappel, le DMA vise à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des grandes entreprises numériques afin de rééquilibrer la concurrence sur le marché européen. Ce texte répond aux préoccupations croissantes de l’Union européenne concernant l’influence et le pouvoir des grandes plateformes considérées comme des « contrôleurs d’accès », telles que Google, Amazon, Facebook et Apple.
A peine entré en vigueur, le DMA est déjà critiqué par certains acteurs et notamment ceux qui sont censés bénéficier des effets positifs de ce texte. C’est notamment le cas des acteurs du secteur du tourisme et de l’hôtellerie. On vous explique pourquoi.
Le champ d’application du DMA
Le DMA cible les plateformes numériques qui entrent dans la définition des « contrôleurs d’accès »[2] (ou « gatekeepers).
Sont considérées comme telles, les entreprises qui[3] :
- Fournissent un ou plusieurs services de plateforme essentiel dans au moins trois pays européens ;
- Ont un poids important sur le marché intérieur : 7,5 milliards d’euros au moins de chiffre d’affaires annuel en Europe sur les trois dernières années ou 75 milliards d’euros ou plus de capitalisation boursière durant la dernière année ;
- Ont un grand nombre d’utilisateurs dans l’Union européenne : plus de 45 millions d’européens par mois et 10 000 professionnels par an pendant les trois prochaines années.
Ces acteurs se voient alors imposer une série d’obligations et d’interdictions, correspondant à des pratiques dont on sait qu’elles ont un effet négatif sur la concurrence.
Au rang de ces interdictions, figurent notamment celles de ne pas favoriser leurs propres services au détriment des services concurrents ou encore de ne pas réutiliser les données des recueillies sur leurs plateformes pour exercer une concurrence déloyale.
L’impact du DMA dans les secteurs du tourisme et de l’hôtellerie
Les problématiques concurrentielles dans le secteur de l’hôtellerie et du tourisme ne sont pas nouvelles.
Par le passé, la Commission européenne avait sanctionné Google d’une amende d’un montant de 2,42 milliards d’euros pour avoir favorisé son propre service de comparaison de prix, comportement constitutif d’un abus de position dominante. La procédure est toujours en cours et les récentes conclusions de l’avocate générale vont dans le sens d’une confirmation de la sanction (voir notre article à ce sujet).
Par l’effet du DMA, Google est désormais contraint de ne plus privilégier l’affichage prioritaire de ses propres services de réservation (Google Hotels, Google Activités etc.) et de donner de la visibilité aux solutions concurrentes.
Google a annoncé vouloir créer, entre les annonces payantes (SEA) et le référencement naturel (SEO), un bandeau intégrant les différents comparateurs de prix, tels que Booking.com.
Il ressort des premiers tests effectués que ce changement entrainerait corrélativement une baisse d’influence des sites hôteliers qui seraient relégués dans le classement à des emplacements pas ou peu visibles pour les consommateurs. A cet effet mécanique, s’ajoute une diminution des marges pour ces acteurs, concurrencés par les prix compétitifs des plateformes s’alimentant en commissions.
Face à ces constats, le 29 février 2024, le groupe hôtelier Mirai a adressé une lettre ouverte au Commissaire européen au marché intérieur pour lui demander de reconsidérer le déploiement du DMA en raison de son impact sur les utilisateurs européens et l’industrie hôtelière.
A ce titre, Mirai soulève que depuis la mi-janvier 2024 et les changements opérés par Google en application du DMA, les clics directs vers les hôtels ont diminués de façon spectaculaire et recense à ce titre une perte de 17 % des clics vers les hôtels en janvier, évaluée à 30 % en février.
Le groupe Mirai dénonce « une corrélation entre les changements de DMA et la perte de tarif direct vers les hôtels évidente ». Les acteurs de l’hôtellerie sont désormais contraints de se tourner vers les plateformes d’intermédiaires, lesquelles pourraient, à leur tour, entrer prochainement dans la définition des contrôleurs d’accès….
Interrogée, l’Union européenne a indiqué que le DMA n’était pas en cause, seules les pratiques de Google aboutissaient à un tel résultat. Elle a également précisé que ces pratiques étaient actuellement en cours d’examen par la Commission européenne.
Google n’est pas le seul à être critiqué pour ses actions de « compliance » en application du DMA. Apple l’est également.
La réaction européenne sera scrutée de près, il en va de la légitimité du DMA, présenté comme l’arme de l’Europe face à la dominance des GAFAM.
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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il accompagne de nombreux acteurs du numérique dans le cadre de leurs problématiques relatives au droit de la concurrence et au droit des plateformes. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.
[1] RÈGLEMENT (UE) 2022/1925 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 (règlement sur les marchés numériques)