Les avocats sont-ils les oubliés de l’Open Data ?

Les avocats sont-ils les oubliés de l’Open Data ?
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Par Gérard Haas et Céline Rodier 

Si l'Open Data made in France est plébiscitée par l'Europe, cette notion continue de faire l’objet de divers débats au niveau national, tels que la question des enjeux de l’Open Data pour les avocats.

Quels sont les avantages et les inconvénients de l’Open Data pour les avocats ?

Rappel : qu’est-ce que l’Open Data ?

L’Open Data, littéralement « données ouvertes », est un terme désignant aussi bien des données numériques qui ont vocation à être rendues publiques, c’est-à-dire librement accessibles et utilisables par tous, qu’une politique de gestion des données par les autorités publiques consistant à les diffuser publiquement et gratuitement.

La plateforme data.gouv.fr est aujourd’hui la première plateforme de diffusion des données publiques de l’Etat français.

La loi n° 2019-2022 du 23 mars 2019 et le décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 ont précisé la mise à disposition du public des décisions de justice annoncée par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

Plus précisément, en ce qui concerne l’Open Data, les décisions rendues par les juridictions administratives et judiciaires font l’objet de régimes juridiques spécifiques prévus au sein de :

Ces décisions sont notamment mises à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique.

Open Data et avocats : des inégalités au regard d’autres professionnels du droit

La mise en œuvre de la mise à disposition des décisions de justice, dans le cadre de l’Open Data, risque de créer, accessoirement, des dissymétries entre les différents acteurs du droit.

En effet, on remarque que les avocats ne sont pas visés au sein des articles L. 10 du Code de justice administrative et L. 111-13 du Code de l’organisation judiciaire. Aux termes de ces derniers, les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans le jugement ou la décision, « lorsqu'elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public. Lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, est également occulté tout élément permettant d'identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe.

Les données d'identité des magistrats et des membres du greffe ne peuvent faire l'objet d'une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d'évaluer, d'analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées. »

C’est pourquoi les avocats demandent le même traitement que d’autres professionnels du droit (les magistrats ou les membres du greffe).

  • Sur les données d’identification des avocats :

Lors de son Assemblée générale de juin 2019, le Conseil national des barreaux (CNB) a demandé un traitement identique des avocats à celui des magistrats, c’est-à-dire :

- Occulter le nom de l’avocat lorsque la décision diffusée en Open Data risque de porter atteinte à la sécurité et au respect de la vie privée de celui-ci ou de son entourage ;

- Limiter la réutilisation des données d’identité de l’avocat. 

Le niveau d’anonymisation des décisions de justice devrait être le même pour les avocats et les magistrats. Les avocats devraient également pouvoir bénéficier de ce dispositif.

  • Sur l’accès des avocats aux données des décisions de justice :

L’Open Data a l’avantage de fournir un niveau d’information élevé aux professionnels du droit notamment. Cependant, là-encore, ces derniers ne sont pas traités sur un pied d’égalité. Par conséquent, le CNB a demandé, dans sa résolution votée en Assemblée générale en décembre 2019, que les avocats puissent avoir le même accès aux données judiciaires que celui réservé aux magistrats, à savoir aux décisions intègres, sans anonymisation ni occultation des éléments indirectement identifiants.

En effet, au sein des textes relatifs à l’Open Data, les avocats sont placés à égalité de traitement avec le « public ». Or, en tant qu’auxiliaires de justice, ils ne font pas partie du « public » visé par la loi du 23 mars 2019. Ils devraient donc être traités de la même manière que les magistrats par exemple, qui ont accès à l’intégralité des données (aux décisions non anonymisées, etc.).

Cette situation est attentatoire au respect du contradictoire et à l’égalité des armes dans le procès, consacrée par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cela crée une inégalité car l’accès aux bases de données est un des instruments de travail de ces professionnels, et l’avocat pourrait ne pas avoir accès à des informations qui sont pourtant portées à la connaissance des magistrats.

De plus, les avocats relèvent que remplacer les noms des parties par des initiales, etc., portent atteinte à la lisibilité des décisions.

Ainsi, les avocats ont fait valoir auprès du législateur la nécessité de maintenir en parallèle de l'Open Data un « flux de données intègres », réservé à un usage professionnel dûment identifié.

Quelles décisions intégrer à l’Open Data ? Le rôle de vérification des avocats

L’avocat doit vérifier si la décision obtenue par son client peut être intégrée à l'Open Data.

Les décisions rendues par les juridictions administratives sont, a priori, toutes concernées par le principe de publicité. L’article L. 10 du Code de justice administrative dispose que « les jugements sont publics ».

Cependant, toutes les décisions rendues par les juridictions judiciaires ne peuvent pas être mises librement à la disposition du public. Une telle publicité suppose que la décision soit rendue publiquement et accessible à toute personne sans autorisation préalable, ou à défaut, présente un intérêt particulier (art. R. 111-11 du Code de l’organisation judiciaire). Toutefois, cette autorisation ne fait pas l’objet de précisions et l’« intérêt particulier » n’est pas défini.

Open Data et risques de l’analyse algorithmique

Dès la fin de l’année 2018, le CNB alertait sur l'utilisation qui pourrait être faite des données issues de l’Open Data. Si l’analyse algorithmique (Big Data) permet une meilleure cohérence et prévisibilité des décisions de justice, elle doit demeurer un outil pour les avocats et être contrôlée.

Le Conseil d'État, le CNB et l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation soulignent la nécessité d'une régulation des algorithmes utilisés pour le traitement des décisions de justice. Ils souhaitent « la création d'un dispositif de régulation et de contrôle des algorithmes utilisés pour l'exploitation des bases de données des décisions de justice qui devrait conduire à la désignation d'une autorité publique chargée de cette régulation et de ce contrôle, en lien avec les juridictions administratives et judiciaires ainsi qu'avec l'Ordre des avocats aux conseils et avec le Conseil national des barreaux ».

Tableau récapitulatif des avantages et inconvénients de l’Open Data dans le cadre de la profession d’avocat :

Tableau récapitulatif des avantages et inconvénients de l’Open Data dans le cadre de la profession d’avocat  (1)

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Gérard HAAS

Auteur Gérard HAAS

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