Par Gérard Haas et Victoire Grosjean
En France, comme partout dans le monde, le secteur du livre audio n’a jamais été aussi florissant.
Les chiffres de l’année 2021 en attestent : la France compte désormais 10 millions d’audio-lecteurs et le montant des ventes aux Etats-Unis a dépassé les 29 milliards de dollars.
Conscients du poids que représentent les livres audios sur le marché de la culture, les géants du secteur ont dernièrement multiplié les annonces. L’une d’elles a notamment fait grand bruit : Audible, la plateforme d’écoute de livres audios d’Amazon, a annoncé proposer à ses utilisateurs français un nouvel abonnement leur permettant d’avoir un accès illimité à un catalogue dédié.
OVNI dans le paysage actuel du livre audio, cette offre questionne les cadres économique et juridique, encore en cours de construction, dans lesquels évolue ce nouveau format de lecture.
Vers la « netflixisation » du livre audio
Initialement calquée sur le modèle de vente des livres papiers, l’économie du livre audio reposait sur l’achat à l’unité. L’audio-lecteur ne pouvait ainsi accéder qu’aux seuls livres qu’il achetait en boutique ou sur son application.
L’économie de l’abonnement appliquée au secteur du livre
A l’instar de France Loisirs qui proposait des prix réduits aux adhérents de son club, Audible a repensé le système d’achat à l’unité et a proposé à ses utilisateurs de payer un abonnement mensuel en contrepartie de l’accès à un titre par mois. Cet abonnement permettait ainsi d’écouter pour un peu moins de dix euros un livre audio pouvant coûter une vingtaine d’euros.
Récemment cependant, l’application d’Amazon a annoncé amorcer un tournant dans l’économie du livre audio en proposant à ses abonnés d’accéder, de manière illimitée, à un catalogue contenant pour l’heure plus de 1.000 titres.
Spotify semble également envisager d’emprunter cette voie. L’application de streaming a annoncé vouloir proposer – à l’achat à l’unité pour le moment – des livres audios et avoir pour ambition « d’introduire de nouveaux modèles économiques autour du livre ». Son PDG avait en effet laissé entendre en juin dernier que la mise en place d’un accès illimité à un catalogue d’audio books était une piste en cours d’étude.
En tout état de cause, le système d’abonnement évoqué n’est pas sans rappeler celui des plateformes de streaming vidéo et a poussé certains commentateurs à parler de « Netflixisation » du secteur. Il s’agit en réalité, ni plus ni moins, de l’entrée du livre audio dans l’économie de l’abonnement dont les contours ne cessent de se redéfinir avec l’essors du numérique.
Rien d’étonnant à ce que l’industrie du livre audio s’y intéresse, le système de l’abonnement est très apprécié des consommateurs comme des professionnels. Pour les premiers, il facilite l’acquisition de biens et services, pour les seconds, il réduit le risque d’impayé et assure des revenus récurrents.
Appliquée au secteur de la culture, et plus particulièrement des livres audios, l’économie de l’abonnement doit cependant appeler à une certaine vigilance dans sa mise en place.
Les nouvelles problématiques du livre audio
Le système de l’abonnement s’éloigne du modèle de vente classiquement retrouvé dans le secteur de la littérature. A ce titre, une attention particulière doit être apportée dans la conception des contrats d’abonnement. Les applications de livres audios s’adressent en effet à des consommateurs et doivent veiller à ne pas méconnaître les dispositions du Code de la consommation, notamment en matière de médiation ou de résiliation.
L’accès illimité qu’induit l’abonnement modifie également le rôle du catalogue. Dans le cadre de la vente, le support du titre, une fois acquis par l’audio-lecteur, lui appartient. Dans le cadre d’un abonnement au contraire, puisque l’accès est conditionné à la durée de la relation contractuelle, l’audio-lecteur n’a pas de droit de propriété sur le support du titre qu’il écoute.
Ainsi, à l’instar de Netflix, le système de l’abonnement permettrait aux applications de livres audios de proposer des catalogues mouvants, qui s’enrichiraient ou s’appauvriraient au grès des contrats conclus, sans que n’éclate de scandale similaire à celui connu par Amazon en 2009. A l’époque, plusieurs utilisateurs de la Kindle avaient reproché à Amazon d’avoir porté atteinte à leurs droits de propriété en supprimant de leurs bibliothèques numériques des romans de George Orwell qu’ils avaient pourtant achetés.
Enfin, la formule de l’abonnement pourrait permettre aux producteurs de livres audios de proposer des livres interactifs, si chers à produire. Amazon, à nouveau, a déjà montré son intérêt pour ce nouveau format avec l’annonce en 2019 du lancement de sa collection « choose your own adventure », accessible aux seuls utilisateurs d’Alexa. Il faudra cependant appeler les applications à faire preuve de prudence dans l’utilisation des données personnelles collectées le cadre de ces écoutes.
En effet, les choix que feront les auditeurs constituerons des informations sur leurs comportements et pourront dès lors relever de la réglementation applicable aux données à caractère personnel.
Quand les critiques élèvent la voix
Tous les acteurs du secteur ne se félicitent cependant pas de la pénétration de l’économie de l’abonnement dans le marché de livre audio.
Maisons d’édition : quelle stratégie adopter pour vos livres audios ?
La crainte de voir le livre être traité comme n’importe quel bien de consommation et perdre sa valeur, a poussé certains éditeurs et plateformes à ne pas se tourner vers ce système d’abonnement illimité.
Tel est le cas de Nextory qui, grâce à un partenariat avec Audiolib, propose un abonnement permettant à l’audio-lecteur d’accéder à tous les livres de son catalogue pendant une durée d’écoute mensuelle limitée.
Face aux mutations du secteur du livre numérique, les éditeurs sont invités à aborder la question de la parution du livre en version audio dès les premiers stades des négociations avec l’auteur. La cession des droits sur la version audio d’un livre ne devrait plus être décorrélée de la cession des droits de la version papier.
Cette anticipation est d’autant plus importante que la production d’un livre audio peut demander beaucoup de temps et de travail, notamment si celle-ci implique la participation de plusieurs comédiens, d’acteurs célèbres ou l’insertion de bruitages.
Par ailleurs, compte tenu de la nouvelle diversité des plateformes de livres audios et des disparités dans les conditions d’accès à leurs catalogues, les réflexions sur la promotion des nouvelles sorties devront intégrer une étude de ces applications pour déterminer celle qui offrira les modalités d’accès les plus adaptées à la stratégie de communication adoptée.
Enfin, la répartition de la rémunération entre éditeur, auteur, artiste-interprète et plateforme d’exploitation est aussi une question qu’il ne convient pas de traiter tardivement, notamment au regard des difficultés que peut représenter la fixation de la rémunération du comédien interprétant l’œuvre.
Les enjeux du livre audio pour l’auteur
Pour les auteurs, la diffusion de leur œuvre sous format audio et de manière illimitée constitue un nouveau défi auquel ils doivent se préparer.
Outre les questions de rémunération qui ne devront pas être négligées lors des négociations avec l’éditeur, il est recommandé à l’auteur de s’investir dans la définition des contours de la cession de ses droits.
La négociation pourra par exemple intégrer le fait qu’il voudra lire lui-même son livre, avoir un droit de regard sur les comédiens sélectionnés ou choisir le mode d’exploitation de son œuvre.
L’auteur doit également garder à l’esprit que les nouvelles technologies peuvent repousser les limites de la cession si le contrat n’est pas rédigé avec suffisamment de précision. Les acteurs de ce marché regorgent en effet de nouvelles idées, preuve en est Audible et son outil Captions, destiné… à sous-titrer les livres audios ! Pour le moment, cette idée a été abandonnée, Amazon voyant émerger de nombreuses critiques de la part d’auteurs et de maisons d’édition.
Le droit à l’écoute des problématiques du livre audio
Le champ des possibles offert par les nouvelles technologies n’explique pas à lui seul les mutations que le marché du livre audio est en train de vivre. Un autre paramètre est à prendre en compte : le cadre juridique de ce nouveau support est encore en cours de construction.
Par conséquent, les acteurs du secteur attendent du législateur qu’il se saisisse des nouvelles problématiques qui émergent.
Celui-ci a initié le mouvement en légiférant en 2020 sur la TVA applicable aux audio books, mettant fin à une insécurité juridique. Désormais, le taux à 5,5% est entériné.
De nombreuses questions restent cependant en suspens : quel est le cadre légal de l’emprunt de livres audios en bibliothèque ? Pourrait-on envisager de mettre à la charge de l’éditeur une obligation légale d’agir en contrefaçon dans le cas où il découvrirait le piratage d’un titre ? Faut-il, à l’instar des ebooks, imposer un prix unique aux livres audios ?
En définitive, les acteurs du monde du livre audio sont invités à évoluer dans ce secteur en cours de mutation tout en gardant à l’esprit que de futures législations pourraient avoir un impact considérable sur leurs modes de production et de distribution. Une veille et un accompagnement juridique en la matière peuvent dès lors s’avérer indispensables pour anticiper ces futurs changements.
Une chose est certaine, le livre audio n’a pas fini de faire parler de lui.
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