Le Conseil d’État interdit l’usage de caméras thermiques dans les écoles

Le Conseil d’État interdit l’usage de caméras thermiques dans les écoles
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Par Laurent GOUTORBE et Paul BERTUCCI

A propos de Conseil d’Etat, ordonnance du 26 juin 2020, n° 441065

Dans ce « nouveau monde » post Covid-19, la tentation du recours à des outils technologiques pour détecter de potentiels cas de contamination virale est grande.

Toutefois, dans un communiqué du 17 juin 2020, la CNIL appelle à la vigilance sur l’utilisation des caméras dites intelligentes et des caméras thermiques pour détecter des températures anormalement élevées des personnes se présentant devant elles.

En effet, les caméras thermiques n’échappent pas aux règles de protection des données personnelles puisqu’elles traitent des données de santé, ce qui est en principe interdit par le RGPD, sauf cas particuliers, notamment en cas de consentement des personnes concernées.

C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat s’est dernièrement prononcé sur le sujet et a ordonné l’interdiction d’utiliser des caméras thermiques dans les écoles d’une commune, estimant qu’une atteinte était portée au droit au respect à la vie privée des élèves, des enseignants et du personnel (CE, Ordonnance du 26 juin 2020).

1. Le litige

Dans un contexte de reprise de l’activité scolaire et afin de prévenir tous risques de contamination, la commune de Lisses (Essonne) a décidé d’utiliser des caméras thermiques portables dans ses écoles afin de contrôler la température corporelle des personnes accédant aux établissements scolaires.

Avertie de ces pratiques, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) a saisi en référé le tribunal administratif de Versailles pour qu’il ordonne à la commune de retirer l’ensemble des caméras utilisées dans ses écoles.

Déboutée de sa demande par une ordonnance du 22 mai 2020, la LDH a formé un pourvoi en référé devant le Conseil d’Etat.

2. La solution du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat a finalement accédé à la demande de la Ligue des droits de l’Homme, et par voie d’ordonnance, a annulé la décision du tribunal administratif de Versailles et demandé à la commune de mettre fin à l’usage des caméras thermiques au sein de ses écoles.

Il relève dans un premier temps que le traitement des données opérées par les caméras thermiques porte sur des personnes identifiables et vise à analyser leur état de santé au regard d’une pathologie particulière, constituant par conséquent un traitement de données personnelles de santé.

Deux exceptions pouvaient dès lors rendre licite ce traitement :

  • Soit, les personnes concernées par la prise de température devaient donner leur consentement explicite à celle-ci (Article 9.2 a) du RGPD)
  • Soit le traitement doit être nécessaire pour des motifs d’intérêt public importants et encadré par un texte de loi (Article 9.2 g) du RGPD).

Aucune de ces deux conditions n’étant démontrée, le Conseil d’Etat a par conséquent estimé que ce traitement de données personnelles de santé était illicite.

De plus et c’est un point à souligner, le Conseil d’État a considéré qu’une analyse d’impact aurait permis d’établir les dangers du déploiement d’un tel dispositif et que l’absence d’une telle analyse d’impact suffisait à elle seule à entraîner l’illicéité du traitement des données récoltées par les caméras thermiques.

3. La portée de cette décision

Cette décision s’inscrit dans la lignée de positions prises à l’encontre de nouveaux outils technologiques au sein d’établissements scolaires. L’on pense notamment aux capteurs biométriques dans les cantines ou aux caméras de reconnaissance faciale installées à l’entrée de lycées.

La CNIL s’est notamment exprimée sur ces deux technologies : la première devait faire l’objet d’une autorisation obligatoire avant toute installation avant l’entrée en vigueur du RGPD et devra nécessairement faire l’objet d’une analyse d’impact désormais4, tandis que la deuxième est considérée comme contraire aux grands principes de proportionnalité et de minimisation des données, énoncés à l’article 5 c) du RGPD5.

De la même manière, par un jugement du 27 février 2020, le Tribunal Administratif de Marseille a annulé la délibération du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur qui visait à expérimenter la reconnaissance faciale à l’entrée de deux lycées de la région.

Les juges administratifs ont en effet considéré que le recours à cette technologie ne respectait pas le principe de proportionnalité au regard des finalités recherchées, et que le consentement n’était pas suffisamment libre et éclairé.

En matière d’installation de caméras thermiques aux fins de prise de température corporelle, le respect des critères de proportionnalité (balance des intérêts), l’obtention du consentement exprès, libre et éclairé des personnes concernées et la réalisation d’une analyse d’impact seront indispensables pour que les traitements de données opérés soient licites. Nul doute que cette licéité ne sera que très rarement acceptée dans des situations particulières et il convient donc d’être extrêmement prudent avant le déploiement de tels dispositifs.

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Laurent GOUTORBE

Auteur Laurent GOUTORBE

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