Par Haas Avocats
Le devoir de mémoire pesant sur l’Etat au titre des crimes contre l’humanité perpétrés lors de la seconde guerre mondiale est reflété dans plusieurs dispositions emblématiques du droit pénal français.Certaines de ces dispositions ont une portée générale, alors que d’autres sanctionnent spécifiquement les actions associées une idéologie nazie.
Nous prendrons deux exemples pour illustrer :
- L’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse définit le délit d’apologie de crimes et permet notamment aux tribunaux d’appréhender les propos visant à justifier ou promouvoir les crimes contre l’humanité perpétrés pendant la seconde guerre mondiale.
Faute de définition légale, la doctrine s’accorde à définir l’apologie comme « le fait de présenter ce crime comme un acte digne d'éloges et d'en féliciter ou d'en glorifier l'auteur »[1].
- L’article 645-1 du Code pénal prévoit, quant à lui, une contravention de 5ème classe punissant l’exhibition en public d’uniformes, d’insignes ou d’emblèmes rappelant ceux d’organisation ou de personnes responsables de crimes contre l’humanité. Ainsi, si l’infraction d’exhibition est caractérisée, son auteur pourra se voir condamné à une amende pénale de 1 500 euros, pouvant être portée à 3 000 euros en cas de récidive.
Ces deux dispositions viennent ainsi limiter la liberté d’expression pour un motif d’intérêt général. Ces limites visent plus particulièrement à distinguer ce qui relève de la sphère intime de ce qui peut être diffusé de manière publique, que ce soit par la parole ou les actes.
Si la prohibition de l’apologie de crime contre l’humanité peut assez facilement être transposée à l’espace numérique, l’application de la disposition prévue à l’article R. 645-1 du Code pénal a posé plus de difficultés.
L’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 5 septembre 2023 vient ainsi casser sans renvoi l’arrêt d’appel ayant retenu l’infraction d’exhibition et prononcer la contravention prévue à l’article R. 645-1 du Code pénal à l’encontre du gérant d’un site spécialisé dans la vente en ligne d’articles militaires historiques en raison de la publication d’images d’une centaine d’objets comportant des emblèmes nazis.
La qualification d’exhibition retenue par la Cour d’appel
Par un arrêt du 13 juillet 2022, la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Rouen a infirmé le jugement de première instance ayant relaxé le prévenu. Statuant à nouveau, elle prononce une amende pénale de 1 500 euros avec sursis au titre de l’article R. 645-1 du Code pénal et condamne le prévenu à verser 1 euro symbolique à la partie civile en indemnisation de son préjudice moral.
La cour d’appel justifie la condamnation en relevant que le prévenu était un collectionneur aguerri et n’ignorait pas que la vente en ligne d’objets nazis supposait de publier des images de ces objets, lesquelles visaient uniquement à capter un nombre d’internautes plus important. Par ailleurs, elle mentionne que le fait de flouter certains des emblèmes indiquait que le prévenu avait connaissance du caractère illicite de la diffusion de ces images.
La cour estime ainsi que la publication de ces photos était constitutive d’une exhibition au sens étymologique du terme, en ce qu’elle constitue une exposition à la vue de tous de ces objets.
Ainsi, la cour d’appel conclut en estimant que la publication d’images pour la commercialisation en ligne d’objets du IIIe Reich devrait être assimilée à l’acte de présentation physique tendant à mettre en vente ces objets, par exemple en vitrine ou aux enchères, lesquelles sont qualifiables d’acte d’exhibition au sens de l’article R. 645-1 du Code pénal.
L’interprétation restrictive de la notion d’exhibition par la Cour de cassation
Le prévenu se pourvoit en cassation au motif que, en jugeant comme elle l’avait fait, la cour d’appel aurait notamment violé l’article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et les article L. 111-4 et R. 645-1 du Code pénal.
Le premier texte vise le principe de légalité des délits et des peines, selon lequel « nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international ».
Le second texte pose quant à lui le principe d’interprétation stricte de la loi pénale. C’est sur ce second fondement que la cassation interviendra. La haute juridiction rappelle en effet que « ce principe prohibe que le juge applique, par voie d’analogie ou induction, la loi pénale à un comportement qu’elle ne vise pas mais qui présente des similitudes avec celui qu’elle décrit ».
Selon la Cour de cassation, l’applicabilité du texte de l’article R. 645-1 du Code pénal en l’espèce suppose d’interpréter le terme « exhiber en public ». Une exhibition peut, selon elle, être définie de deux manières différentes :
- soit, comme « désignant exclusivement le fait de produire physiquement, à la vue d’autrui, de façon ostentatoire» les objets listés ;
- soit, comme « la présentation ou la diffusion au public d’images ou de représentation desdits objets, sans distinguer le moyen utilisé».
Cette seconde interprétation est exclue par les sages au profit de la première.
Le raisonnement de la cour se fonde notamment sur la circulaire adoptée par le ministre de la Justice aux termes de laquelle le texte de l’article R. 465-1 du Code pénal visait à incriminer « non seulement celui qui porte en public un uniforme ou arbore un insigne nazi mais aussi celui qui, par exemple, accroche à la façade d’un bâtiment un emblème nazi »[2].
Ce n’est donc pas la fixation ou la diffusion d’images par voie électronique qui est visée par l’article R. 645-1 du Code pénal, mais bien l’utilisation matérielle de ces insignes et symboles. En l’espèce, le prévenu ne pouvait donc se voir appliquer les sanctions prévues par ce texte.
Une sanction possible en cas d’apologie d’un crime contre l’humanité
La Cour de cassation n’exclut pas pour autant que la publication de photos d’objets militaires issus de la seconde guerre mondiale puisse donner lieu à une condamnation pénale.
En effet, la haute juridiction précise que si la publication de photo en vue de la commercialisation de ces objets en ligne n’est pas incriminée, elle est susceptible d’être appréhendée par l’infraction d’apologie de crime contre l’humanité prévue à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
De jurisprudence constante, ce délit est caractérisé en cas d'éloge ou de justification d'un acte réalisé ou lorsque l’auteur se livre « à des rapprochements ou à des comparaisons douteuses tendant à justifier ou excuser le crime commis et donc, finalement, à y adhérer »[3].
Si la publication en ligne de photos d’objets nazis pouvait être considérée comme tendant à glorifier ou justifier les atrocités commises pendant la deuxième guerre mondiale, de manière explicite ou implicite, le gérant du site aurait alors pu être condamné à une peine pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
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[1] G. Le Poittevin, Traité de la presse, Paris, 1902-1903, t. 2, p. 52, cité par B. Beignier et al., Traité de droit de la presse et des médias, LexisNexis, 2009, no 861
[2] CRIM 88-06 F1/25-03-88.
[3] B. Beignier et al., Traité de droit de la presse et des médias, LexisNexis, 2009, no 863.