Par Gérard Haas, Anne Charlotte Andrieux et Antoine Kraska-Delsol
Alors que de nombreux Etats américains interdisent désormais l’avortement ou sont en voie de le faire, des interrogations émergent quant aux éventuelles poursuites qui seront intentées contre les femmes qui décideraient malgré tout de recourir à une interruption volontaire de grossesse. De nombreux observateurs ont tiré la sonnette d’alarme quant aux risques de suivi via les applications de suivi du cycle menstruel disponibles sur les stores et leur utilisation comme moyen de preuve.
L’absence de garantie constitutionnelle du droit à l’avortement aux Etats-UnisL’arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 1973, une des décisions les plus emblématiques rendue par la Cour suprême américaine, garantissait au niveau fédéral le droit à l’avortement. En se fondant sur le 14e amendement, les juges retenaient que le droit à la vie privée intégrait la décision d’une femme d’interrompre sa grossesse. Par voie de conséquence, cette garantie constitutionnelle de l’avortement empêchait jusqu’alors les Etats de l’interdire.
Alors qu’il est au cœur des débats politiques depuis 1973, le droit à l’avortement aux Etats-Unis n’a jamais été aussi menacé qu’au cours des dernières années, la nomination de deux nouveaux juges conservateurs à la Cour suprême durant le mandat présidentiel de Donald Trump faisant craindre un retour à la pénalisation de l’IVG.
Sans surprise, la Cour suprême a renversé sa jurisprudence Roe par un arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization le 24 juin 2022. Les juges estiment désormais que le droit à la vie privée ne peut pas être étendu à l’avortement.
Même si la Cour suprême n’interdit pas expressément l’avortement, elle laisse les Etats libres de l’autoriser ou de l’interdire sur leur territoire. A ce jour, près de la moitié des Etats ont ainsi interdit l’avortement, prévoient de le faire ou envisagent de le limiter fortement.
Les applications de suivi menstruel, outil de surveillance numérique
Les utilisatrices d’application de suivi menstruel aux Etats-Unis se comptent en millions. Ainsi, l’application Flo dénombre 43 millions d’utilisatrices actives, tandis que Clue en annonce 12 millions. Les données relevées par ces applications permettent d’anticiper la survenance du cycle ou le moment propice pour concevoir.
Les données collectées par les applications de suivi menstruel
Des craintes légitimes ont dès lors émergé quant à la possible surveillance de masse à partir des données collectées par des applications de suivi menstruel qui pourraient être mobilisées par les services judiciaires et d’enquêtes américains pour garantir le respect des nouvelles législations locales interdisant l’avortement.
De telles données pourraient dès lors être utilisées, à titre de preuve, pour incriminer les femmes choisissant d’interrompre leur grossesse et qui vivraient dans un Etat où l’avortement est désormais prohibé.
Des données de localisation pourraient également permettre d’établir si une femme était à proximité d’une clinique dédiée à l’avortement dans un Etat où le procédé resterait légal. Il pourrait en être de même pour l’historique de navigation pour établir qu’une femme a cherché l’adresse d’une clinique.
L'accès aux données personnelles par les services judiciaires et d’enquêtes américains
En effet, ces données sont susceptibles d’être accédées par les autorités d’enquête et de justice sur réquisition ou fournies à titre de preuve par la partie adverse dans le cadre d’un procès. Par ailleurs, certaines applications de suivi du cycle menstruel commercialisent les données qu’elles collectent, notamment à des fins publicitaires, laissant craindre des possibilités de réidentification indirecte de certaines utilisatrices.
Cette hypothèse est loin d’être dystopique : dans une récente affaire, une jeune femme a été incriminée pour avoir avorté, notamment sur la base de données communiquées par Facebook à la justice.
Des associations recommandent donc aux femmes résidant dans des Etats où l’avortement est désormais illégal de ne pas utiliser d’application de suivi de leur cycle.
Quelle protection pour ces données personnelles collectées ?
En réponse à ces évènements récents, les applications les plus populaires se sont engagées à protéger les données de leurs utilisatrices contre d’éventuelles saisies judiciaires, en les chiffrant ou en les anonymisant, voire en proposant des fonctionnalités entièrement anonymes pour retirer toute donnée identifiante de l’application[1].
Fort heureusement, de notre côté de l’Atlantique, le Règlement européen sur la protection des données (RGPD) octroie une protection renforcée à ce type données.
L’article 9 du règlement prévoit ainsi que les traitements de « catégories particulières de données à caractère personnel », au nombre desquelles se trouvent les données concernant la santé, sont par principe interdits. Ces traitements ne peuvent se tenir que dans des conditions strictes, par exemple sur consentement exprès des personnes concernées ou pour des finalités spécifiques.
Dans ce contexte, les données relatives aux cycles menstruels rentrent nécessairement dans la définition des données de santé, envisagée à l’article 4.15 du règlement. Ainsi, des données qui ne concernent pas directement une maladie, des soins ou des traitements peuvent être des données de santé « par destination », en raison de l’utilisation qui en est faite sur le plan médical.
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Le Cabinet HAAS Avocats, fort de son expertise depuis plus de 25 ans en matière de nouvelles technologies, accompagne ses clients dans différents domaines du droit, notamment en matière de protection des données personnelles. Si vous souhaitez avoir plus d’informations au regard de la réglementation en vigueur, n’hésitez pas à faire appel à nos experts pour vous conseiller. Contactez-nous ici.
[1] « Flo's Response to Roe v. Wade » ; « Clue's response to Roe vs Wade »