Par Gérard HAAS et Axelle POUJOL
Ficher en secret des centaines de personnalités en fonction de leur opinion sur les produits ou services proposés par une entreprise, est-ce légal ? Pour l’avoir fait, le journal Le Monde et certains journalistes ont décidé de porter plainte contre X auprès du Parquet de Paris afin qu’une enquête soit ouverte sur le « Fichier Monsanto », document regroupant les données d’environ deux cents personnalités politiques, scientifiques ou syndicales (dont la moitié serait des journalistes) et leur positionnement sur le glyphosate[1].
1. Le contexte de l’affaire
En 2016, le cabinet de lobbying et de relations publiques Fleishman-Hillard, engagé par Monsanto[2], a constitué avec le groupe Publicis[3] un fichier comprenant les noms, coordonnées et opinions d’environ deux cents personnes, parmi lesquelles des responsables politiques et fonctionnaires, des journalistes, des dirigeants d’organisations professionnelles et d’organisations publiques et scientifiques[4]. Selon le journal Tageszeitung de Berlin, il s’agirait d’un classement secret réalisé par Monsanto notamment en fonction de leur positionnement vis-à-vis du glyphosate[5].
2. Les fondements juridiques de la plainte
La plainte du Monde porte sur quatre délits : le journal considère en effet que le « fichier Monsanto » constitue une « mise en œuvre de traitements de données à caractère personnel illicite » et une « collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite ».
En outre, comme ces informations sont classées dans des tableurs, ces bases de données permettraient la « conservation en mémoire informatisée des données à caractère personnel faisant apparaître les opinions politiques et philosophiques d’une personne sans son consentement ».
Enfin, il apparaît que les fichiers sont en anglais, ce qui conduit le journal à des soupçons de « transfert illicite de données à caractère personnel faisant l’objet ou destinées à faire l’objet d’un traitement vers un Etat n’appartenant pas à l’Union européenne ou à une organisation internationale ».
3. Les éventuelles conséquences judiciaires et administratives d’un fichage illicite
En France, le fichage de données personnelles sans le consentement des personnes concernées relève d’une section du Code Pénal consacrée aux atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques[6].
Les quatre délits sur lesquels se fonde la plainte du journal Le Monde relèvent des articles 226-16 et suivants du Code Pénal et sont chacun sanctionnés par une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Outre l’engagement de la responsabilité pénale, la réalisation d’un fichage jugé illicite pourrait également avoir des conséquences administratives pour le(s) responsable(s) : en effet, si la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), autorité française de contrôle en matière de protection des données, est saisie ou se saisit de l’affaire conformément à ses attributions[7], elle pourrait faire application des législations françaises et européennes en matière de protection des données personnelles.
En particulier, le règlement général européen sur la protection des données (RGPD)[8] prévoit d’une part qu’un traitement de données à caractère personnel (c’est-à-dire des données permettant d’identifier directement ou indirectement une personne) doit être réalisé de manière licite, loyale et transparente[9].
Ces principes s’accompagnent de plusieurs exigences notamment quant à l’information des personnes concernées par le traitement, le recueil de leur consentement préalable dans certains cas ou encore la nécessité d’une base légale justifiant le traitement[10].
En outre, des dispositions particulières s’appliquent à certaines catégories de données considérées comme sensibles, parmi lesquelles « les opinions politiques », « les convictions philosophiques » ou encore « l’appartenance syndicale ». Pour ces données, le RGPD interdit par principe tout traitement[11] et liste une série d’exceptions.
En cas de violation de ces dispositions, le RGPD prévoit des sanctions administratives pouvant aller jusqu’à 20 millions d’euros ou 4% du chiffre d’affaires mondial[12].
Le groupe Bayer, propriétaire de Monsanto, a présenté ses excuses et annoncé sa volonté de coopérer avec les autorités[13]. Mais d’ores et déjà, cette affaire de fichage secret ternit l’image de Bayer.
Remarquons que le ciblage et la cartographie d’opinions sont une pratique utilisée par les cabinets d’influences, qui normalement ne peuvent y procéder que sous certaines conditions.
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[1]https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/05/09/fichier-monsanto-le-monde-porte-plainte_5460196_3244.html
[2] Entreprise américaine spécialisée dans les biotechnologies agricoles, appartenant depuis septembre 2016 au groupe pharmaceutique allemand Bayer
[3] Groupe spécialisé en communication
[4] https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/05/09/fichier-monsanto-des-dizaines-de-personnalites-classees-illegalement-selon-leur-position-sur-le-glyphosate_5460190_3244.html
[5] https://www.courrierinternational.com/article/agrochimie-le-fichage-chez-monsanto-une-catastrophe-pour-limage-de-bayer
[6] Code Pénal, Livre II, Titre II, Chapitre VI, Section 5
[7] Article 11 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés modifiée par la loi n°2018-493 du 20 juin 2018
[8] Règlement UE 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données
[9] Article 6 du RGPD
[10] Articles 7, 12, 13 & 14 du RGPD
[11] Article 9 du RGPD
[12] Article 83-5 du RGPD
[13] https://www.leprogres.fr/france-monde/2019/05/12/soupcon-de-fichage-chez-monsanto-le-groupe-bayer-presente-ses-excuses