Par Laurent Goutorbe et Claire Benassar
Par une décision du 16 septembre 2022[1], la cour d’appel de Rennes est venue rappeler les obligations d’exploitation de l’œuvre imposées à l’éditeur au titre du contrat d’édition.
Pour mémoire, le contrat d’édition est défini par le code de la propriété intellectuelle[2] comme le contrat par lequel l'auteur d'une œuvre de l'esprit[3] – ou ses ayants droits – cède à des conditions déterminées à une personne (l’ « éditeur ») le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l'œuvre ou de la réaliser ou faire réaliser sous une forme numérique, à charge pour elle d'en assurer la publication et la diffusion.
Outre le respect du formalisme imposé par le législateur[4], l’auteur devra s’assurer d’insérer certaines mentions au sein du contrat, et notamment :
- Comme pour toute cession de droit d’auteur[5], chacun des droits cédés, et la limitation de leur domaine d’exploitation quant à son étendue, à sa destination, au lieu et à la durée de l’exploitation ;
- Le pourcentage auteur, l’à valoir versé par l’éditeur ;
- La durée du contrat ;
- Le nombre minimum d'exemplaires que devra publier l’éditeur[6];
- Les obligations à la charge des parties, et notamment celles imposées à l’éditeur.
Les obligations à la charge des parties découlant du contrat d’édition
Comme dans tout contrat, les parties doivent respecter ce qui leur est imposé, sous peine notamment de résiliation dudit contrat. Les principales obligations définies au sein du contrat d’édition sont principalement :
- Pour l’auteur de l’œuvre :
- L’obligation de délivrance de l’œuvre et de conformité aux attentes fixées par l’éditeur ;
- Une interdiction naturelle de plagiat;
- Une garantie à l'éditeur d'exercice paisible et (sauf convention contraire) exclusif des droits cédés[7];
- Une obligation mettre l'éditeur en mesure de fabriquer et de diffuser les exemplaires de l'œuvre[8].
- Pour l’éditeur[9]:
- L’obligation d’effectuer ou de faire effectuer la fabrication ou la réalisation sous une forme numérique, dans la forme et suivant les modes d'expression prévus au contrat ;
- L’obligation de n’apporter à l'œuvre aucune modification sans autorisation écrite de l'auteur ;
- L’obligation respecter le droit de paternité de l’auteur ;
- A défaut de convention spéciale, l’obligation de réaliser l'édition dans un délai fixé par les usages de la profession ;
- L’obligation de rendre compte[10] et de fournir à l'auteur toutes justifications propres à établir l'exactitude de ses comptes ;
- L’obligation d'assurer à l'œuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale conformément aux usages de la profession.
C’est précisément sur cette dernière obligation que la cour d’appel de Rennes est revenue dans sa décision du 16 septembre 2022 pour sanctionner un manquement de l’éditeur par la résiliation du contrat d’édition à ses torts.
La résiliation du contrat d’édition pour manquement de l’éditeur à son obligation d’exploitation et de diffusion
Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, un auteur avait conclu avec un éditeur un contrat d’édition portant sur la publication d’un ouvrage. L’auteur reprochait toutefois à l’éditeur son manquement aux « obligations de promotion et de diffusion de l’œuvre », lequel avait justifié pour le tribunal judiciaire de Rennes la résiliation du contrat aux torts exclusifs de l’éditeur et le paiement de dommages et intérêts.
La cour d’appel a confirmé cette décision.
La jurisprudence rappelle l’obligation d’exploitation à la charge de l’éditeur
En effet, si l’éditeur ne peut garantir à l’auteur le succès de l’ouvrage et ne saurait être responsable de l’absence de réaction ou du mauvais accueil de la critique, des distributeurs ou des jurys de prix, il est malgré tout soumis à l’obligation de résultat de l’exploiter.
A ce titre, les juges ont retenu que suivant l'accord interprofessionnel conclu entre les auteurs et les éditeurs, l'éditeur est ainsi tenu, dans le cadre de l'édition sous une forme imprimée, de :
- Présenter l'ouvrage sur les catalogues,
- Indiquer sa disponibilité dans les bases de données,
- Rendre l'ouvrage disponible dans une qualité respectueuse de l'œuvre,
- Livrer les commandes des libraires dans des délais raisonnables.
En l’espèce, si l’éditeur avait bien respecté son obligation de publication de l’œuvre et procédé à son dépôt légal dans les délais prévus, les juges ont relevé que son obligation d’exploitation commerciale et suivie, « qui lui imposait de placer l’œuvre chez les libraires ou de la faire référencer chez les diffuseurs ainsi que d’assurer sa promotion ne s’était traduite par aucune diligence ».
Bien que relevant que l’éditeur avait présenté l’œuvre à un salon, avait « effectué des démarches en vue de son référencement » et avait eu « quelques contacts avec la presse », la Cour constate que deux mois après sa publication, l’œuvre était « inconnue, indisponible ou présentée comme épuisée sur les sites de l’Internet de plusieurs libraires et diffuseurs ».
Ce faisant, la Cour juge que le manquement de l’éditeur à l’égard de sa nécessaire réactivité dans les actions de promotion de l’œuvre, cruciale pour ses chances de succès, d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire du contrat à ses torts.
Les risques qu'encourt l'éditeur en cas de non respect de ses obligations
Par cette décision, la cour d’appel est ainsi venue fixer un seuil d’exploitation de l’œuvre que l’éditeur doit respecter sous peine de voir le contrat résilié à ses torts exclusifs, outre le dédommagement de l’auteur lésé.
Dans ce type de situation, la fin du contrat aux torts de l’éditeur est un véritable enjeu pour l’auteur qui de facto se réapproprie les droits sur son œuvre et retrouve sa liberté de les exploiter lui-même ou par l’intermédiaire d’un nouvel éditeur.
L’arrêt du 16 septembre 2022 met ainsi en avant l’importance pour l’auteur de détailler contractuellement l’ensemble des obligations à la charge de l’éditeur, et les modalités de sa résiliation en cas de défaillance de ce dernier, afin de mettre un terme au plus vite au contrat dans cette hypothèse…
Auteurs, artistes et créateurs, ne négligez pas la rédaction ou la revue des contrats d’édition qui vous sont soumis à signature.
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Le cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de 25 ans en droit de la propriété intellectuelle et se tient à vos côtés pour vous accompagner dans vos démarches. Pour en savoir plus, contactez-nous ici.
[1] CA Rennes, 2ème ch., 16 septembre 2022, n°19/03935
[2] Article L.132-1 du code de la propriété intellectuelle
[3] Au sens de l’article L.112-2 du code de la propriété intellectuelle
[4] Conformément à l’article L.132-7 al. 1 du code de la propriété intellectuelle, le consentement personnel et donné par écrit de l'auteur est obligatoire.
[5] Article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle
[6] Article L.132-10 du code de la propriété intellectuelle
[7] Article L.132-8 du code de la propriété intellectuelle
[8] Article L.132-9 du code de la propriété intellectuelle
[9] Articles L.132-11, L.132-12, L.132-13 et L.132-14 du code de la propriété intellectuelle
[10] Conformément à l’article L.132-13 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur pourra, à défaut de modalités spéciales prévues au contrat, exiger au moins une fois l'an la production par l'éditeur d'un état mentionnant le nombre d'exemplaires fabriqués en cours d'exercice et précisant la date et l'importance des tirages et le nombre des exemplaires en stock.
Sauf usage ou conventions contraires, cet état mentionnera également le nombre des exemplaires vendus par l'éditeur, celui des exemplaires inutilisables ou détruits par cas fortuit ou force majeure, ainsi que le montant des redevances dues ou versées à l'auteur.