Compte Facebook privé : l’employeur peut désormais sanctionner

Compte Facebook privé : l’employeur peut désormais sanctionner
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Par Frédéric Picard et Marie Torelli

Quelle est l’étendue du pouvoir de sanction de l’employeur sur les contenus publiés par ses salariés sur les réseaux sociaux ?

Jusqu’à présent, toute publication postée sur un groupe fermé ou sur un profil configuré en mode « privé » ne pouvait faire l’objet d’aucune poursuite et sanction par l’employeur.

Tel n’est plus le cas depuis une décision de la cour de cassation en date du 30 septembre dernier[1].

Désormais, l’employeur peut sanctionner un salarié sur le fondement de tout contenu publié sur les réseaux sociaux, même en mode « privé », à condition que :

  • L’employeur ait accédé à la publication de manière loyale ;
  • L’atteinte au droit au respect de la vie privée du salarié soit proportionnée à l’objectif poursuivi par l’employeur ;
  • Cette atteinte soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve.

1. Faits et procédure

Une salariée de la société Petit Bateau avait publié sur son compte Facebook privé une photo de la collection printemps-été alors que celle-ci n’avait pas encore été divulguée par l’entreprise. Mal lui en a pris !

Alerté par l’un de ses collaborateurs, l’employeur avait décidé de la licencier pour faute grave, laquelle résultait de la violation de son obligation de confidentialité.

Contestant les motifs de son licenciement, la salariée avait saisi la juridiction prud’homale et avait obtenu gain de cause.

Suite à l’appel formé par la société, la Cour d’appel de Paris avait alors décidé que le licenciement de la salariée était justifié dès lors que « Nul ne peut ignorer que Facebook, qui est un réseau accessible par connexion internet, ne garantit pas toujours la confidentialité nécessaire. »[2].

La salariée s’était pourvue en cassation et estimait que :

  • La preuve de son manquement était irrecevable dès lors qu’elle provenait d’un compte Facebook configuré en mode « privé » ;
  • Son employeur avait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée en fondant son licenciement sur une publication postée sur son compte Facebook personnel, lequel était configuré en mode « privé ».

2. La décision de la Cour de cassation

Pour mieux appréhender cette décision et ses conséquences, un flash-back sur la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation apparait nécessaire.

  • La jurisprudence antérieure de la Cour de cassation

Auparavant, la jurisprudence calquait les pouvoirs de sanctions de l’employeur sur la configuration du compte Facebook :

  • Si le compte ou le groupe est accessible au public, l’employeur était fondé à sanctionner son salarié, les contenus publiés étant réputés publics.
  • Si le compte ou le groupe est fermé, l’employeur ne pouvait en aucun cas sanctionner son salarié sur ce fondement, dès lors que les publications relevaient strictement de sa vie privée.

Ainsi, la Cour de cassation avait pu, par exemple, décider que l’employeur ne pouvait licencier ses salariés sur le fondement des propos, même injurieux, proférés à son encontre dès lors que leurs comptes Facebook étaient « privés » [3].

Toutefois, depuis quelques années, la Cour de cassation avait adopté un tout autre raisonnement pour les preuves collectées par l’employeur dans le cadre des enquêtes internes.

En effet, comme nous l’avions déjà identifié, les critères retenus par la jurisprudence en en matière de preuve sont identiques à ceux retenus par la décision commentée.

Ces critères n’avaient, en revanche, encore jamais été appliqués aux réseaux sociaux.

  • La nouvelle solution de la Cour de cassation pour les réseaux sociaux

Le critère objectif de la configuration du compte semble avoir été totalement abandonné par la chambre sociale.

Cela signifie que désormais l’employeur peut sanctionner un salarié sur le fondement de tout contenu publié sur les réseaux sociaux, même lorsque son compte ou son groupe est configuré en mode « privé », à condition que les trois critères suivants soient réunis :

  • L’employeur a obtenu la preuve de manière loyale

L’employeur ne peut user de stratagèmes tel que par exemple la création d’un faux compte ou la connexion via le compte d’un autre salarié pour obtenir la preuve.

En l’espèce, la cour de cassation a jugé le procédé loyal dès lors que l’employeur a été spontanément alerté de cette publication par l’un de ses salariés.

  • L’atteinte au droit au respect de la vie privée du salarié doit être proportionnée au regard de l’objectif poursuivi par l’employeur.

La Cour de cassation estime, d’une part, que l’objectif doit être « légitime », ce qui nécessite une réflexion de l’employeur sur l’objet même de la sanction.

D’autre part, la collecte de la preuve doit être strictement nécessaire à la poursuite de cet objectif.

Au cas présent, la Cour de cassation a estimé que l’atteinte au droit au respect de la vie privée de la salariée était proportionnée à l’objectif poursuivi par l’employeur, à savoir la préservation de la confidentialité de ses affaires.

  • L’utilisation de la publication postée par le salarié doit être indispensable à l’exercice du droit à la preuve. 

En d’autres termes, l’employeur ne doit pas disposer de moyens moins intrusifs pour prouver la faute du salarié.

Tel était le cas en l’espèce puisque seule la production de la publication Facebook pouvait établir la violation par la salariée de son obligation contractuelle de confidentialité.

3. Les conséquences de cette décision

Les conséquences sont lourdes, tant pour l’employeur que pour le salarié.

Du côté employeur, cette décision nécessite une véritable réflexion sur la possibilité ou non d’utiliser une publication de son salarié pour le sanctionner.

En effet, une analyse trop rapide de la proportionnalité de l’atteinte ou du caractère indispensable de la preuve pourrait remettre en cause toute la procédure de sanction ou de licenciement et entraîner ainsi des conséquences pécuniaires importantes.

Du côté salarié, cette décision pourrait lui permettre de contester plus facilement les sanctions prises à son encontre sur le fondement des contenus publiés, même publiquement, sur Facebook en utilisant les critères relatifs au caractère proportionnel et indispensable de la preuve collectée par l’employeur.

Prudence toutefois puisque cette décision ne s’applique aujourd’hui qu’aux réseaux sociaux.

En effet, la Cour de cassation a récemment rappelé que les messages envoyés ou reçus par le salarié par le biais d’une messagerie instantanée privée sont couverts par le secret des correspondances, excluant ainsi toute sanction de l’employeur sur ce fondement[4].

Les critères énoncés par la Cour de cassation sembleraient donc ne pas s’appliquer à tout élément relevant de la vie privée du salarié. Il conviendra de surveiller la position de la Cour de cassation à ce sujet.

L’employeur devra donc adopter la plus grande prudence lorsqu’il collecte des preuves à l’encontre de son salarié.

***

Le Cabinet HAAS Avocats est à votre disposition pour vous accompagner pour toute question relative au droit à la preuve ou au respect de la vie privée du salarié. Pour nous contacter, cliquez-ici.

[1] Cass. Soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058

[2] Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 12 décembre 2018, n° 17/08095

[3] Cass. 1re civ., 10 avr. 2013, n°11-19.530. Voir aussi Cass. soc., 12 sept. 2018, no°16-11.690 CA Rouen, 15 nov. 2011, nº RG : 11/01830 

[4] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 23 octobre 2019, 17-28.448, Inédit

Frédéric PICARD

Auteur Frédéric PICARD

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