Par Claire Benassar
Dans une décision du 20 mai 2022, le tribunal judiciaire de Paris a condamné le groupe META à dévoiler l’identité des internautes se cachant derrière un compte d’amateurs de pastis sur Instagram.
Dans cette affaire, l’association Addictions France avait effectivement saisi le tribunal en vue de voir sanctionner les faits notamment observés sur le compte Instagram « Your Best Riflon », qu’elle accusait de promouvoir la marque d’alcool Ricard de façon illégale.
Les juges ont estimé que META devait obligatoirement supprimer les publications litigieuses et transmettre l’identité des détenteurs du compte Instagram à l’association demanderesse.
Le tribunal crée à cette occasion une nouvelle jurisprudence sur la propagande directe en faveur de l’alcool sur Internet, et plus particulièrement sur les réseaux sociaux, apportant certaines précisions quant à la délimitation entre ce qui relève d’un contenu publicitaire autorisé et ce qui relève d’une publicité prohibée par la loi Evin de 1991.
La loi Evin est venue encadrer relativement strictement la vente et la promotion de l’alcool et du tabac. A cet égard, si elle interdit toute forme de publicité pour le tabac, elle ne fait « que » limiter très fortement la publicité en faveur de l’alcool, celle-ci étant comprise comme tout acte en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article ayant pour effet, quelle qu’en soit la finalité, de rappeler une boisson alcoolique.
En effet, s’agissant des boissons alcooliques, la publicité est par principe autorisée, mais elle doit répondre aux exigences du code de la santé publique1.
La publicité ne doit en tout état de cause jamais constituer une présentation valorisante des boissons alcooliques. L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) est à cet égard venue préciser qu’aucune communication commerciale ne doit encourager une consommation excessive ni constituer une critique de l’abstinence ou de la sobriété.
A cet égard, le contenu de la publicité est limité à certaines mentions énumérées de façon exhaustive par le code de la santé publique :
C’est à ce titre que le tribunal judiciaire de Paris, dans sa décision du 20 mai 2022, a considéré que la dénomination même du compte « Your Best Riflon » vantait les mérites d’une boisson alcoolique, en conséquence de quoi il devait être regardé comme étant constitutif d’une propagande directe.
Ce type de publicité ne peut en outre emprunter que certains supports limitativement énumérés à l’article L.3323-2 du code susmentionné, notamment la presse écrite, la radiodiffusion sonore dans certaines tranches horaires, et l’affichage.
Aussi, si la publicité pour l’alcool n’était initialement pas autorisée sur internet, les services de communication en ligne peuvent, depuis 2009, être utilisés comme supports de ces publicités.
Depuis la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi « HPST », la publicité est ainsi permise sur Internet, à l’exception des sites qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés, fédérations sportives ou ligues professionnelles.
Le code de la santé publique prévoit néanmoins qu’en cas de communication en ligne, la propagande ou la publicité ne doit être ni intrusive ni interstitielle, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas venir gêner ou entraver la lecture ou le visionnage d’un contenu.
Par extension, la loi Evin s’applique ainsi aux réseaux sociaux et, a fortiori, aux créateurs de contenus sur ces plateformes qui mettraient en avant une marque d’alcool ou une boisson alcoolique. Dans une décision de 20042, la Cour de cassation a en effet précisé que la condamnation d’une publicité ne dépend pas d’un lien avéré avec le producteur d’alcool, mais de la seule valorisation du produit, peu importe qui est la personne qui en fait la propagande.
La nature du support de ces publicités implique néanmoins l’application de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dite « LCEN ».
Aussi, en vertu de l’alinéa 1er de l’article 20 de la LCEN, « toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle ». Elle doit en outre « rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée ».
En effet, le fait de dissimuler la nature publicitaire d’un message pourra être constitutif d’une pratique commerciale trompeuse.
En dépit de l’encadrement encore lacunaire des réseaux sociaux et de l’activité des créateurs de contenus, certaines conditions impératives trouvent à s’appliquer en cas de publications promouvant des marques d’alcool ou des boissons alcooliques.
A l’instar de toute publicité ou propagande en faveur de l’alcool, les contenus publiés en ligne doivent rester neutres, et, en ce sens, ne doivent ni inciter à la consommation d’alcool ni faire référence à des notions de fête et de plaisir.
Par ailleurs, en vertu de l’article L.3323-4 al. 4 du code de la santé publique, les publicités en ligne doivent impérativement être assorties d'un message à caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé. Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision du 20 mai 2022, ce message sanitaire n’était pas indiqué par le(s) titulaire(s) du compte Instagram litigieux.
Enfin, les communications commerciales ne devant « en aucune manière être faites à destination des mineurs », comme l’a précisé l’ARPP, il convient de ne pas publier de contenus publicitaires pour l’alcool sur des services de communication en ligne dont il est raisonnable de penser que l’audience n’est pas composée d’au moins 70 % d’adultes de 18 ans et plus.
Le non-respect de l’ensemble des règles susmentionnées peut être non négligeable pour le publicitaire agissant en fraude des dispositions légales applicables, et de leur interprétation qui en est faite par la jurisprudence et l’ARPP, au risque de faire l’objet d’une sanction pénale3. D’où l’impérieuse nécessité de construire sa stratégie publicitaire en amont en se faisant assister, le cas échéant, par un avocat.
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[1] Articles L.3323-1 et s. du code de la santé publique
[2] Cass., Crim., 3 novembre 2004, 04-81.123, ANPAA c. Auto-moto
[3] L’article L. 3351-7 du code de la santé publique prévoit une sanction pénale consistant en une amende pouvant aller jusqu’à 75 000 euros ou correspondre à 50% du montant des dépenses consacrées à l’opération illégale