Par Gérard HAAS et Alexandre LOBRY
La loi du 3 août 2018 relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique a autorisé l’usage des caméras mobiles par les policiers municipaux. Cependant son application restait suspendue à la parution d’un décret d’application.
Un récent décret du 27 février 2019 est venu régler cette question.[1]
Il n’en demeure pas moins que la publication de ce décret risque n’est pas à l’abri de critiques.
1. Les finalités précises du traitement des enregistrements
Le décret instaure un article R.241-10 au sein du code de la sécurité intérieure énonçant les différentes catégories de données à caractère personnel provenant des caméras individuelles utilisées par les agents de la police municipale, à savoir :
« 1° Les images et les sons captés par les caméras individuelles utilisées par les agents de la police municipale dans les circonstances et pour les finalités prévues à l'article L. 241-2 ;
2° Le jour et les plages horaires d'enregistrement ;
3° L'identification de l'agent porteur de la caméra lors de l'enregistrement des données ;
4° Le lieu où ont été collectées les données ».
Le traitement de ces données répond à des finalités précises :
- La prévention des incidents au cours des interventions des agents de la police municipale ;
- Le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte des preuves ;
- La formation et la pédagogie des agents de la police municipale.
Les pouvoirs publics ont tenu compte des observations formulées par la CNIL en 2016[2]. En effet, la CNIL avait souligné à cette époque, l’imprécision des finalités concernant le projet de décret relatif à la mise en œuvre de traitements de données à caractère personnel provenant des caméras individuelles des agents de la police nationale et des militaires de la gendarmerie nationale.
2. Une durée de conversation des enregistrements justifiée
L’article 6 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose que les données à caractère personnel sont « conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitée ».
Le présent décret prévoit que les données à caractère personnel issues des caméras mobiles des policiers municipaux sont conservées pendant un délai de six mois à compter du jour de leur enregistrement. Cependant les données peuvent être conservées au-delà de ce délai, puisque le décret précise que « lorsque les données ont, dans le délai de six mois, été extraites et transmises pour les besoins d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, elles sont conservées selon les règles propres à chacune de ces procédures par l’autorité qui en a la charge ».
Dans sa délibération précitée en 2016, la CNIL a justifié cette différence par rapport à la durée de conservation des enregistrements issus des dispositifs de vidéoprotection[3] au regard des finalités pour lesquelles les données étaient collectées.
3. Des atteintes aux droits des personnes concernées ?
L’article L.241-2 du code de la sécurité intérieure a précisé une autorisation par les forces de l’ordre de l’utilisation de caméras mobiles « en tous lieux », y compris au sein de domiciles privés. La CNIL a estimé que des règles spécifiques auraient dû être prévues de manière à limiter toute atteinte à la vie privée des personnes concernées. Cependant le législateur n’a pas pris en compte ces remarques. L’atteinte à la vie privée des personnes faisant l’objet desdits enregistrements est donc réelle.
Par ailleurs, les textes prévoient également que les images ne peuvent être consultées qu’à l’issue de l’intervention, par les seules personnes habilitées, dans la limite de leurs attributions respectives et pour les besoins exclusifs d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, ou dans le cadre d’une action de formation des agents. Il n’existe donc pas un droit d’accès direct des données issues des caméras mobiles des policiers municipaux pour les personnes concernées. En effet, le décret consacre seulement un droit d’accès indirect effectué par l’intermédiaire de la CNIL.
La CNIL avait pourtant relevé que ce droit d’accès indirect n’était ni fondé, ni nécessaire au regard des finalités du traitement, puisque le caractère indirect de l’accès est en principe fondé sur le caractère non communicable de tout ou partie des données concernées, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
De plus, au vu de la durée de conservation des données (six mois sauf engagement d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire) et du fait que les traitements ne sont pas centralisés, l’effectivité réelle du droit d’accès indirect aux images ne pourra être garantie pour les personnes concernées.
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[1]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=D6487B6788CF08315C74D6C63CBEAF9B.tplgfr35s_1?cidTexte=JORFTEXT000038175494&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000038174814
[2] Délibération n° 2016-385 du 8 décembre 2016 portant avis sur un projet de décret en Conseil d'Etat portant application de l'article L. 241-1 du code de la sécurité intérieure et relatif à la mise en œuvre de traitements de données à caractère personnel provenant des caméras individuelles des agents de la police nationale et des militaires de la gendarmerie nationale (saisine n° AV 16025250)
[3] L’article L252-5 du code de la sécurité intérieure énonce « Hormis le cas d'une enquête de flagrant délit, d'une enquête préliminaire ou d'une information judiciaire, les enregistrements sont détruits dans un délai maximum fixé par l'autorisation. Ce délai ne peut excéder un mois. L’autorisation peut prévoir un délai minimal de conservation des enregistrements. »