Par Gérard Haas, Eve Renaud-Chouraqui, Claire Lefebvre et Margaux Laurent
La Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après la « CJUE ») semble toujours en quête d’une définition claire de la qualité de « professionnel ».
Celle-ci est pourtant cruciale car il en résulte l’application, ou non, du droit de la consommation dans le cadre de relations avec des consommateurs.
Nous avions ainsi déjà évoqué en 2019 le fait que la CJUE n’avait pas retenu cette qualification pour une personne physique qui commercialisait des produits sur une marketplace, malgré le nombre d’annonces publiées par celle-ci.
Dans cette lignée, elle a également dénié, le 10 décembre 2020, ce statut à un joueur de poker en ligne pourtant assidu (neuf heures par jour ouvrable), possédant des compétences étendues et qui en tirait des revenus conséquents.
En effet, pour déterminer si une personne peut être considérée comme un professionnel au sens du droit européen, la Cour a dégagé une série de critères tels que :
Toutefois, ces éléments ne suffiront pas à faire perdre, en tant que tels, la qualité de consommateur à une personne qui n’a ni officiellement déclaré son activité, ni offert cette activité à des tiers en tant que service payant.
Dans un arrêt rendu le 24 février 2022, c’est une nouvelle situation qu’examine la Cour : celle d’un intermédiaire dans le cadre d’une vente de billets pour un événement culturel.
L’affaire débute par l’annulation de l’événement en question. Le consommateur lituanien souhaite obtenir le remboursement de son billet ainsi que l’indemnisation de son préjudice matériel et moral auprès de la société organisatrice (« Baltik Music ») et de la société distributrice de billets (dénommée « Tiketa »).
Cette dernière avait préalablement énoncé au consommateur qu’elle n’agissait qu’en « qualité d’intermédiaire ostensible » et qu’en cas de report ou d’annulation de l’événement, seul l’organisateur répondait entièrement du remboursement.
Des informations plus précises sur le prestataire de services en cause et les modalités de remboursement des billets figuraient dans les conditions générales disponibles sur le site internet de la société Tiketa. Ces conditions générales ne sont cependant reproduites qu’en partie sur le billet lui-même.
Dans ce contexte, la Cour de Justice de l’Union européenne a été interrogée sur le point de savoir si l’intermédiaire lors de l’achat d’un billet de spectacle peut être considéré comme un professionnel au sens de la directive n°2011/83/UE, relative aux droits des consommateurs, afin d’évaluer la conformité des modalités de communication des informations aux consommateurs par ce dernier.
La Cour de Justice de l’Union Européenne retient une conception extensive de la qualité de professionnel, englobant également les intermédiaires, afin d’assurer une meilleure protection des consommateurs (a).
Les précisions apportées par la CJUE sur ce sujet nous rappellent qu’en droit français, dans le même souci d’élargir au maximum les règles du droit de la consommation, il existe la notion de « non-professionnel », qui permet à des personnes morales de bénéficier de certaines garanties (b).
La Cour de Justice s’appuie sur les différences de traduction de la directive n°2011/83. Elle relève notamment que dans la version française, le professionnel est défini comme toute personne physique ou morale, qu’elle soit publique ou privée, qui agit « y compris lorsqu’elle agit par l’intermédiaire d’une autre personne agissant en son nom ou pour son compte » aux fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale pour les contrats entrant dans le champ d’application de la directive.
Bien qu’une telle formulation ou idée n’apparaisse pas dans la version lituanienne, la Cour considère qu’en cas de disparités entre les différentes traductions d’un texte, il convient d’interpréter la disposition en cause en fonction de l’économie générale et de la finalité de la règlementation dont elle constitue un élément. L’interprétation qui en découle se doit d’être homogène au sein de l’Union.
Par conséquent, la Cour de Justice conclut que l’intermédiaire lors de l’achat d’un billet de spectacle peut être qualifié de professionnel au sens de ladite directive.
Il serait possible de penser que cette définition conduit à une extension excessive de la notion de professionnel et peut paraître sévère alors que :
Toutefois une telle acception permet une meilleure protection du consommateur créancier qui peut alors maximiser ses recours et par là, ses chances d’obtenir réparation.
La CJUE rappelle ainsi elle-même que l’objectif de la directive n°2011/83/UE invite à adopter une interprétation large de son champ d’application.
Quand on parle des professionnels et des consommateurs en droit européen, il est toujours intéressant de rappeler qu’en droit français, il existe une troisième qualification, celle de « non-professionnel », définie par l’article liminaire du Code de la consommation comme « toute personne morale qui n’agit pas à titre professionnel ».
En effet, la notion de « consommateur » au sens du droit européen, et retranscrite en droit français, se limite aux personnes physiques n’agissant pas dans le cadre de leurs activités commerciales, libérales, industrielles ou artisanales.
Cette qualité de « non-professionnel » permet d’offrir à des personnes morales une protection renforcée, équivalente à celle des consommateurs personnes physiques dans certaines situations, et notamment contre les clauses abusives ; les pratiques commerciales trompeuses ou encore les garanties de conformité. En particulier, avec l’ordonnance du 29 septembre 2021 réformant les garanties de conformité, les nouvelles garanties des biens incorporant des éléments numériques ainsi que des biens et services numériques couvrent tant les consommateurs que les non-professionnels.
A ce titre, la protection par le droit de la consommation apparaît particulièrement renforcée, à la fois par une définition souple du professionnel et par un élargissement de ses bénéfices à des personnes n’étant pourtant pas des consommateurs au sens de la directive de 2011 susmentionnée.
La décision du 24 février 2022 présente un second intérêt en ce qu’elle vient préciser les obligations d’information du professionnel dans le cadre d’une vente en ligne.
Il s’agissait en effet de tout l’enjeu de la qualification de l’intermédiaire en tant que professionnel, les professionnels étant soumis, entre autres, à des obligations d’informations du consommateur.
La question se posait ainsi de savoir si la communication des informations requises par les conditions générales de l’intermédiaire, approuvées par le consommateur au moment de la conclusion du contrat, répondait aux modalités d’information prévues par la directive de 2011.
En effet, lorsque le contrat est conclu à distance, le professionnel a pour obligation de fournir ces informations préalablement au contrat sous une forme adaptée à la technique de communication à distance, dans un langage clair et compréhensible.
En outre, la confirmation du contrat une fois celui-ci conclu doit être fournie sur un support durable et doit reprendre toutes ces informations (à moins qu’elles n’aient déjà été communiquées sur un support durable au consommateur (lors de la première communication)).
Le support durable est entendu comme tout support permettant de remplir en pratique les mêmes fonctions que le support papier : notamment, il doit pouvoir être conservé dans sa version d’origine par le consommateur pour faire valoir ses droits. Pour exemple, le format PDF est généralement reconnu comme un support durable.
La Cour de Justice de l’Union Européenne en déduit que :
Avant la conclusion du contrat, le professionnel doit fournir au consommateur les informations de manière claire et compréhensible ;
Ce n’est qu’après la conclusion du contrat que le professionnel est obligé de remettre au consommateur une confirmation du contrat sur un support durable, comprenant l’ensemble des informations.
Par conséquent, rien ne s’oppose à ce qu’avant la conclusion du contrat, le professionnel mette simplement les informations à disposition du consommateur via les conditions générales du site du professionnel, approuvées par le consommateur au moment de sa commande par le biais d’une case à cocher, sous réserve, bien entendu, qu’elles soient portées à la connaissance du consommateur de manière « claire et compréhensible ».
Le fait qu’un support durable ne soit pas remis avant la conclusion du contrat ne fait pas obstacle à ce que les informations soient réputées faire partie intégrante du contrat.
En revanche, après la conclusion du contrat, le professionnel devra fournir les informations sur un support durable.
Dans le cas d’espèce, la CJUE retient que l’acceptation des conditions générales par le consommateur au moment de la conclusion du contrat ne répondait pas aux exigences de « support durable », dès lors que cette modalité n’a pas pour résultat « que ces informations soient adressées personnellement à ce consommateur », qu’elle ne garantit pas l’absence d’altération du contenu ni son accessibilité pendant une durée appropriée et qu’en outre, le consommateur n’est pas en mesure de stocker les informations ou de les reproduire telles quelles.
Cette décision reprend à ce titre la même analyse qui avait déjà été développée par la CJUE en 2012, dans un arrêt « Content Services » (« Il y a lieu, dès lors, de constater qu’un site Internet, tel que celui en cause au principal, dont les informations ne sont accessibles pour les consommateurs qu’en passant par un lien présenté par le vendeur, ne peut être considéré comme un « support durable », au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 97/7. »).
Par conséquent, en l’espèce, l’intermédiaire avait bien communiqué les informations avant la conclusion du contrat : elles faisaient donc partie intégrante de celui-ci et devaient être considérées comme opposables aux parties. En revanche, l’intermédiaire avait également l’obligation de les communiquer de nouveau sur un support durable lors de la confirmation du contrat ; par exemple, par la reproduction intégrale des conditions sur le billet ou par leur envoi par mail, au format PDF.
Rappelons enfin qu’en France, le fait de ne pas répondre à cette obligation peut être sanctionné par une amende administrative pouvant s’élever jusqu’à 15 000 euros pour une personne morale, en application des articles L. 221-13 et L.242-11 du Code de la consommation.
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