Par Haas Avocats
Plusieurs décisions de justice récentes ont confirmé la jurisprudence désormais bien établie qui permet d’engager la responsabilité d’un concurrent dans le cas où il ne se serait pas conformé à la réglementation applicable.
Deux exemples permettront ici d’illustrer cette volonté pour les juridictions de sanctionner pour concurrence déloyale cette rupture d’égalité entre des concurrents sur un même marché.
Tout d’abord, l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 27 septembre 2023[1], puis celui rendu par la Cour d’appel de Paris, le 28 septembre de la même année[2].
Ces décisions confirment qu’une violation de la loi constitue une faute étant nécessairement à l’origine d’un préjudice indemnisable pour les sociétés concurrentes s’y étant conformées (I.) mais que la quantification du préjudice subi par les concurrents lésés peut poser certaines difficultés (II.).
La violation de la loi constitue une faute dont il résulte un préjudice indemnisable pour les concurrents
Le premier arrêt rendu statue sur un litige opposant deux distributeurs de cartes bancaires prépayées où l’un d’entre eux a obtenu, dans le cadre d’une action en référé, des mesures d’instruction in futurum lui permettant d’obtenir la communication d’éléments comptables de sa concurrente.
Estimant que « l’action en concurrence déloyale envisagée par le demandeur en raison de la méconnaissance par le défendeur de ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme [serait] vouée à l’échec dans la mesure où la violation de ces obligations, à la supposer avérée, n’est pas susceptible de donner lieu à une indemnisation au profit d’un tiers », le défendeur a formé un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation répond sans ambiguïté :
Le respect par une entreprise des obligations imposées aux articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires.
Il en résulte que le fait pour un concurrent de s'en affranchir confère à celui-ci un avantage concurrentiel indu, qui peut être constitutif d'une faute de concurrence déloyale.
Autrement dit, le non-respect d’une règlementation applicable par un acteur du marché est susceptible de constituer une faute de concurrence déloyale.
Si la solution n’est pas nouvelle, c’est la première fois qu’elle est appliquée en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Elle pourrait également parfaitement s’appliquer aux obligations de mise en conformité résultant du Règlement général pour la protection des données personnelles ou encore d’autres réglementations sectorielles.
Les opérateurs peu diligents devront prendre garde puisque sous réserve de réaliser une économie de moyens humains et financiers, ils s’exposent à des risques d’actions susceptibles d’être intentées par les autres acteurs du marché outre celles pouvant être menées par les autorités administratives compétentes.
Toute la question reste de déterminer quel serait cet « avantage indu ». Il pourrait s’agir, à titre d’exemple, du fait que ces économies permettent de :
- proposer des produits et services moins onéreux que ceux de ses concurrents,
- rediriger ces ressources pour développer des activités qui n’auraient autrement pas pu voir le jour.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Cour de cassation a posé une présomption de préjudice puisqu’elle retient de manière constante qu’il s’infère nécessaire un préjudice, quand bien même moral, d’un acte de concurrence déloyale.
CE QU'IL FAUT RETENIR : La Cour de cassation vient confirmer qu’il résulte de la violation de la loi un avantage concurrentiel indu dont un concurrent peut solliciter l’indemnisation sur le fondement de l’article 1240 du Code civil et l’applique pour la première en matière LCB-FT. Toute la difficulté reste cependant de pouvoir quantifier le préjudice subi. C’est en ce sens que l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, le 28 septembre 2023 est intéressant. |
Les approximations dans la quantification des préjudices subis par les concurrents
La Cour d’appel de Paris a dû trancher un litige pour concurrence déloyale opposant une société de réservation de taxis et une société exploitant une plateforme de mise en relation d’exploitants de VTC au moyen d’une application pour smartphone, la première reprochant à la seconde de ne pas respecter les dispositions du droit des transports, du droit de la consommation et du droit du travail.
L’arrêt du 28 septembre 2023 retient que l’éditeur de la plateforme de mise en relation a bien violé :
- les dispositions du droit des transports en favorisant des maraudes physiques et électroniques (interdites par les articles L. 3120-2 et L. 3122-9 du Code des transports) et en permettant la réalisation de prestations de transports avec un seul passager (prohibée par l’article 32 du décret 85-891 du 16 août 1985) ;
- les dispositions de l’article L. 111-1 du Code de la consommation dès lors qu’elle ne justifiait pas de la communication de certaines informations aux consommateurs avant la réservation d’un véhicule ;
- les dispositions du Code du travail dès lors que les clauses du contrat de partenariat conclus avec les chauffeurs étaient caractéristiques d’un lien de subordination.
Logiquement, la cour d’appel admet la présomption de préjudice, « fût-il seulement moral » mais précise que :
« les effets préjudiciables, en termes de trouble économique, d’actes de concurrence déloyale sont particulièrement difficiles à quantifier ».
Pour quantifier le préjudice, elle se fonde alors sur le fait que :
- cet avantage concurrentiel indu doit être modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectées par ces actes »[3];
- l’avantage concurrentiel indu est caractérisé par :
le paiement d’impôts et de cotisations sociales éludés par le concurrent, pour lequel le coût du travail a été réduit ;
l’appropriation de clientèle des chauffeurs VTC et de taxi. - les avantages doivent être pondérés avec les résultats d’exploitation de la demanderesse sur la période concernée ; ces derniers ont été déficitaires entre 2011 et 2017, date de cessation de ses activités ;
En revanche, la Cour refuse de :
- prendre en considération le chiffre d’affaires réalisé par la défenderesse dans le cadre de ses activités illicites pour l’évaluation du préjudice[4] et ajoute que la preuve du lien de causalité entre le comportement répréhensible du concurrent et la baisse de chiffre d’affaires de l’entreprise victime n’est pas caractérisé ;
- accorder une indemnisation supplémentaire au titre d’un préjudice de désorganisation économique ou encore moral.
A la lumière de l’ensemble de ces éléments, la cour d’appel estime que la défenderesse a :
« capté illégalement une part du marché tant des VTC que des taxis, faisant perdre à la société [X] une chance de développer ses activités, alors qu’il n’est pas contesté que le marché de transport de personne était en croissance sur la période considérée de 2012 à 2017 ».
Au titre de cette perte de chance, la cour d’appel octroie à la demanderesse deux indemnisations forfaitaires : 75 000 € au titre de l’activités d’exploitant de VTC entre 2012 et 2017 et 75 000 € au titre de l’activité de taxi sur la même période.
Cette affaire démontre la complexité de démontrer un préjudice lié à une violation de la loi par un concurrent qui bien souvent profite d’une faute lucrative. Autrement dit, le fait de violer la loi lui est parfois plus profitable que les condamnations qui peuvent être prononcés à son encontre.
En effet, il sera rappelé que les juridictions n’indemnisent qu’un préjudice direct, réel et certain.
Le demandeur à une action doit donc préalablement à toute action anticiper la démonstration de son préjudice pour ne pas être déçu par l’obtention de dommages et intérêts qu’il estime faibles.
CE QU’IL FAUT RETENIR : Il est particulièrement difficile de quantifier le préjudice subi dans les litiges complexes, de sorte que, malgré l’existence d’une faute, l’action du demandeur peut ne pas prospérer. Dans les litiges complexes, on notera l’importance de faire appel à un expert en évaluation de préjudice qui est à même d’établir (i) le montant des préjudices subis mais également (ii) le lien de causalité entre les baisses de chiffres d’affaires et les activités illicites du concurrent. |
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[1] Cass. Com., 23 septembre 2023, n° 21-21.995.
[2] CA Paris, Pôle 5 chambre 5, 28 septembre 2023, n° 22/01726.
[3] A ce titre, la cour vise l’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 12 février 2020, n 17-31.614.
[4] Viacab invoquait l’existence d’une perte de chance de réaliser un tel chiffre d’affaires.