Par Anne Charlotte Andrieux et Vickie Le Bert
L’impact environnemental du numérique, qui représenterait près de 3 à 4% des émissions de gaz à effet de serre mondiales[1], n’est aujourd’hui plus à démontrer, et les problématiques soulevées par le secteur dépassent aujourd’hui celle de son empreinte carbone : gestion des déchets non-recyclables, consommation d’énergie, forte demande en eau potable…
Si les émissions de gaz à effet de serre liées à l’utilisation des technologies numériques inquiètent, le premier impact du numérique se situe au stade de la fabrication des appareils, qui représente à elle seule près de 75% de l’empreinte environnementale du numérique :
Répartition des impacts du numérique en France en 2020[2] :
L’étape de fabrication est en effet très demandeuse en énergie : extraction des matières premières nécessaires, utilisation de matériaux, pour la plupart non renouvelables, dans le cadre de la production des composants et équipements numériques, transport et gestion des matériaux, gestion des déchets… La seule fabrication d’un smartphone requière ainsi près de 70kg de matières premières.
Le législateur français s’est d’ores et déjà saisi de cette problématique environnementale liée au numérique, et de nouveaux textes ont récemment été adoptés aux fins d’y apporter des réponses :
- La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC, instaurant notamment le principe de responsabilité élargie du producteur
- La loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnemental du numérique en France, dite loi REEN, dont un des objectifs phares est de réduire l’empreinte écologique des équipements numériques.
Une autre voie est aujourd’hui plébiscitée pour lutter contre ces dérives environnementales, celle d’une ouverture du numérique. Cette notion de numérique « ouvert », gouvernée par des principes de transparence et de collaboration, recouvre en particulier :
- L’open source
- L’open data
Open source : lutte contre l’obsolescence et amélioration de la durabilité des matériels
L’une des causes de cette pollution numérique est le renouvellement trop rapide des appareils, composants et équipements électroniques par leurs utilisateurs, favorisé notamment par des phénomènes d’obsolescence matérielle et logicielle.
L’obsolescence logicielle correspond à la diminution des possibilités d’usage d’un appareil numérique en raison de l’indisponibilité ou du dysfonctionnement d’un logiciel. Cette forme d’obsolescence, par ailleurs interdite par l’article L 441-2 du Code de la consommation, entraine par voie de conséquences une obsolescence matérielle, et pousse les utilisateurs d’appareils électroniques à en changer fréquemment. En effet, au gré des mises à jour successives, ces derniers perdent en vitesse voire ne fonctionnent plus, faute de supporter les dernières versions logicielles dont les mises à jour sont imposées par les éditeurs et producteurs.
Un autre écueil de cette obsolescence logicielle, au-delà des problématiques environnementales, est celui de la sécurité des systèmes informatiques. Les utilisateurs, par crainte de ralentir leurs terminaux, se refusent désormais à procéder à certaines mises à jour pourtant nécessaires à la sécurité informatique des systèmes.
Si le législateur est venu récemment encadrer la problématique de l’obsolescence matérielle et logicielle, certains acteurs voient aujourd’hui dans le développement de logiciel au code source ouvert, ou open source, un moyen de remédier à cette problématique.
Définition
L’Open Source désigne une méthode d’ingénierie permettant l’ouverture, l’accès et la lecture libre d’un logiciel produit.
Un logiciel open source est donc un logiciel dont le code source, entendu comme l’ensemble des instructions à la source d’un programme informatique, exprimées dans un langage compréhensible par l’homme et aisément modifiable, est ouvert au public.
Contrairement à la logique propriétaire dominante dans le secteur numérique, empêchant la divulgation et l’accès au code source, un logiciel open source offre la possibilité aux tiers utilisateurs de l’exploiter, de le réexploiter, de le modifier ou encore de le diffuser, et ce gratuitement. Parmi les plus connus de ces logiciels, aussi appelés logiciels « libres », se trouvent Linux ou encore Open Office.
Mais comment l’ouverture du code source peut-elle permettre d’améliorer la durabilité des terminaux électroniques ?
Les avantages de l’open source
L’ouverture du code source présente de nombreux avantages. A la différence des logiciels propriétaires, les logiciels open source peuvent être soumis facilement à l’étude, la critique et la correction d’un grand nombre d’acteurs et de communautés.
La logique collaborative et de mutualisation des savoirs guidant les logiciels open source permet de les faire évoluer, les utilisateurs ayant la possibilité d’y apporter des correctifs efficaces, notamment en termes de sécurité, sans que la réalisation de mises à jour essentielles ne dépendent plus de la volonté des éditeurs. L’objectif, à terme, est ainsi de faire évoluer les logiciels pour aboutir à une version durable.
Le recours à des composants open source permet également d’allonger la durée de vie du matériel sur lequel ils s’intègrent. Les logiciels à code source ouvert présentent en effet une plus grande légèreté, et sont ainsi mieux supportés par les terminaux numériques. Ils sont enfin, grâce à leur transparence, plus facilement corrigeables et réparables, ce qui réduit en conséquence la fréquence de remplacement des matériels les incorporant.
Ainsi, d’un point de vue logiciel comme matériel, l’open source représente un moyen d’améliorer la durabilité des matériels numériques, et donc de permettre de réduire l’impact environnemental lié à leur fabrication.
L’encouragement de l’open source au sein de l’Union Européenne
Le développement de l’open source est une des préoccupations de l’Union européenne.
Après avoir dévoilé en 2020 sa Stratégie en matière de logiciels libres 2020-2023, visant à promouvoir la culture du libre et d’un numérique ouvert, la Commission européenne a, en 2021, présenté les résultats de son étude sur l’impact des logiciels et matériel à source ouverte sur l’indépendance technologique, la compétitivité et l’innovation dans l’économie de l’UE. Celle-ci avait conclu à l’impact positif de l’open source sur l’économie européenne.
Dans la continuité, la Commission européenne a adopté, le 8 décembre dernier, de nouvelles règles sur les logiciels open source devant favoriser l’accessibilité de certaines solutions logicielles au public et ouvrant l’accès à ses propres solutions logicielles lorsqu’il existe des avantages potentiels pour les citoyens, les entreprises et les services publics. L’ouverture du code source doit permettre de faciliter le partage et la réutilisation des logiciels et applications, ainsi que des données, des informations et des connaissances.
Open data : l’ouverture des données publiques au service de la transition écologique
L’open data, ou « données ouvertes », est une autre manifestation du mouvement d’ouverture du numérique.
Désignant des données libres d’accès, que tout un chacun peut utiliser, exploiter ou partager, l’open data a ces dernières années acquis une place importante sur la scène publique : ouverture de la plateforme de diffusion des données publiques de l’Etat data.gouv.fr, mise à disposition du public des décisions de justice, développement de smart cities, ouverture des données cadastrales, ouverture des données publiques des grandes agglomérations...
Et l’ouverture des données, elle aussi, peut s’avérer porteuse de solutions environnementales.
Le gouvernement français, qui accélère encore sa politique d’ouverture numérique et d’exploitation des données publiques, a en septembre dernier présenté une feuille de route de la donnée, des algorithmes et des codes sources destinée à améliorer l’usage de la donnée publique, accélérer la transition écologique et renforcer l’impact écologique des politiques publiques.
Au même titre que l’open source, la force de l’open data réside dans la mise en commun des connaissances. Ainsi, l’ouverture des données écologiques doit permettre d’apporter une réponse à leur segmentation. La feuille de route du ministère de la transition écologique, qui déplore le caractère territorialisé et éparse des données utiles à la transition écologique, milite pour leur ouverture et leur mutualisation par les collectivités, les opérateurs publics, ou encore les associations et les particuliers en leur possession. Cette mise en commun des savoirs devra permettre d’acquérir une meilleure connaissance des réalités environnementales, et d’y apporter les réponses adaptées.
La feuille de route prône également la généralisation du partage des codes sources et des algorithmes présentant un intérêt général en termes de connaissance et de transparence de l’action publique. Dans une circulaire en date du 27 avril 2021, le Premier ministre avait également enjoint aux administrations de « rechercher en permanence la meilleure circulation de la donnée, des algorithmes et des codes, dans des formats exploitables par des tiers ».
L’ouverture du numérique semble ainsi plus que jamais à l’ordre du jour.
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Depuis plus de 25 ans, le Cabinet HAAS Avocats accompagne ses clients privés comme publics dans le déploiement de nouvelles technologies durables (Green Tech), ainsi que dans l’encadrement juridique des mesures dédiées à la sobriété numérique et l’utilisation des licences ouvertes (Open data).
[1] Arcep, Pour un numérique soutenable, p.2
[2] Impacts environnementaux du numérique en Franc, Version 0.8 – Janvier 2021 – GreenIT.fr
Sources :
Décret n° 2018-1117 du 10 décembre 2018 identifie les documents administratifs pouvant être rendus publics sans occultation des données à caractère personnel y figurant.
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037797583
Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 25 juin 2019, n° 19/04407