Par Haas Avocats
La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 27 mars 2024 une décision particulièrement importante sur la question de l’obligation de surveillance imposée par les autorités judiciaires aux hébergeurs ou fournisseurs de service.
Revenons ensemble sur cette décision essentielle pour les plateformes souhaitant se prévaloir de la qualité d’hébergeur.
Leboncoin : la lutte continue contre les escroqueries en ligne
Les plateformes telles que Leboncoin, Amazon ou Airbnb, qui proposent la mise en relation entre particuliers, sont souvent confrontées à des problématiques d’escroquerie en ligne. Si souvent la frontière entre éditeur et hébergeur est très fine, la distinction est nécessaire pour appliquer le régime de responsabilité adéquat.
En l’espèce, une société s’estimant victime d’annonces frauduleuses usurpant son identité sur le site Leboncoin (LBC), a assigné la société Leboncoin en sa qualité d’hébergeur.
La Cour d’Appel a fait supprimer les annonces, mais elle avait imposé une obligation de surveillance à LBC excédant son régime de responsabilité allégée.
Si la qualité d’hébergeur de la société LBC n’était pas remise en cause, la difficulté se posait dans l’obligation de surveillance demandée par la Cour d’Appel.
Rappel du cadre légal du statut d'hébergeur
La qualité d’hébergeur est définie par l’article 6 de la LCEN[1] comme toute personne physique ou morale qui assure, même à titre gratuit, pour une mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services, sans qu’un contrôle soit exercé sur les contenus fournis par ces destinataires.
L'hébergeur joue un rôle important dans la lutte contre la diffusion de contenus illicites. Il est donc tenu de supprimer ces contenus et d'informer les autorités en cas de contenu illicite. Bien que sa responsabilité soit limitée par la LCEN, l’hébergeur pourrait néanmoins être tenu responsable s’il a été notifié du contenu litigieux et qu’il ne l’a pas promptement retiré.
La création de mécanismes de notification va ainsi faciliter les signalements par les tout utilisateur. Les fournisseurs de services d'hébergement prennent alors les mesures nécessaires pour lutter contre la diffusion de contenus illicites.
Ces mesures ont ensuite été centralisées à l'échelle européenne avec le Digital Service Act (DSA), qui s'applique depuis le 17 février 2024 aussi bien aux plateformes en ligne qu'aux fournisseurs de services intermédiaires et aux hébergeurs.
L’article 6 prévoit d’ailleurs un principe d’irresponsabilité des hébergeurs, ne les tenant pas à une obligation générale de surveillance des contenus stockés, mais bien à « agir promptement » dès lors qu'il a connaissance d'un contenu illicite.
C’est justement cette question d’obligation de surveillance que la Cour de cassation est venue redéfinir dans cette décision.
Les demandes de l’autorité judiciaire ne peuvent excéder ce qui découle de la qualité d’hébergeur
Si l’autorité judiciaire peut « prescrire, en référé ou sur requête, à tout hébergeur ou tout fournisseur d’accès à des services de communication au public en ligne, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à le faire cesser. Il ne peut être soumis par les juridictions à un devoir général de surveillance qu’il transmet et stocke, ou de recherche des faits ou des circonstances relevant des activités illicites, qui l’obligerait à procéder à une appréciation autonome »[2].
Le fait d’obliger un hébergeur à mettre en place un dispositif non seulement limité dans le temps, mais aussi, portant sur des annonces à venir, entraine une obligation générale de surveillance des informations stockées.
Ainsi, en enjoignant à Leboncoin de surveiller les contenus présents et futurs, la Cour d'appel impose à LBC une obligation de surveillance qui excéderait le cadre de sa qualité d'hébergeur.
Cette modération serait donc contraire à la qualité d’hébergeur établie depuis 2004 avec la LCEN (article 6.1) et par la suite uniformisée au niveau européen avec le DSA dans son article 5.
Le DSA, en termes d’obligation de surveillance, n’impose que la mise en œuvre de mécanismes de notification (article 16 du DSA), la priorisation des notifications des signaleurs de confiance (article 22) et le respect des injonctions des autorités compétentes (article 9 du DSA). De plus, la modération imposée par la Cour d’appel pourrait s’analyser comme étant contraire à l’article 10 du DSA qui dispose bien que les injonctions faites par l’autorité compétente exigent uniquement du « fournisseur » qu’il communique des informations déjà collectées aux fins de fournir le service et dont il a le contrôle. Ainsi, la solution de la Cour de cassation est confirmée par les dispositions du DSA. Pour bénéficier de la qualité d’hébergeur, les marketplaces doivent faire très attention à leur rôle de modérateur de contenu.
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Le Cabinet HAAS Avocats est spécialisé depuis plus de vingt-cinq ans en droit des nouvelles technologies et de la propriété intellectuelle. Il assiste et défend les personnes physiques et morales dans le cadre de contentieux judiciaires et extrajudiciaires. Dans un monde incertain, choisissez de vous faire accompagner par un cabinet d’avocats fiables. Pour nous contacter, cliquez ici.
[1] Article 6 - Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (1). - Légifrance (legifrance.gouv.fr)
[2] Cour de Cassation- Chambre commerciale-27 mars 2024-n°22-21.586