Les « fake news » (ou informations fallacieuses) apparaissent comme un nouveau risque pour nos sociétés libérales et technophiles.
Si ce phénomène a toujours existé et n’est pas propre à notre époque, il a néanmoins pris une ampleur inédite avec l’avènement des médias sociaux et des plateformes. On assiste en effet à une mutation du traitement de l’information. Les réseaux sociaux sont devenus une source d’informations au même titre que les médias traditionnels : les articles, post ou autres tweets véhiculant de fausses nouvelles sont massivement partagés ou « likés » par les internautes.
Là où la déontologie impose aux journalistes d’effectuer un travail de vérification méthodique, les plateformes en ligne, simple hébergeur, ne sont pas légalement tenues à un tel contrôle et représentent ainsi un terreau fertile pour les auteurs de fausses nouvelles.
Les « fake news » inquiètent dès lors qu’elles influent sur l’opinion publique au risque de perturber l’équilibre démocratique. Elles ont ainsi émaillé les dernières campagnes électorales aux Etats-Unis ou en France et se sont multipliées lors de la campagne sur le Brexit.
Partant de ce constat, le Président Macron a annoncé dès janvier 2018 son intention de légiférer spécifiquement sur ce sujet.
De cette réaction politique est née la loi contre la manipulation de l’information, votée le 20 novembre 2018 et promulguée le 22 décembre 2018.
En dépit des nombreuses critiques sur les aspects estimés liberticides de ladite, le conseil constitutionnel a, dans une décision n°2018-773 du 20 décembre 2018, déclaré le texte conforme à la Constitution en émettant néanmoins deux réserves d’interprétation[1].
Eclairage sur les 3 principaux aspects de cette loi.
1. L'obligation de lutte contre les fake-news imposée aux plateformes
Les plateformes étant le vecteur de diffusion privilégié des Fake News, le législateur les a spécifiquement visées en instaurant l’article L.163-1 dans le Code électoral.
Les plateformes dépassant un certain seuil de fréquentation ont désormais l’obligation de mettre en place un dispositif permettant aux internautes de signaler les fausses informations en période électorale. Les plateformes recevant un certain nombre d’alertes sur des contenus missionneront vraisemblablement des « fact-checkeurs [2]» pour vérifier la véracité desdits contenus. Un tel mécanisme de contrôle a posteriori n’est d’ailleurs pas nouveau ; il avait été prévu dans la loi du 21 juin 2004 pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) concernant la publication de contenus illicites sur les plateformes.
De plus, une obligation de transparence est mise à la charge des opérateurs de plateforme concernant le financement éventuel perçu en contrepartie de la promotion de contenus se rattachant à un « débat d’intérêt général ».
L’article L.112 du Code électoral punit d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende l’infraction à ces dispositions.
Face aux critiques d’atteinte à la liberté d’expression, le Conseil constitutionnel a souligné que l’obligation de transparence et de lutte contre les « fakes news » est circonscrite au temps électoral et ne concerne que des contenus ayant un lien direct avec la campagne électorale. Par ailleurs, seules les plateformes ayant une certaine popularité sont visées et non tous les sites internet.
Cette disposition, qui n’est pas sans rappeler l’obligation de loyauté des plateformes prévue par la loi pour une République numérique d’Axelle Lemaire du 7 octobre 2016, constitue un moyen opérationnel de lutte contre la manipulation de l’opinion publique.
2. La création d'un référé "anti Fake News"
La loi contre la manipulation de l’information a instauré un article L.163-2 dans le Code électoral qui dispose que :
« I. Pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d'élections générales et jusqu'à la date du tour de scrutin où celles-ci sont acquises, lorsque des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d'un service de communication au public en ligne, le juge des référés peut, à la demande du ministère public, de tout candidat, de tout parti ou groupement politique ou de toute personne ayant intérêt à agir, et sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire aux personnes physiques ou morales mentionnées au 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 du même I toutes mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser cette diffusion.
II.-Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures à compter de la saisine.
En cas d'appel, la cour se prononce dans un délai de quarante-huit heures à compter de la saisine.
III.-Les actions fondées sur le présent article sont exclusivement portées devant un tribunal de grande instance et une cour d'appel déterminés par décret. »
En période électorale, c’est-à-dire durant les 3 mois précédant une élection générale, le juge des référés pourra être saisi afin de faire cesser la diffusion de fausses informations sur les services de communication au public en ligne, lorsqu’elles sont de nature à altérer la sincérité du scrutin.
Il reviendra au juge des référés de trier les informations « objectives » et incontestables, des informations mensongères et de mesurer leurs effets sur un scrutin à venir. Par ailleurs, le juge ne disposera que d’un temps extrêmement court (48 heures) pour statuer.
En dépit des critiques portant sur l’atteinte disproportionnée d’une telle disposition à la liberté d’expression et aux violations du droit de la défense, le Conseil constitutionnel a validé cette disposition.
Il estime à nouveau que le législateur a strictement délimité le champ d’application (limitation temporelle et matérielle) du référé. Ainsi celui-ci ne concerne que les fausses nouvelles qui sont diffusées :
- pendant la période électorale
- via des services de communication en ligne
Il rappelle en outre que les informations pouvant faire l’objet d’un référé ont été circonscrites à « toutes allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir. ». Cette définition écarte de fait les opinions, exagérations ou autres parodies qui marquent habituellement les campagnes électorales.
Par ailleurs, pour tomber sous le coup de l’interdiction, la diffusion de la nouvelle fallacieuse devra présenter les trois conditions suivantes : elle devra être artificielle ou automatisée, massive et délibérée.
Il ressort de ces critères que le législateur a tenu à circonscrire l’interdiction à des phénomènes d’ampleur et épargne ainsi les articles isolés et confidentiels. Il conviendra néanmoins de déterminer en pratique comment la preuve de ces trois éléments pourra être rapportée.
Le conseil Constitutionnel a néanmoins émis une réserve d’interprétation afin d’articuler la liberté d’expression et la lutte contre la désinformation.
Il estime qu’une telle mesure de cessation de diffusion ordonnée en référé ne pourra être justifiée que si le caractère inexact ou trompeur des allégations ou imputations mises en cause est « manifeste ». De la même manière, le risque d’altération de la sincérité du scrutin doit, là encore, être « manifeste ».
Seules les informations grossièrement fausses sont donc concernées. De même les effets sur le scrutin ne devront pas être simplement potentiels mais avérés.
3. Les nouveaux pouvoirs du CSA
La loi « anti-fake news » confère de nouveaux pouvoirs au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA).
Elle a ainsi inséré un article 33-1-1 dans la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Le CSA a désormais le pouvoir de suspendre de façon temporaire la diffusion en France d’une chaîne de télévision contrôlée ou placée sous influence d’un Etat étranger le temps de la période électorale.
Ce conseil constitutionnel a validé cette disposition sous réserve que la suspension ne soit prononcée que si le caractère inexact ou trompeur des informations diffusées ou si le risque d’altération de la sincérité du scrutin est « manifeste ».
Les Sages rappellent en outre que les décisions du CSA peuvent faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat.
Si l’utilité de la loi anti fake-news peut être discutée, notre arsenal juridique disposant déjà de nombreux textes ayant vocation à prohiber la diffusion de fausses nouvelles, son aspect liberticide doit être écarté.
Les nombreuses conditions prévues par le texte s’opposent a priori à une quelconque dérive qui aurait pour effet de porter atteinte à la liberté d’expression.
Les élections européennes de mai prochain seront l’occasion d’éprouver les dispositions de cette nouvelle règlementation.
Pour tout renseignement complémentaire, contactez nous ici.
[1] Pour rappel, la technique des réserves d’interprétation permet au Conseil Constitutionnel de déclarer une disposition conforme à la Constitution à condition que ladite disposition soit interprétée ou appliquée conformément à ses indications.
[2] Les « fact checkeurs » désignent les journalistes en charge de vérifier la véracité des faits et des chiffres.